Imágenes de páginas
PDF
EPUB

mais il nous laiffe fouvent dans la peine, dans l'amertume, & toujours dans les regrets.

Cette paffion, réduite à fa valeur, n'eft donc qu'un fentiment que la NaI ture nous infpire pour le but qu'elle s'eft propofé. Nous ne pouvons nous en défendre, & nous fuccombons fous fes loix. Mais lorsqu'elle a reçu fon tribut, elle nous rend à nous-mêmes. Cette car riere, dont l'entrée nous a paru fi délicieufe, eft changée à nos yeux. L'habitude, les occupations, le temps qui flétrit tout, nous font penfer différemment, & ne nous laiffent que les regrets de nos premiers momens,

Cette paffion n'a qu'un temps. La jeuneffe eft fon empire. On en reffent encore des atteintes dans l'âge mûr; mais la vieilleffe doit en être exempte; & fi, malgré ce contrafte, elle attaque un vieillard, elle nous découvre alors en lui un naturel vicieux, une habitude déplacée, un défordre honteux, ou une débauche d'efprit. Turpe fenilis amor.

Des Converfations.

La conversation eft un paffe-temps

agréable, & fert de délaffement. C'eft un lien de la Société. Mais loin de récréer l'efprit, d'inftruire, d'intéresser, elle ne fert fouvent qu'à dévoiler nos imperfections, & laiffe après elle un grand vuide dans l'efprit, quelquefois même des impreffions & des préjugés dangereux. L'amour-propre nous cache nos défauts, mais il ne les cache point aux yeux des autres.

L'un a de l'acquit & de l'expérience; mais il parle avec emphafe (1), & veut qu'on l'applaudiffe. Perfuadé de fon mérite, il croit mieux penfer que ceux qui l'écoutent, & fe figure que le ton dont il parle fuffit pour convaincre des raifons qu'il avance.

L'autre veut briller par fon génie & fon éloquence. Il propofe des fyftêmes qu'il appuie de beaux raifonnemens. Il cherche à perfuader; & captivant, par des penfées brillantes, l'attention de fes auditeurs, leur filence te fatisfait : il croit être inventeur.

[ocr errors][merged small]

(1) Emphase. E', in, dans, Qáo‹s, dictio, dition. paw, dico, je dis.

niâtre, a adopté une idée. Suivant lui, c'eft la meilleure. S'il eft contredit, il ne cede point; mais changeant d'ob jet, fes difcours dégénerent en propos yagues & minutieux, & finiffent par un fujet de plaifanterie ou de rifée.

Cet autre a la paffion de parler; il fouffre lorfqu'il ne peut le faire. Le torrent de fes paroles, arrêté au paffage, étouffe en lui toute réflexion; il n'entend rien, & n'eft attentif qu'au moment de pouvoir parler. S'il fe fait jour dans la converfation, c'eft un flux terrible de paroles, qui s'échappe avec une rapidité finguliere; & peu lui importe qu'on l'écoute. Il étoit dans un état violent; il refpire; & ce qu'il dit eft une confufion de toutes fortes d'idées, un mélange étonnant de bon & de mau→ vais, fouvent un contraste original. On arrête le torrent: le babillard prend ce temps pour s'applaudir; mais il rompt bientôt la digue, & fans avoir rien à dire, il parle toujours & ne dit rien.

Celui-ci croit mieux penfer que les autres il eft fatisfait de lui-même il rit intérieurement, & n'écoute qu'avec mépris. Quelquefois il prend pitié des difcours qu'il entend, &, pour les rec

tifier, il hafarde avec dédain quelque fentence, quelque propos, qu'il ne se donne pas la peine de détailler.

Celui-là, plus fociable, parle avec douceur & avec aménité; mais il manque d'éloquence perfuafive, ou de voix pour fe faire entendre.

Un autre ne voit que le préfent; il eft toujours convaincu de ce qu'il entend. Mais, facile à retourner, un propos qui fuit a bientôt effacé la premiere idée & le dernier qui parle est toujours pour lui celui qui a raison.

Un autre admire avec baffeffe un propos qu'il faifit; il ne fait qu'applaudir. Le de la converfation eft que, pire defcendant du général au particulier, les abfens ne font point refpectés. On fe diffame les uns les autres. On médit, on calomnie; & le résultat de ces entretiens eft fouvent un monftrueux compofé de propos vagues & indéterminés de chofes bonnes & mauvaises, agréa-. bles & ennuyeufes, fans ordre, fans fuite & fans difcernement.

Il eft rare que, dans ces entretiens paffagers, on traite une matiere à fond. L'efprit de l'homme eft trop volage; il eft trop léger. Chacun croit devoir y

mettre

27

mettre du fien; & celui qui avance une chofe vraie & folide, qu'il pourroit foutenir avec confiance, eft toujours interrompu ou contredit par les raifonnemens bons ou mauvais qu'on lui oppofe. On parle d'une chofe qui en rappelle une autre ; & oubliant toujours ce qu'on vient de dire, la converfation eft une distraction continuelle, d'où on ne remporte ordinairement qu'un grand vuide dans l'efprit.

L'efprit vrai, jufte & droit, l'homme appliqué, qui ne jouit de ces paffe temps que pour vivre avec fes femblables, & fe délaffer de fon travail, ne fort jamais de ces affemblées fans en avoir retiré quelque profit. Il recueille le bon, réféchit fur lui-même, & ne fait attention aux défauts qu'il voit dans les autres, que pour les éviter, ou corriger ceux dont on pourroit s'appercevoir en lui.

Cet homme aimable en société, est plein de douceur, d'aménité, de candeur, de politeffe. Il n'a point l'ambition de fe faire écouter. Il ne parle que lorfqu'il en a occafion, & n'interrompt jamais celui qu'il entend parler. Ses difTome II.

S

« AnteriorContinuar »