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force de fes raifons, & de triompher par la même voie de l'opiniâtreté des autres. Le plus aveugle plaideur ouvroit les yeux à la lumiere qui lui montroit fon égarement; & tel, fur les préjugés de fa paffion, s'étoit flatté de la victoire, qui, combattu par de nouvelles armes, ne doutoit plus de fa défaite, & n'avoit d'autre regret que de s'être engagé témérairement dans le combat.

Heureux Barreau, qui fûtes témoin de tant de merveilles, vous auriez voulu en jouir toujours pour votre instruction; mais ce qui vous faifoit fouhaiter cet avantage ne vous permettoit pas de l'efpérer. Les mêmes vertus que vous admiriez dans ce Magiftrat, vous l'enleverent; & tel eft l'utile progrès de la destinée des grands Hommes, que jufqu'à ce qu'ils foient parvenus au comble des Dignités, tout le mérite qu'ils font paroître dans des places moins éminentes, est une raifon pour les élever davantage. La Juftice, Meffieurs, ouvre un nouveau théâtre aux talens de M. d'Agueffeau : il avoit employé & presqu'épuifé fa voix pour elle, il va lui rendre de nouveaux fervices par fa plume : fervices qui, dépouillés de l'éclat des actions publiques, n'en deviennent parlà que plus difficiles & en même temps plus glorieux. Dans le grand jour du Barreau, la majesté du Tribunal, la préfence des Juges, le concours des Auditeurs, flattent & animent en un fens le Miniftere public. Il eft, fi je l'ofe dire, payé fur le champ de fes travaux par l'applaudiffement dont ils font fuivis, & par l'honneur qui lui en revient la Juftice le couronne dans le lieu même où il combat ; & le triomphe de la bonne cause devient à fes yeux le fien propre. Dans l'intérieur du Parquet, les fonctions font plus paifibles & moins brillantes; on s'épuife obfcurément fur des titres & des procédures; on difcute en fecret les droits des Parties : & comme les peines que donne cette difcuffion font cachées aux yeux du Public, elles n'attirent pour l'ordinaire ni fa reconnoiffance ni fes éloges. Quel zele ne faut-il pas pour foutenir, par le feul amour du devoir, le poids rebutant d'un travail froid & uni ,qui n'a point de spectateurs, & qui fait mouvoir tout le

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Corps de la Justice, fans qu'on voie presque jamais la main qui y donne le mouvement!

mérite commun,

Ce qui auroit pû être une fource d'affoibliffement pour un a été pour M. d'Agueffeau, une heureuse épreuve de courage & une abondante moiffon d'honneur. Parvenu au plus haut point de réputation dans la charge d'Avocat Général, il s'ouvrit dans celle de Procureur Général de nouvelles routes à la gloire. Jamais le glaive ni le bouclier de la Justice n'ont été confiés à des mains plus pures & plus habiles. La timide innocence fe raffuroit à fa vue, le crime orgueilleux frémiffoit. Appliqué aux petits intérêts comme aux grands, il étoit auffi fatisfait lorfque, fans bruit & fans témoins, il fauvoit le foible de l'oppreffion, que, lorsqu'au milieu des applaudiffemens du Barreau, il balançoit dans une Audience publique les droits les plus éclatans: doux & acceffible quand il falloit s'éclaircir ; ferme & inébranlable quand il étoit temps de conclure; exact dans la difcuffion des moyens, pour fe déterminer avec connoiffance; fcrupuleux même avant que de prendre fon parti, pour ne l'être plus après l'avoir pris.

Chargé principalement de la défense du Droit public, il en étudia les principes dans les bonnes fources, & il les perfectionna par fes propres vues. Nous nous fouviendrons longtemps de cette fatale année *, où la Nature refufa fes dons ordinaires, & où l'avarice cachoit ceux des années précédentes. Nous n'oublierons pas auffi que, par des recherches laborieuses, par d'utiles reffources, le Magiftrat que nous louons, contribua plus que perfonne à fauver la France des extrémités de la difette.

L'ordre des Jurifdictions, l'intérêt des Hôpitaux, les affaires du Clergé, celles de l'Etat occuperent tour à tour fon attention, & ne la lafferent jamais. La capacité de fon génie s'étendoit à mille fonctions différentes, fans fe relâcher fur aucune. Avec quelle vigueur n'a-t-il pas maintenu le patrimoine facré de nos Rois contre les entreprises de l'ufurpation? Avec quel travail n'a-t-il pas déterré d'anciens titres, enfevelis jufque-là

dans l'obfcurité & dans l'oubli? Avec quel art n'en a-t-il pas fait valoir les inductions par de folides écrits, dignes de paffer des mains des Juges dans celles de tous les Sçavants, comme des morceaux précieux d'Hiftoire & d'érudition?

Il a même hafardé de déplaire au Prince, pour le fervir.; de résister à ses ordres, pour demeurer fidele à fes intérêts; de préférer fa gloire réelle à fa volonté apparente; de démêler dans la droiture de fes intentions les furprises faites à fa piété; & de contredire humblement fon autorité, pour ne la pas commettre dans une entreprise qui bleffoit les droits de la Couronne fermeté d'autant plus digne d'admiration, qu'elle l'expofoit à tout; & que combattu entre les mouvements du cœur qui l'attachoient tendrement au Roi, & les lumieres de l'efprit qui lui montroient les engagements aufteres de fa charge, il avoit pris le parti d'être, s'il le falloir, la victime plutôt que le deftructeur de nos libertés.

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Quand la Vertu fort victorieuse de tels combats, elle n'a plus befoin d'autres épreuves, il ne lui faut que des couronnes. Celle qui eft due à tant de travaux, ne s'eft pas fait attendre long-temps. A peine un Chancelier, qui, par l'étendue de fon zele, avoit fçu allier les foins de la guerre avec ceux de la Justice, nous échappe fubitement, qu'en apprenant fa mort, nous apprenons que M. d'Agueffeau remplit fa place. Surpris du coup imprévu qui donnoit lieu à ce choix, nous ne l'avons pas été du choix même; il n'a étonné que la modeftie de celui fur qui il est tombé. Le Prince, en procurant ce bonheur aux Peuples, a ajouté un nouveau trait à fa gloire : par-là il a donné un fidele oracle aux Confeils du Roi, une vive lumiere à fa Justice, un canal pur à ses graces, un asyle affuré à l'innocence, un frein févere à l'iniquité, un ornement & un appui à tout l'Etat. Il falloit une éloquence noble & facile, pour faire parler le Roi dignement; une prudence éclairée, pour difcerner dans l'ufage de fa clémence les furprises de la paffion d'avec la noirceur du deffein; un zele difcret, pour maintenir la force des Ordonnances, fans affoiblir l'autorité des Jugements; un fage milieu entre la févérité outrée & l'excès de

condefcendance; une égale attention aux droits de l'Eglife & à ceux de l'Etat. Tous ces talents, féparés ailleurs, fe raffemblent dans M. le Chancelier; il n'en laiffe defirer aucun.

Il ajoute encore aux qualités éclatantes du Chef de la Juftice, les Vertus paifibles du chef de famille. Attaché par goût à une Epoufe*, en qui les graces de la modeftie relevent celles de la Nature, dont le Nom femble annoncer la fageffe même, dont la Famille a fait l'honneur des Intendances & répand un nouvel éclat dans les Confeils; il trouve dans cette fociété domestique le bonheur de la vie privée, comme dans fes propres vertus la gloire de la vie publique. Là, fous les douces loix du devoir, s'élevent de dignes Enfants, qui dans la fleur des vertus naiffantes, font entrevoir les fruits d'une éducation parfaite, & envisagent moins l'élévation du Pere par l'éclat qui y eft attaché, que par le mérite qui l'y a conduit. Là, on ignore l'ufage des plaifirs frivoles qui amufent l'inutilité; on ne se délaffe des occupations férieufes que par la belle Littérature. Du même fonds où regne la gravité du Ministere de Juge, fortent les graces d'une érudition ornée : le Jurifconfulte, le Magiftrat cache un critique judicieux, un excellent Grammairien, un Orateur parfait, un efprit du premier ordre, qui, partagé entre un grand nombre de Sciences, eft auffi profond fur chacune que s'il en avoit fait sa seule étude.

Mais ne feroit-ce point dans une Académie Littéraire, plutôt que dans un Tribunal de la Justice, qu'il faudroit célébrer cette partie de fon éloge? Non, Meffieurs, la Juftice ne fçauroit défavouer des louanges où elle a la meilleure part. C'est à fon culte & à fes loix que M. le Chancelier a été principalement attaché; & fi par une espece d'infidélité paffagere, la seule qu'il lui ait jamais faite, il a porté fa curiofité à d'autres objets, c'étoit pour remplir innocemment les intervalles de repos que demandent les grandes affaires. Il employoit à en

*Annelle Fevre d'Ormeffon, Sœur de M. d'Ormeffon, alors Maître des Requêtes; depuis Confeiller d'Etat & au Confeil Royal, & Intendant des Finances, mort en 1756. Ils étoient defcendus de M. d'Ormeflon, Doyen du Confeil, & Enfants de M. d'Ormeflon, Intendant de Lyon.

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richir & à perfectionner fa raifon, le loifir précieux dont d'auabusent pour affoiblir & gâter la leur. Jamais il ne per-. doit fes fonctions de vue, même en les quittant, & il ne les quittoit que pour les reprendre peu de temps après, avec plus d'utilité pour le Public, & plus d'agrément pour lui-même, en acquérant de nouvelles lumieres.

Qui pourra donc mieux veiller fur le vafte Empire de la Juftice, que ce génie univerfel qui en connoît fi bien toute l'étendue? Sa vigilance ne fervira qu'à lui rendre plus cher & plus eftimable le Tribunal où j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui fes Lettres. Il voit à fa tête un nom ancien & illustre dans la Magiftrature, de grandes vertus dans un âge peu avancé *; & pour tout dire en un feul mot, l'Ayeul refpectable fidélement retracé dans le Petit-fils avec les traits nouveaux & brillants que la jeuneffe prête au mérite. Il voit dans les membres, comme dans le Chef, un efprit de regle & d'équité, un heureux accord d'intentions & de lumieres pour le bien commun, un empreffement exact à conferver les droits du Roi en ménageant l'intérêt des Peuples. Ces avantages précieux, qui font la fatisfaction & le bonheur du Public, ne contribueront pas peu à la gloire de M. le Chancelier, qui eft inféparable de celle de la Justice, & qu'une main plus habile ** va dédommager de ce que les foibles traits de la mienne lui auront fait perdre.

*M. le Camus, P. P. de la Cour des Aydes, qui avoit fuccédé à son Ayeul dans cette Charge.

**. M. Delpech de Cailly, premier Avocat Général de la Cour des Aydes.

Tome I.

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