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voque dont on peut dire beaucoup de bien & beaucoup de mal. Il eft fûr qu'ils menoient une vie réguliere pour l'extérieur, qu'ils étoient fobres & pratiquoient de grands jeûnes, qu'ils étoient fcrupuleux obfervateurs des Traditions, & même felon S. Epiphane, extrêmement chaftes. Jofeph qui étoit de cette Secte dit que, quoiqu'il eût été marié affez jeune, il n'avoit point connu fa femme avant l'âge de trente ans. Ils ajou toient foi à l'Aftrologie judiciaire & au Deftin des Stoïciens; ce qui a fait dire à S. Auguftin fur leur fujet : Si cor tuum non effet fatuum, non crederis Fatum. Ils fe donnoient bien de garde de manger fans s'être lavé les mains immédiatement auparavant, & cela non par propreté, mais par Religion. Un Publicain, c'est-à-dire, un Financier, n'auroit jamais pu obtenir de manger avec eux, parce qu'ils regardoient cette Profeffion comme infame, & ne croyoient pas qu'elle pût jamais être exercée par des gens de probité, & en cela ils ne pouvoient fe tromper que médiocrement. Leur vie étoit réformée & de bon exemple: mais dans le fond la plupart étoient hypocrites & prefque tous d'une vanité & d'un orgueil infupportables. Ils font toutes leurs actions, afin d'être vus des hommes, dit Jésus-Chrift, C'est pourquoi ils affectent de

vo ter fur leurs habits les paroles de la Loi a) écrites fur des bandes de parchemin plus Larges que les autres ne les portent, & d'avoir des franges plus longues. Ils prenoient bien garde qu'aucun pécheur ne les touchât. Si cet homme étoit Prophete, dit le Pharifien en parlant de Jésus-Chrift (b), il connoîtroit quelle eft cette femme qui le touche. Ils craignent, difoit Jéfus-Chrift, d'avaler un moucheron, & ils avalent un chameau (c).

C'étoit cependant la Secte la plus eftimée & la plus orthodoxe qui fût alors parmi les Juifs, quoique par rapport à l'Aftrologie & au Deftin, elle fût dans l'erreur la plus groffiere. D'où l'on peut conclure que toute la Synagogue étoit infectée de Dogmes faux & impies. Les Efféniens & les Saducéens, comme j'ai dit, erroient fur des Points importans, les premiers étant Pythagoriciens, & les feconds Epicuriens, & à l'égard des Pharifiens, ils étoient Stoïciens. Quoi qu'il en foit, ces derniers formoient parmi les Juifs

le

parti le plus approuvé. Nous lifons dans les Actes des Apôtres que S. Paul dit devant le Préfident Feftus: (d) J'ai vécu en Phari

(a) Dilarant Phylacteria & magnificant fimbrias. Matth, XXIII. 5..

(b) Hic fi eßet Propheta, fciret urique qualis eft mulier qua tangit eum. Luc. VII. 39.

(c) Excolantes culicem,camelum deglutientes. Matth. XXIII. 24. (d) Secundum certissiman Sectam noftra Religionis vixi Pharifaus, A. XXV. §.

fien conformément à la Secte la plus approu vée de notre Religion.

Il y avoit, dans le fond, des Pharifiens qui étoient vertueux & gens de bien, & qui pratiquoient la Loi dans la droiture du cœur, tels que Gamaliel, Nicodéme, Simeon. Plufieurs même fe rendirent Chrétiens, comme il est marqué dans les Actes des Apôtres. Jésus-Chrift ne faifoit point difficulté de les aller voir, & de manger avec eux, & lorfqu'il difoit: Faites tout ce qu'ils vous diront, mais ne faites pas tout ce qu'ils font il eft à croire qu'il parloit en général, & qu'il en exceptoit quelques-uns.

Les Thérapeutes, dont parle Philon (a); n'étoient autre chofe que des Efféniens. C'eft le fentiment de Blondel, de Scaliger, & de plufieurs autres, quoique les plus anciens Peres, & parmi les Modernes, Bellarmin, Godeau, Tillemont, l'Abbé Fleuri, fur la foi d'Eufébe de Céfarée, Historien fufpect, ayent penfé le contraire. Caffien & d'autres Auteurs Moines ne fe font pas contenté d'en faire des Chrétiens, ils en ont fait des hommes femblables à eux, c'est-àdire des Moines. Cependant il eft certain que les premiers Chrétiens n'étoient point des Solitaires, & ne vivoient point non plus en communauté, comme nos Religieux d'au(a) Philo de vita contemplativa

'ourd'hui. Nous ne fommes ni Brachmanes, ni Gymnofophiftes, dit Tertullien nous ne demeurons point dans les forêts, & nous ne nous exilons point du monde (a). Tous les Chrétiens s'occupoient alors, felon cet Auteur, à la Jurifprudence, à l'Eloquence, aux Belles-Lettres, au Commerce, aux Arts, à la Cour, à la Guerre, à la Navigation, à l'Agriculture.

Pour moi je fuis perfuadé que les Thérapeutes, loin d'être Moines, n'étoient pas même Chrétiens; nul Auteur ancien, avant Eufébe, ne l'a avancé. S. Juftin, ou l'Auteur du Livre contre les Grecs qui porte fon nom n'en dit rien. Ces Thérapeutes dont parle Philon, vivoient à Alexandrie. Pourquoi l'Auteur du Livre contre les Grecs, qui marque expreffément qu'il avoit été à Alexandrie, & qu'il y avoit vu les veftiges des cellules des Septante, n'en fait-il aucune mention? Philon dit encore que ces Thérapeutes haïffoient le féjour des Villes, qu'ils cherchoient la folitude, & qu'ils s'affembloient de toutes parts à Alexandrie comme dans le lieu de leur Patrie, tanquam in Patriam. Tout cela peut-il convenir aux premiers Chrétiens, & fur-tout aux premiers Moines? Il est conftant par l'Hiftoire Ec

(a) Neque enim Brachmane, aur Indorum Gymnofophifta fumus Sylvicola & exules vita, Tertull, Apolog, cap. 43%

cléfiaftique, que le premier Moine a été S. Paul Hermite en 330. De plus, le Chrif tianisme ne faifoit alors que de naître, & les Chrétiens n'étoient pas en ce tems-là affez nombreux ni affez répandus fur la Terre pour venir ainfi à Alexandrie de toutes les parties du Monde, ex omnibus Mundi partibus, comme dit Philon. Cet Auteur ajoute que les Thérapeutes chantoient des Hymnes en danfant, Inter choreas hymnos ceciniffe; qu'ils fe féparoient en deux choeurs pour danfer, hommes & femmes mêlés enfemble. Cela convient-il aux mœurs, à la fimplicité du culte & à la modeftie des premiers Chrétiens? Je regarde donc comme une vérité certaine le fentiment des Sçavans qui foutiennent que les Thérapeutes n'étoient que des Efféniens, & que ces Efféniens étoient Juifs, & non Chrétiens.

Fin du Tome premier.

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