Imágenes de páginas
PDF
EPUB

magnanimité qui prouveroient jufqu'à quel point fon cœur étoit inacceffible à l'ambition? Quelles impreflions ne feroient pas de fi grands exemples fur tous les efprits!

Mon filence qui eft ici néceffaire, ne fera rien perdre à la vérité; & des vertus fi rares & d'un fi grand prix ne feront point enfevelies dans l'oubli.

C'est ainsi, Meffieurs, que M. d'Agueffeau accompliffoit la Justice, lorsqu'une mort imprévue enleva à la France un Chancelier, qui par une capacité éprouvée dans de grands emplois, par une égale intelligence du Droit public & particulier, avoit mérité d'être le choix d'un grand Roi, & d'avoir part à fa plus étroite confiance.

Cette perte fut prefque auffitôt réparée qu'annoncée.. On apprit la mort de M. Voifin, & l'on fçut en même temps que par un choix qui avoit prévenu tous les défirs & toutes les efpérances, il avoit pour fucceffeur un de ceux pour lesquels on n'auroit pû fe difpenfer de former des voeux. Le Public plus fenfible en cette rencontre à la fortune de l'Etat, qu'à l'élévation de M. d'Agueffeau, fut moins touché de voir le mérite parfait récompenfé par la plus haute Dignité, que de voir la plus haute Dignité accordée à celui qui étoit fi capable de la remplir.

Dans cet applaudiffement de tous les Ordres du Royaume, des perfonnes de tous les âges & de toutes les conditions, dans ce concert de joie que la feule eftime avoit formé, on fe félicitoit foi-même avant que de féliciter M. le Chancelier: on félicitoit par un retour de reconnoiffance la fageffe du Prince qui gouverne cet Empire, & qui fupplée par fes lumieres à la foibleffe de l'âge du Souverain. Rien de plus vif, rien de plus animé, que les fentiments qu'on avoit pour celui qui venoit de récompenfer tant de vertus, & de faire un préfent fi précieux à l'État. L'Auteur du bienfait paroiffoit, pour ainsi dire, avoir acquis plus de gloire que celui qui l'avoit reçu. Tout ce que ce grand Prince a fait jufqu'à préfent d'utile, de néceffaire, de fage, de glorieux pour réparer les malheurs de la guerre, pour affurer la durée de la paix, pour l'établif

fement de ces fages Confeils, pour le foulagement des Peuples, pour diminuer les Charges de l'Etat, pour remédier au défordre des Finances, pour faire rentrer dans le tréfor public ces richeffes amaffées par l'injuftice & par l'oppreffion, paroiffoit comme cimenté & comme affermi par le choix de M. d'Agueffeau.

Mais que les fentiments du Public étoient peu d'accord avec ceux de ce grand Magistrat! Le Public fe livre à la joie, & à la reconnoiffance; le feul Chancelier refuse, combat: contraint d'accepter, on le voit frémir & trembler à la vue de cette grande Dignité.

Cette frayeur, Meffieurs, eft un gage du bonheur public & une caution bien fûre de la réalité & de la folidité des vertus qui l'ont élevé à cette premiere Magistrature. Le charme des Honneurs ne le furprend point; il n'eft point ébloui par l'éclat de cette nouvelle Dignité, il n'est frappé, il n'est saisi que des obligations & des dangers qui y font attachés. Le pronostic eft für: tout autre objet que celui de fon devoir & du bien de l'Etat, fera incapable d'attirer fes regards, de remuer fon cœur, & de fixer fes défirs.

[ocr errors]

En effet, Meffieurs, qui a pu s'appercevoir qu'il foit furvenu aucun changement dans la perfonne de M. le Chancelier? Egalité de moeurs, égalité de fentiments: ne femble-t-il pas que fa Dignité ne l'ait élevé que pour mieux mettre au jour fa modération, fa douceur, fon affabilité. Ces vertus qui furent celles de fes Peres, qu'il a toujours fi précieusement confervées, fe répandent fur toute fa Famille, fur cette Epouse. fi conftante dans fa piété, fi égale dans fa modeftie, le modele de celles de fon fexe, & qu'on peut regarder comme la récompense de l'homme de bien; fur ces Enfants dans lefquels on voit renaître les vertus de leur Pere, qui ne font animés que des fentiments qu'une heureuse naissance leur a infpirés, & sur lefquels le Public fonde déja de fi fûres espérances.

[ocr errors]

Dans la défiance où M. le Chancelier fe trouve de pouvoir fatisfaire à tant de devoirs, de pouvoir remplir tout ce qu'il doit au Roi, tout ce qu'il doit à la Justice, tout ce qu'il

res,

doit à l'Etat, fi quelque chofe le raffure, Meffieurs, c'est l'efpérance qu'il a de trouver en vous les mêmes fecours de lumiede fageffe, d'affection qu'il a toujours éprouvés. Il se flatte que vous ne cefferez point de le regarder comme votre ouvrage, comme redevable à vos exemples & à vos fuffrages, de fun élévation.

Pénétré de reconnoiffance, il fe fera dans tous les temps un devoir effentiel de concourir aux fentiments de Justice qui animent tous ceux qui compofent cet Augufte Sénat. Mais rien ne pourra rompre les noeuds d'amitié & de juftice qui le lient fi étroitement avec cet illuftre Chef, plus grand par fes vertus que par fa Dignité; qui illuftre un nom déja fi refpectable par la gloire de fes actions, & par le fublime de fes fentiments; & qui, pour tout dire en un mot, représente & réunit fi parfaitement dans fa perfonne toutes les qualités de fes Ancêtres.

Avec ces fecours , que n'a-t-on point droit de fe promettre de M. le Chancelier?

,

Qui fera plus capable d'annoncer aux Peuples les volontés du Souverain, que celui qui raffemble fi parfaitement toutes graces & la majefté du Discours?

les

Qui eft plus propre pour porter aux pieds du Trône, les vœux & les fupplications des Peuples, que celui qui est si inftruit de leurs befoins, & qui a toujours été fi fenfible à leurs peines?

Quel plus équitable difpenfateur des graces, que celui que toutes fes affections portent à la clémence, & qui connoît tous les intérêts de la juftice du Prince ?

Législateur qui poffede l'efprit de toutes les Loix; qui eft lui-même, comme la Loi, fans intérêt & fans paffion, l'utilité de celles qu'il inspirera, leur attribuera un caractere d'im

mortalité.

Premier dépofitaire de la Juftice Souveraine du Prince, il la fera régner dans toutes les parties de l'Etat. Elle tiendra, fuivant l'Ecriture, fa féance dans les grands lieux, elle éclairera jufqu'aux Solitudes & aux lieux les plus écartés : il en

gravera les fentiments dans le cœur de ce jeune Souverain. qui eft lui-même l'amour de fes Peuples, & le plus tendre objet de leurs vœux; il lui imprimera, il lui perfuadera cette justice eft la premiere vertu des Rois, auffi-bien que le plus noble caractère de la Royauté.

que

Digne Chef de toute la Magiftrature, il connoît les droits, les bornes & la Dignitié de tous les Tribunaux ; il confervera le respect & l'autorité qui est due à leurs décisions.

Miniftre également convenable au Roi & à l'Etat, il est rempli de cette Sagesse qui, fuivant les expreffions du plus fage des Rois, vaut mieux que la force, qui eft le fruit & l'application du travail, qui réunit l'expérience des fiecles paffés avec la science du temps présent, qui observe les moments, qui faifit les occafions, qui profite des conjonctures fans les prévenir ni les laiffer échapper, qui eft comme une fentinelle placée fur un lieu éminent pour connoître tout, pour veiller à tout.

Ce ne font plus, Meffieurs, des defirs, ce ne font plus des efpérances que nous formons, ce font des vœux accomplis, ce font des fruits que nous commençons à cueillir, & qui fe multiplieront tous les jours. Il ne me refte plus en finiffant un Difcours où le cœur a eu plus de part que l'efprit, & en réuniffant vos fentiments avec ceux du public, qu'à fouhaiter pour l'intérêt du Souverain & des peuples, que la Juftice puiffe jouir long-temps d'un Chef fi accompli, le Roi d'un Ministre si éclairé, & la France d'un fi grand Chancelier.

Je requiers qu'il foit mis fur le repli des Lettres, qu'elles ont été lues, publiées & enregistrées, pour être exécutées fuivant leur forme & teneur.

DISCOURS

Prononcé A LA COUR DES AIDES par M TERRASSON, Avocat au Parlement de Paris.

L

Le 2 Juin 1717.

MESSIEURS,

A JUSTICE ne croit pas interrompre fes fonctions, quand elle honore aujourd'hui fon premier Miniftre. Engagée par les grands deffeins qu'elle avoit fur lui, à le mettre dans fes voies, elle s'eft hâtée de lui prodiguer fes lumieres & fes tréfors; & fe faisant honneur du choix qui l'a élevé au plus haut dégré de la Magiftrature, elle applaudit à cette élévation, comme à l'ouvrage de fes propres mains, & au triomphe de la Loi même.

Ce que l'usage a établi pour la Dignité, vous le ferez encore plus, Meffieurs, par difcernement & par goût pour la perfonne. Il ne manque à la grandeur de vos vues qu'un Orateur qui les feconde, & qui puiffe remplir au gré de l'efprit, comme au gré du cœur, l'emploi honorable, mais difficile, de parler de M. le Chancelier, & d'en parler devant vous. Dans cette fituation, animé par les richeffes de la matiere, embarraffé par fon étendue, je ne fçais s'il ne faudroit point laiffer à vos fentiments le foin d'un éloge que la parole ne peut qu'affoiblir.

Une réflexion foulage ici mon embarras ; c'est que du moins il m'eft commun avec ceux qui ont eu ailleurs la même fonction à remplir. La fupériorité de leurs lumieres n'a fervi peutêtre qu'à leur faire appercevoir de plus près le danger de l'entreprise; & quelqu'avantage qu'ils aient fur moi par leurs talents, ils me permettront de reconnoître entre nous une égalité d'impuiffance à atteindre toute la hauteur du fujet.

« AnteriorContinuar »