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quer le fecours dans l'execution de mon deffein. A quoi pourrois-je mieux m'addreffer qu'à Mercure, lui qui excelloit par deffus tous en rufes & en fouppleffes, pour faire des tours de main, ainfi qu'Admete, Apollon, Vulcain, