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preffentimens de beaucoup d'efprit, de jugement, de prudence & de memoire. On lui trouva même toutes fortes d'humeurs, mais prefque toujours accommodées à celles de gens à qui il avoit à faire. Il falloit voir la peine qu'on avoit à lui faire dire un oui ou un non. Quand il ne pouvoit abfolument s'en difpenfer, il táchoit de ne point prononcer ces deux mots, illes exprimoit feulement par des fignes; & fouvent on étoit obligé de s'en contenter. Rarement difoit-il fans neceffité, ce qu'il penfoit. On voyoit déja en lui une diffimulation, qu'on ne trouve prefque jamais dans les enfans de fon âge. Le filence ne lui coûtoit rien. Plus il avançoit en âge, plus ces qualitez fe developoient & fe faifoient connoître.

Il avoit une adreffe admirable pour les tours de mains. Il apprit étant âgé de fix à fept ans à jouer des gobelets & de la gibeçiere, il s'en acquiroit avec tant de fubtilité, qu'il y furpaffoit les plus habiles maifres.

en inventa plufieurs qui nous font reftez; & c'eft delà qu'on commença de lui donner le nom de Maistre Gonin. En voicy un entr'autres, qu'il imagina, & que je n'ay veu faire à perfonne: je n'affùreray pourtant pas pour cela, que perfonne ne l'ait fait. Quoy qu'il en foit, on ne fera peut-être pas fâché de le voir ici. Le voici, avec la maniere de l'executer.

Ayant fa gibeciere attachée devant lui, il en tiroit. un jeu de cartes, & le montroit à la compagnie, permettant de l'examiner, pour voir s'il n'y manquoit rien, & s'il n'y avoit point de fraude: puis il reprenoit ce jeu d'entre les mains de celui qui l'avoit, le mettoit fur la table, & il n'y touchoit plus, que pour faire fon tour. Aprés ce manége il tiroit auffi de fa gibeciere un petit miroir pliant, l'ouvroit & le montroit tout-ouvert auffi à tout le monde, de forte qu'on voyoit que la glace ne reprefentoit rien que les objets qui lui étoient repréfentez, ainfi que font les autres miroirs. Aprés ce fecond manége, il le fermoit, & le mettoit

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auffi fur la table. Il reprenoit ce jeu de cartes dont j'ay parlé, le mefloit beaucoup, & en donnoit une à tirer au hazard, par le premier des fpectateurs qui s'offroit pour cela, fans pourtant montrer le deffus des cartes, c'est-à-dire le côté où elles font figurées. Quand on avoit tiré cette carte, il prioit qu'on la remarquat bien : on la lui rendoit, &, fans la voir, il la mettoit avec les autres, & les laiffoit fur la table. Cela fait, il reprenoit le miroir, l'ouvroit, & l'on y voyoit reprefentée la carte qu'on avoit choifie. On dit que la premiere fois qu'il fit ce tour, une Dame du nombre de celles qui traitent de fortilege, tout ce qu'elles ne comprennent pas [& c'eft par confequent beaucoup de chofes] en fut fi effrayée, qu'il s'en fallut peu qu'elle ne tombât évanouie; elle fortit fur le champ, quelques remontrances qu'on lui fift, pour la tirer de fon erreur afin de la retenir : & jamais depuis elle ne voulut, n'y parler à Gonin,n'y r'entrer dans la maison de fon pere, quoyqu'elle eût été jufqu'alors 'extremement de leurs amies. Il n'y avoit pourtant rien en tout cela, qui ne füt fort naturel. Quelques préparations avec quelques foupplefes de mains avoient operé ce prétendu prodige: & c'eft à quoy il faut réduire prefque tous ceux qui nous furprennent. On fait bien des merveilles de toutes les fortes, quand on a beaucoup d'adreffe pour engeoier & pour agir: non feulement quand il s'agit de tours de gibeciere, mais encore d'autres tours fur des fujets bien plus importans. Que j'en rapporterois ici d'exemples, fi je ne fçavois, qu'il ne faut pas toujours dire ce qu'on voit & ce qu'on fçait! nous en trouverons fouvent de cette forte en chemin dans l'hiftoire de mon heros. Je ne feray point fcrupule de les revéler, puifque je m'y fuis engagé par mon deffein, & que je fuis certain qu'il ne m'en fçaura pas mauvais gré: il eft trop bien déguifé, pour pouvoir être recon. nu. Revenons à nôtre petit prodige: car j'ay promis d'apprendre la maniere de l'executer, & par confe

quent,

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quent, d'en découvrir le myttere. Gonin avoit deux jeux de cartes, dont l'un étoit un jeu ordinaire : & l'autre n'étoit compofé que d'une feule forte de cartes, par exemple, fi on veut de fept de trefle. D'abord il montroit le veritable jeu, & le donnoit à examiner, puis le prenoit & le mettoit dans fa gibiciere, de telle forte pourtant qu'il paroiffoit ne l'avoir pas mis: car il retiroit dans le moment, comme s'il fe ravifoit, fa main de fa gibeciere avec un jeu, & le mettoit fur la table: mais ce n'étoit plus le même, c'étoit feulement celui des fept de trefle. Tout ceci fe faifoit avec tant d'agilité & fi vifte qu'on ne doutoit pas que ce jeu qu'on voyoit fur la table, ne fuit celui qu'on avoit exactement vifité. On juge bien, que, quand enfuite il donnoit à choisir une carte, on ne pouvoit pas en prendre une autre, qu'un fept de trefle. Avant que de faire fon tour, il avoit préparé deux miroirs plians fort femblables par l'exterieur, tant en grandeur qu'en figure, l'un avoit une veritable glace, & l'autre n'en avoit qu'une fauffe, c'est-à-dire, un fimple verre, derriere lequel étoit un morceau d'étoffe noire, ce qui le faifoit paroître un veritable miroir ; & avant que de jouer, il avoit mis un fept de trefle entre le verre & ce morceau d'étoffe noire. Et dans le jeu, il faifoit à l'égard de ces miroirs, pour mettre l'un en la place de l'autre, le même manége, que pour changer les jeux de cartes mais avec cette précaution de plus, c'est de ne pas tenir long-tems en veue celui où la carte etoit reprefentee, de peur qu'on ne reconnût qu'il étoit faux. Le principal dans ce meftier, c'eft d'efcamoter fubtilement.

