Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de cet ouvrage, ne doit pas affurément furprendre.

Il y a plufieurs petites hiftoires fur fon compte, où l'on rapporte les tromperies qu'il faifoit à fes petits camarades pour les attraper. Ils le craignoient tous, & cependant ils le recherchoient toujours, & ne pouvoient le quitter. Il avoit pris une fi grande autorité fur eux, par une je ne fçay quelle maniere imperieufe, foutenue par l'adreffe de fon efprit, qu'il leur faifoit faire tout ce qu'il vouloit ; & par la même adreffe, il les attiroit & les engageoit fi agreablement, qu'ils fe faifoient un plaifir de leur joug. Entre plufieurs tours qu'il leur joua, en voici un qui merite d'être raconté.

Un jour qu'il étoit avec eux ; c'eft-à-dire, avec quatre jeunes enfans comme lui, chez le pere d'un d'eux pour y paffer l'après-dînée à fe divertir ensemble, on leur donna à chacun un orange, & chacun la ferra dans fa poche. Gonin fe mit dans l'efprit d'avoir par furprife toutes ces oranges pour lui feul. Ce n'étoit pas tant la gourmandife qui lui mettoit ce deffein dans la tête, que le plaifir d'ufer de quelque fupercherie. S'il leur avoit marqué qu'il les fouhaitoit, on prétend qu'ils les lui auroient accordées, tant ils avoient de difpofition à ne lui rien refuser. Mais il étoit d'un caractere à faire plus de cas de ce qu'il gagnoit par adreffe,que ce qu'on lui donnoit de bon cœur. Il y a un jeu qu'on appelle, le jeu de l'Abbé : les regles de ce jeu font celles-ci. Un de la compagnie prend le nom d'Abbé: & étant choifi d'un commun confentement pour ce perfonnage, tous les autres font obligez fous de certaines peines, de faire generalement tout ce qu'il fait. Il propofa de fe divertir à ce jeu : tous y confentirent d'autant plus volontiers, que rarement les enfans refufent ils un jeu, tel qu'il foit:& que c'étoit affez pour lui de marquer de fouhaiter d'eux une chofe, pour être affuré de l'obtenir. On n'hefita pas à le choifir pour Abbé,auffi s'y attendoit-il parfaitement. Il commença par faire pluB

fiems

fieurs chofes indifferentes, & qui ne tendoient qu'à de tres innocens plaifirs, comme de remuer le bras d'une certaine maniere, de chanter, danfer, faire des mines, & tous l'imiterent avec une tres-exacte précision. Les voyant en fi beau train, & fi fidéls à le copier, il tira fon orange de fa poché, & l'alla porter fur une table dans une antichambre qui étoit entre la fale où ils joüoient & l'escalier, & revint s'affeoir fur une chaife. Ils allerent auffi tous porter leurs oranges fur cette table, & vinrent s'affeoir comme lui. Il reftat quelquetems dans cette fituation, & tous auffi demeurerent affis. Il fe leva, alla fe mettre à genoux, & fit plufieurs prieres, c'est-à-dire, celles qu'il étoit certain qu'ils fçavoient auffi-bien que lui. Ce qui dura affez longtems, & cela pour lui donner le loifir d'executer ce qu'il avoit entrepris, quand, pour fuivre les loix du jeu, ils fe mettroient pareillement à prier. Il fe leva & alla dans l'antichambre. Ils fe mirent auffi à prier, & pendant qu'ils faifoient bonnement oraifon, il prit toutes les oranges, & fe retira chez lui. Leurs prieres faites, ils allerent auffi dans l'antichambre, afin de ne manquer en rien aux loix du jeu. Mais quand ils ne trouverent ni leur Abbé, ni leurs oranges, ils furent fort embarraffez, non pas qu'ils cruffent être trompez; mais c'eft qu'ils ne fçavoient où le prendre : & qu'ils fe croyoient pourtant obligez de faire ce qu'il faifoit alors. Ces pauvres enfans le chercherent par tout dans cette maifon. Enfin un des plus avifez qui foupçonnoit le tour, qu'on leur avoit joué, dît qu'il falloit l'aller chercher chez fon pere, & qu'affurément on l'y trou veroit. Lui de fon côté, ne doutant point qu'ils ne lui rendiffent cette vifite, les attendoit en mangeant les oranges, & en méditant une défaite fi adroite & fi hardie, , que bien loin de paffer dans leur efprit pour être de mauvaise foy, il leur perfuada qu'ils étoient euxmêmes coupables, & qu'ils meritoient d'être mis à l'amende. En effet, auffi-tôt qu'ils furent entrez, il leur

