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DISCOURS*

Prononcé au Grand Confeil, par M COCHIN, Avocat au Parlement de Paris.

L

Le 23 Février 1717.

MESSIEURS,

A Vertu eft à elle-même fa plus précieuse récompenfe: l'Homme fage, content de la pofféder, fuit l'éclat des Honneurs ; & laiffant aux autres l'ambition d'y parvenir, il ne cherche qu'à les mériter.

A qui font-elles dues, cependant, ces diftinctions honorables que donne le rang & l'autorité, fi ce n'eft à ces hommes d'un mérite confommé, capables d'inftruire les autres par leurs exemples, de les conduire par leur fageffe, & de faire régner par-tout le bon ordre & la Justice.

Oui fans doute eux feuls méritent de remplir ces Poftes éminents que la gloire environne; & lorfqu'ils y montent avec indifférence, & même avec crainte, le Public plein de confiance en leur vertu, accompagne leur triomphe des acclamations les plus finceres.

A cette idée, vous vous rappellez, Meffieurs, ce qui s'est paffé parmi nous lorfque M. d'Agueffeau a été élevé à la premiere Dignité de l'Etat ; fa modefte vertu s'est effrayée d'un honneur qu'il ne croyoit pas mériter. Pour nous, perfuadés que le bonheur Public devoit être le fruit de fon élévation, nous nous fommes livrés aux transports de la joye la plus

vive.

Il faut l'avouer, Meffieurs, des applaudissements fi univerfels font une fource de gloire plus abondante que les Dignités mêmes; mais ce qui acheve de couronner M. d'Agueffeau, eft l'hommage que vous rendez à fes Vertus.

Que je ferois heureux fi je pouvois atteindre à la fublimité * La Copie de ce Difcours a été tirée furla Minute de M. Cochin.

de vos idées fur fon fujet! Que de richeffes j'expoferois aux yeux du Public! Mais fans me flatter d'une espérance fi vaine, fouffrez, Meffieurs, qu'oubliant la médiocrité de mes talents je ne fuive que les tranfports de mon zèle.

Déja même je fens que la grandeur de mon fujet éleve mon efprit au-deffus de fa foible portée; déjà la confiance renaît malgré la conviction de ma propre foibleffe; je me flatte du moins qu'entiérement occupé du Magistrat dont je parle, & de fes Vertus, vous oublierez l'Orateur & fes défauts.

La gloire de M. d'Agueffeau ne dépend ni des Dignités que fes Ancêtres ont poffédées, ni de l'ancienneté de leur extraction; il a toujours compris que les vertus de fes Ayeux étoient la feule grandeur dont il devoit être jaloux.

Que les exemples des grands Hommes que fa maison a produits étoient propres à exciter une fi noble émulation! Sans remonter à des temps éloignés, où il pouvoit cependant se propofer d'excellents modeles, que de vertus ne trouvoit-il pas à imiter dans cet illuftre premier Président du Parlement de Bordeaux, fon Ayeul?

La Guyenne conferve encore la plus profonde vénération pour la mémoire de ce grand Homme, fous l'autorité duquel elle a vu fleurir avec la Juftice, la paix & la tranquillité parmi fes Peuples. Elle n'oubliera jamais quel fut fon zèle pour le bien public, fa douceur & fon affabilité pour ceux qui étoient obligés d'implorer fa juftice; & la reconnoiffance gravée dans les cœurs, immortalisera à jamais un Nom qui lui fut fi cher.

Mais pour se former l'idée du parfait Magiftrat, M. d'Aguesseau ne devoit étudier que Monfieur fon Pere: dans ce feule modele, il trouvoit toutes les Vertus raffemblées.

Vous le fçavez, Meffieurs, vous qui l'avez autrefois poffédé parmi vous, ce Magiftrat respectable, de quelles qualités -fon efprit & fon cœur étoient ornés.

Juge éclairé, mais qui n'eut jamais en fes lumieres une confiance préfomptueufe; sujet fidele & zèlé pour les intérêts de fon Prince, mais toujours attentif à ménager ceux d'un Peuple languiffant; Pere des pauvres, Protecteur des mal

heureux, ferme appui de la Vérité, on ne peut compter fes Vertus que par fes devoirs.

pour

Dans ces Provinces confiées autrefois à fa fageffe, quel respect pour sa mémoire ! Les unes vantent encore fes tendres empreffements à foulager leur mifere; les autres fon zèle la Religion, fa charité pour ramener dans le fein de l'Eglife des ames égarées, fa vigilance & fa fermeté pour étouffer une révolte également funeste à la Religion & à l'Etat.

Sa mort fi précieuse devant Dieu, a été pour ces Peuples reconnoiffants le fujet d'un deuil public; ils ont regardé fa perte comme celle d'un Pere tendre, d'un Protecteur zèlé, d'un ami fidele; les Temples ont retenti des cris touchants qu'ils pouffoient vers le Ciel pour en fléchir la févére Justice; on n'entendoit par-tout que louanges, que bénédictions, fruits précieux de fa douceur, de fa clémence & de fa bonté.

Mais pourquoi chercher dans des Provinces éloignées des témoins de fes vertus & de fa fageffe; tout l'Etat n'en a-t'il pas éprouvé les effets? Admis dans les Confeils les plus secrets du Gouvernement, avec quel zèle n'y a-t'il pas foutenu les intérêts des Peuples? Avec quelle dignité n'y a-t'il pas répondu à l'amour & à la confiance de fon Prince?

Eclairé par de fi grands exemples, né pour ainfi dire dans le fein de la Juftice & de la Piété même, que ne devoit - on point attendre de M. d'Agueffeau? Auffi, Meffieurs, à peine eut-il paru dans l'exercice des fonctions éclatantes du Miniftere public, qu'on reconnut bientôt à fes premiers effais, quelle devoit être fa grandeur future.

Jeune encore, il marchoit déja à grands pas fur les traces de fes illuftres Prédéceffeurs; un jugement folide, une érudition profonde, une heureuse facilité, avec laquelle il répandoit l'ordre & la lumiere fur les affaires les plus difficiles & les plus obfcures; une éloquence brillante dont les charmes entraînoient les efprits les plus irréfolus ; quels talents! D'abord ils enleverent en fa faveur toute l'eftime publique; & cette réputation que tant de grands Hommes avant lui ne s'étoient acquife qu'après de longs travaux, il en jouiffoit dans un âge où les autres commencent à peine à en fentir le prix.

Repréfentez-vous, Meffieurs, ce Tribunal Auguste, où par la force & l'éloquence de fes difcours M. d'Agueffeau a brillé avec tant d'éclat. Dans cette Affemblée vénérable par la Dignité de ceux qui la compofent, par l'Autorité dont ils font revêtus, par l'importance & la variété des matieres qui s'y traitent; dans cette Affemblée, dis-je, M. d'Agueffeau commence à parler, & déja il faifit, il entraîne les efprits; on croit entendre ces Orateurs célébres & d'Athènes & de Rome, qui par les traits victorieux de leur éloquence, conduifoient à leur gré des Peuples entiers: tout eft inimitable; jufteffe dans les expreffions, nobleffe dans les fentiments, délicateffe dans les penfées : rien ne réfifte; l'ignorance & la prévention fuient à fon aspect, & le Public frappé d'admiration, ne sçait s'il doit interrompre l'Orateur par fes applaudiffements, ou s'il doit les fufpendre encore, pour jouir plus long-temps d'un charme fi doux.

Mais avec des talents fi rares, M. d'Agueffeau étoit encore plus estimable par les fentiments de fon cœur, c'étoit en luị ce qu'il y avoit de plus précieux.

Quelle droiture, quelle probité, quel attachement à fes devoirs! Toujours en garde & contre les entreprifes de ces hommes puiffants qui voudroient accabler les autres fous le poids de leur autorité, & contre la malice de ceux qui fous prétexte de leur foibleffe croient mériter une protection dont ils abufent, il n'eut jamais ni lâche complaifance pour les uns, ni fauffe compaffion pour les autres.

Appliqué à l'examen de chaque affaire, comme s'il n'en avoit eu qu'une feule à approfondir, la vérité étoit toujours l'unique objet de ses recherches.

Loin d'ici cette prévention funefte, qui fouvent aveugle des efprits d'ailleurs pleins de droiture & d'équité; M. d'Agueffeau ne fut jamais idolâtre de fes propres idées : il écoutoit avec attention, il fe réformoit avec plaifir, lorfque la raison venoit briller à fes yeux avec un nouvel éclat.

Quelle étoit la confolation de tant de malheureux que Pinjuftice opprime, lorfqu'ils pouvoient porter leurs plaintes aux pieds d'un Magistrat fi ami de la Justice, & fi zèlé pour la

défendre. L'artifice étoit bientôt démêlé, l'erreur confondue, l'iniquité défarmée, & l'innocence rétablie dans les droits dont on vouloit injustement la dépouiller.

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Vous qui les avez éprouvés, ces fecours fi puiffants de fa Justice & de fes lumieres, que ne vous est-il permis de renouveller ici par vos acclamations les témoignages folemnels de votre reconnoiffance! Ces tendres épanchements de vos cœurs orneroient bien mieux le triomphe de M. d'Aguesseau, que les foibles expreffions que nous confacrons à fa gloire.

Mais nos regards frappés par l'éclat de ces Vertus fublimes, ne peuvent-ils point fe détourner pour quelque temps vers des objets plus fimples, & qui cependant ne font pas moins dignes de nos éloges?

J'entends parler de ces vertus de la vie privée, dans laquelle l'ame n'étant plus, pour ainsi dire, en spectacle au Public, ne fe foutient que par fa propre force.

Oui, Meffieurs, de nouveaux tréfors fe préfentent à mes yeux; une Piété folide, toujours ferme, toujours conftante dans la pratique des devoirs facrés de la Religion, une fimplicité de mœurs digne des fiécles innocents de nos Peres, un éloignement entier du faste & de la vaine pompe qui profane la Magiftrature, une modeftie qui lui cachoit à lui-même une partie de ses vertus, & qui auroit voulu les dérober toutes aux yeux du Public; voilà quel étoit le caractere intérieur de M. d'Agueffeau.

Que dirai-je de fon attachement à une Epoufe digne par fa douceur, fa modeftie & fa piété, de partager l'éclat d'une fi belle vie? Depuis le moment facré qui forma leur union (moment heureux qui réunit, pour ainfi dire, la Justice & la paix,) jamais le moindre nuage n'a troublé la férénité de leurs jours.

Enfin quelle attention, que de foins de la part de M. d'Agueffeau, pour l'éducation de fa famille ! Il connoiffoit bien, ce grand Magiftrat, le prix de la Jeuneffe, lorfque par des mains habiles elle est formée d'abord à la Vertu. Il fçavoit de quelle conféquence il est d'entrer de bonne heure dans la route de la perfection; & il n'a rien négligé pour en tracer le

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