On a prétendu encore (je ne l'affureray pourtant pas) que c'étoit lui qui avoit inventé un autre tour, qui auroit encore bien plus effrayé la Dame, dont j'ay parlé ci-devant, fi elle l'avoit vû faire; car il fent beaucoup plus le fortilege, puifqu'il fe fait par le fecours de quelques paroles. Il n'y a toutefois pas plus de magie à

l'un

l'un qu'à l'autre. Je l'ay donné autrefois à un fameux Mathematicien, & il l'a placé dans un de fes ouvrages. Cela ne doit pas, je croy, m'empêcher de le mettre encore ici; car peu fongent à chercher dans les livres de Mathematiques ces fortes de divertiffemens. Il s'agit entre trois chofes & trois perfonnes, de deviner ce que chaque perfonne aura caché de ces trois chofes. Par exemple. On met fur une table une bague, un étuy & un évantail, & on dit à trois perfonnes de cacher chacune ce quelle voudra; on met fur la même table vingt-quatre jettons. Avant que de commencer, le joueur a numeroté en lui-même chaque perfonne. Je fuppofe que les noms de ces trois perfonnes foient, Alexandre, Pompée, Ciceron. Il aura donné le nombre 1. à Alexandre, le nombre 2. à Pompée, & le nombre 3. à Ciceron. Il prend de ces vingt-quatre jettons qui font fur la table, & en donne un à Alexandre, deux à Pompée, & trois à Ciceron; de forte qu'il n'en reftera plus que dix-huit. Il a auffi appellé interieurement chaque chofe qu'on doit cacher des noms des trois premieres voyelles ; fçavoir la bague fera A, l'étuy fera E, & l'éventail fera I. Ayant pris interieurement ces précautions, il fe retirera, afin qu'il ne puiffe rien voir de ce qu'on va faire; puis il dira: que,, la perfonne qui a caché la bague, prenne autant de,, jettons que je lui en ay donné, [ce qui fe doit faire: ],, que celle qui a caché l'étuy, prenne le double des,, jettons que luy ay donnez : que celle qui a caché l'é-,, ventail, prenne quatre fois autant de jettons que je,, luy en ay donné". Cela fait,il en doit refter ou un, ou deux, ou trois, ou cinq, ou fix, ou fept. Il revient enfuite vers la table: & examine combien il en refte en effet. Et pour deviner, il fe fert de ces paroles: Par fer. Cefar. Jadis. Devint. Si grand. Prince. Il faut remarquer qu'il fe fert de par fer, quand il ne refte qu'un jetton; de Cefar, quand il en refte deux; de jadis, quand il en refte trois; de devint, quand il en refte

cinq; de fi grand, quand il en rette fix; & de Prince, quand il en refte fept. Les voila difpofez felon cette remarque pour en faciliter l'ufage.

Par fer. Cefar. Jadis. Devint.

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Il faut encore remarquer, que la premiere fyllabe de chacun de ces mots fignifie celuy à qui l'on a donné le nombre 1. & la voyelle de cette fyllabe, la chofe cachée à qui l'on a donné le nom de cette voyelle; la feconde fyllabe fignifie la feconde perfonne, & la voyelle de cette feconde fyllabe fignifie la chofe cachée qui porte le nom de cette voyelle; par confequent on connoît par qui deux chofes ont été cachées; la troifiéme eft enfuite facile à deviner, & ainfi du refte. Voicy un exemple de cette operation pour la rendre plus intelligible. Je fuppofe que le joueur n'ait trouvé de reste que trois jettons. Pour deviner, il prendra le mot jadis, & connoîtra qu'Alexandre a caché la bague ; & cela parce qu'Alexandre a le nombre 1. & que la lettre A fe trouve dans cette premiere fyllabe, qui eft le nom qu'on a donné à la bague; il connoîtra enfuite, que Pompée a caché l'éventail, parce que Pompée a le nombre 2. & que la lettre I fe trouve dans cette feconde fyllabe, laquelle lettre 1 eft le nom qu'on a donné à l'éventail. Il concluëra de-là, que c'eft Ciceron qui a caché l'étuy qui reffe. Voila en quoy confiftoit tout le ftratagéme: je ne fçay fi je l'auray expliqué auffi-bien que je le comprens: quoyqu'il en foit, je n'ay pas pû mieux faire.

Si en effet Gonin, qui étant dans fa plus tendre jeuneffe, a inventé ce tour de paffe-paffe, on doit juger, qu'il étoit tres-capable d'en inventer bien d'autres. Après cela, tout ce qu'on lira de lui dans le cours

de

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