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ces circonftances jointes enfemble, forment un certain tout qui peut porter avec raifon le nom d'un grand objet, d'un objet qui renferme quelque myftere affez important, pour meriter qu'on y faffe beaucoup d'attention. Un certain homme qui fe mêloit de devination & de faire des horofcopes, fut chargé de faire, cette attention. Cet homme étoit du nombre de ceux qui font profeffion de deviner tout ce qui doit arriver. aux autres, mais qui ne fçavent rien prévoir de ce qui le regarde. En effet, fi celui-ci avoit prévù, que fon métier n'étoit pas capable, ainfi qu'il l'éprouvoit, de lui fournir de quoy vivre un peu à fon aife, fans dou te, il en auroit pris un autre. Quoy-qu'il en foit, il entreprit d'employer toutes les regles de fon art, pour penetrer dans l'avenir, & y découvrir la deftinée du petit Gonin. Avant que d'y travailler, il s'informa de toutes les circonftances de fa naiffance, & de celles des premiers jours qui l'avoient fuivie. 11 fçût donc, que pour naître, il s'étoit dérobé du fein de fa mere au moment qu'elle y penfoit le moins, que ce fut en hyver, un mercredy, pendant une grande eclypfe du Soleil; on lui apprit encore l'avanture de la Pie, ce qui ne fut pas pour lui un des moindres fujets à reflexions. Il s'informa même de fes Parrain & Marraine, & on lui dit, que fon Parrain étoit un Procureur, & fa Marraine la femme d'un Tailleur qui faifoit une groffe figure, après avoir acquis de grands biens, par un fçavoir faire de fon meftier, plus étendu, que ceux pour qui il travailloit ne l'auroient fouhaité. Enfin il n'oublia pas de remarquer, que fa nourrice étoit filleule d'un Intendant devenu fort riche aux dépens d'un grand Seigneur, dont il avoit gouverné les affaires. Qu'on ne s'étonne pas de cette remarque ; car on doit fçavoir, que tout fert, pour ainfi dire en ménage, quand il s'agit de prédictions.

Voila fur quoy l'Aftrologue établit fes fpeculations; & voici quelles décifions il donna fur ce qu'on vient de

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lire.

lire Gonin en naiffant, s'étoit dérobé lui-même du fein de fa mere. Grand préjugé, dît nôtre Aftrologue, qu'il auroit de l'inclination à s'emparer du bien d'autrui, puifqu'il ne s'épargnoit pas lui-même. Les Logiciens ne trouveront pas peut-être ce raisonnement de leur goût. Mais n'importe; il faut qu'il paffe, il en faut vrayement bien paffer d'autres aux faifeurs d'horoscopes! Gonin nâquit en hyver. Or l'hyver dérobe, pour ainsi dire, tous les biens qui font fur la terre; car auffi-tôt qu'il paroît, elle n'en porte plus. Donc on doit s'attendre que ce qui appartiendra aux autres & qui pourra convenir à Gonin, courra rifque de difparoître en fa prefence. Selon ceux de la profeffion de nôtre Aftrologue, le Mercredi ett un jour dédié à Mercure. Là-deffus, il décide, que Gonin (çauroit adroitement fe rendre maître de ce qui ne lui appartiendroit pas, parceque Mercure y étoit habile; qu'il poffederoit au fouverain degré l'art de bien parler, quand il s'agiroit de foûtenir fes interêts, parceque Mercure eft le Dieu de l'éloquence; qu'il prendroit bien des fortes de figures, pour reüffir dans fes deffeins, parce qu'au rapport des Chymiftes, Mercure eft le Prothée des métaux ; qu'il s'infinuëroit adroitement dans tous les efprits qu'il voudroit gagner, parceque, felon les Medecins, Mercure eft un furet qui par fa fubtilité, se gliffe par tout, pour y faire fentir par fes operations, les effets de fa force & de fes proprietez. Une confiderable Eclypfe du Soleil fe faifoit, quand Gonin nàquit, c'eft-à-dire, que la Lune déroboit alors à la terre la lumiere du Soleil; donne encore inclination dans Gonin pour ce qui ne lui appartiendroit pas. L'Aftrologue tira la même conclufion du Parrain, parce qu'il étoit Procureur, de la Marraine, parce qu'elle étoit femme d'un Tailleur; de la Nourrice, parce qu'elle étoit fileulle d'un Intendant qui avoit ruïné fon maître ; & de la pie, parce qu'elle étoit venue lui prefenter une bourfe qu'elle avoit dérobée, comme fi elle avoit voulu lui

témoigner, qu'elle le reconnoiffoir pour fon maître dans ce métier; & parce que ce prefent lui avoit été fi agréable, qu'il n'avoit pu confentir à le rendre. Les parens deGonin furent fi mécontens de cet horofcope, qu'ils délibererent long-tems, pour fçavoir s'il récompenferoient l'Aftrologue de fes peines. Ils prirent pourtant le parti de ne lui pas refufer fon falaire: car ils craignoient que, s'il fe retiroit mal-fatisfait d'eux, il n'allat divulguer ces odieufes prédictions. Ils le payerent donc affez liberalement; mais à condition qu'il n'apprendroit point à d'autres ce qu'il avoit prétendu voir dans l'avenir, au fujet de leur fils; il le leur promit, & ne le leur tint apparamment pas parole; puifque tout ce qui s'étoit paffé à cet égard, eft venujufqu'à moy. Auffi lui étoit-il glorieux que tout le monde en fût inftruit, puifque tout ce qu'il avoit prédit, eft arrivé.

Une petite reflexion fur cet horofcope, il me femble qu'il la merite. Eft-il bien vray, que la prédiction a été faite ainfi que je la donne ou eft-ce par hazard, que l'évenement s'eft trouvé conforme à la prédition à dire vray, je croy, qu'on a raifon de faire ces deux questions; & auffi-bien fur tous les horofcopes, que fur celui-ci. Quant à la premiere: il arrive fouvent qu'on rapporte des prédictions qui n'ont jamais été faites dans les circonftances dont on les accompagne, ou qui n'ont été faites qu'après l'évenement: c'eft pourquoy on les trouve fi juftes, qu'il eft difficile de ne les pas admirer. Je n'affureray point que celle dont il s'agit, foit de ce nombre. Tout ce que je puis dire, c'eft que je l'ay apprife par tradition ; & j'ofe affurer que les traditions fur ces fortes de matieres, me font fort fufpectes. Si elle a été faite veritablement, je foûtiens, fans hefiter, que c'eft par hazard, que l'éve nement y a répondu Au lieu d'infilter là deffus, pour appuyer mon opinion, j'aime mieux renvoyer le Lecteur à deux livres nouveaux, dont l'un eft intitulé; L'Hiftoire

L'Hiftoire des imaginations extravagantes de M. Oufle & l'autre, les Coudées franches. Cette matiere y eft traittée avec plus d'étendue & de force, qu'il ne me feroit permis d'en employer ici. Car une longue digreffion interromperoit trop le fil de mon hiftoire.

Revenons au petit Gonin. On ne put lui tirer la bourfe, que, quand il fut endormi. Et étant éveillé, il parut qu'il la cherchoit de fes mains. On prit plaifir à lui préfenter quelque linge pour voir s'il s'y tromperoit: mais bien loin d'en faire cas, il le rejettoit, & quand on mettoit la bourse en la place, il s'en faififfoit avec autant de goût que la premiere fois. Que de raifonnemens differens on fit fur ce manége! Un joueur affûroit qu'il aimeroit les bourfes de jettons, &, par confequent, le jeu; un parafite prétendoit qu'il vivroit fouvent fur la bourfe d'autrui: un Marchand vouloit abfolument perfuader, qu'il embrafferoit le commerce, à caufe qu'on appelle bourfe le lieu où les Negotians s'affemblent. Un Perruquier même fe mêla. de donner fon explication, difant, qu'il auroit des cheveux fi longs & en fi grande abondance, qu'il fe roit obligé de les mettre dans une bourfe, pour en être moins embarraffé. Toutes ces prédictions, comme on voit, font bien pitoyables; mais il faut s'attendre à cela, quand il s'agit d'interprêter les grands évenemens. Chacun veut opiner en fa maniere ; & tres-rarement attrape-t-on la verité. C'eft une hardie entreprife, que de décider fur l'avenir. Les hommes s'en fervent fouvent, pour fe jouer les uns des autres, & prefque toûjours il fe joue de tous ces joueurs. Au refte, celui qui rencontra le mieux, ce fut l'Aftrologue, & enfuite un Paifant qui le feconda parfaitement bien par ce proverbe; au plus larron la bourfe. La fuite de la vie de Gonin prouva qu'ils ne fe trompoient point; c'eft ce qu'on verra par la lecture de fon histoire. Je vais confiderer Gonin pendant quelque tems dans fon berceau & entre les bras de fa nourrice. Quoyque d'ordinaire

les

les enfans ne faffent rien de bien remarquable, quand ils font dans cet état, je ne puis pourtant me difpenfer de faire attention fur celuy-ci; car enfin, il s'y diftingue des autres en bien des manieres. Les enfans qui font à la mammelle ont leurs fantaifies auffi bien que nous. Ils crient, ils fe tourmentent, ils s'impatientent, ils fe fâchent. Pour les appaifer, pour les amufer, on leur donne des jouets, on fe met en differentes poftures devant eux, on leur fait du bruit. Quant à Gonin, le bruit le fâchoit, au lieu de l'appaifer. Dans quelque agitation qu'il fût, fi quelqu'un marchoit doucement & fur le bout des pieds, il fe tranquillifoit d'abord, & foûrioit à celuy qu'il voyoit prendre cette précaution. On lui donna un hochet; mais il ne vouloit pas qu'on en fit fonner les grelots, il tâchoit même de les ôter, comme pour marquer, que le bruit qu'ils pourroient faire, ne l'accommoderoit point du tout. De tous les jouets, ceux qu'il aimoit le plus, c'étoient les clefs; non pas qu'il prît plaifir à les entendre brímbaler, ainfi qu'on en agit, pour faire taire les autres enfans, quand ils crient; il ne demandoit qu'a les manier. Illes tenoit par l'anneau, & les tournoit tantôt à droit, tantôt à gauche, comme on a accoûtumé de faire, quand on s'en fert pour ouvrir ou pour fermer. Un jour un Serrurier étant entré pour ouvrir un coffre, dont on avoit perdu la clef; Gonin lui tendit les bras [ quel bon naturel, quelle tendreffe pour un Serrurier!] il n'ôta point la veuë de deffus lui, pendant tout le tems qu'il reftà dans la chambre, & demeura trifte le refte de la journée, aprés qu'il en fut forti. Les maiques font toûjours peur aux enfans; pour lui, il s'en divertiffoit; plus on lui en montroit de fortes, plus on lui faifoit plaifir. Grand pronoftique, dit-on, qu'il aimeroit à fe déguifer. Ses differentes metamorphofes prouve rent dans la fuite, qu'on ne s'étoit pas trompé en portant ce jugement.

Auffi-tôt qu'il commença de parler, il donnà des preffen

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