[ocr errors]

fit dire de refter-là, fans parler, jufqu'à ce qu'il eût expedié la derniere orange: puis il mit la tête à la feneftre, & après y avoir refte quelque-tems, il fe tourna de leur côté, & leur dit: Ah! ah! mes petits Mef-, fieurs, voila donc comment vous faites votre devoir!,, à la verité, vous eftes venus ici comme moy: mais,, mangez-vous, comme moy, chacun cinq oranges? a l'amende, à l'amende". Ces enfans fe regardoient les uns-les autres, dans un étonnement étrange. Ils étoient comme ftupefiez, & ne fçavoient que dire.. Enfin ils ne douterent point qu'ils n'euffent tort. Lui cependant, par un excès de bontè, leur dit : allez, parce que vous étes mes camarades, je vous le pardonne, à condition pourtant, que vous me pardonnerez auffi, s'il arrive que je manque à mon devoir la premiere fois que nous joüerons.

Quel progrez Gonin ne devoit-il pas faire dans l'art des bons tours, puifqu'étant fi jeune, il en fçavoit jouer un comme celui-ci ! Il y en a bien d'autres que je paffe fous filence, de peur que quelques Lecteurs ne s'ac commodent point de voir filong-tems des efpiegleries d'enfans fur la fcene Voila bien des bagatelles, diront peut-être quelques-uns. Oferois-je leur remontrer qu'il ne faut gueres attendre autre chofe d'un enfant ? Oferois-je leur dire encore qu'il arrive rarement, que' l'on trouve dans les enfans ce que je viens de dire de Gonin, tant par rapport à ce qu'il a fait, qu'à ce qui lui eft arrivé dans les premieres années de fa vie? Oferois je enfin ajoûter que prefque toujours ce que nous voyons de plus grand dans la conduite des hommes a commencé par de petites chofes ? Si nous pouvions pénetrer dans la fource de la plupart des plus confide rables évenemens : que nous ferions étonnez en faifant comparaison de ce qu'ils font dans leur cours avec ce qu'ils étoient dans leur origine! Il eft bon fouvent pour l'honneur de ce qui nous furprend, de ce qui attire nôtre admiration, de ne pas trop faire de ces forB 2

tes

tes de comparisons... Mais je me jette infenfiblement dans la morale, & ce n'eft pas de cela dont il s'agit à préfent les moralitez m'écarteroient trop de mon fujet : l'hiftoire de Gonin m'en fournira affez par ellemême: & ainfi je juge à propos de revenir à lui, & de le confiderer par de nouveaux endroits.

[blocks in formation]

Les progrez que fit Maiftre Gonin dans l'art d'écriré, étant encore fort jeune. Quelques-unes des preuves qu'il donna de ces progrez. Il fe venge avec beaucoup de malignité de la fille de fon Maiftre à écrire, qui lui avoit caufé quelque chagrin. "Ce que produifit cette vengeance.

L ne faut pas croire que Gonin ne s'occupât d'autre

I étude, que de faire des tours aux uns & aux autres ainfi qu'on vient d'en voir un échantillon. Il eft vray, qu'il y avoit une inclination naturelle: mais il ne laiffoit pas pour cela de s'appliquer à des chofes plus ferieufes & plus importantes pour la fuite de fa vie. Ses parens n'épargnerent rien pour le faire inftruire de tout ce qu'on apprend d'ordinaire aux enfans, tant pour contribuer à leur établiffement, que pour les rendre utiles & fupportables dans la focieté civile. Il écrivoit parfaitement bien, il excelloit même en toutes fortes d'écritures. Dans les commencemens, fon Maître eut bien de la peine à obtenir de lui, qu'il apprît la lettre ronde : & comme il connoiffoit fon humeur, il difoit quelquefois par plaifanterie, qu'il n'aimoit pas la lettre ronde, parce qu'il n'aimeroit pas à agir rondement. Il s'y perfectionna pourtant dans la fuite. Quelques uns difent, que c'étoit ce bon mot de fon Maître, qui J'y avoit engagé,

Etant

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »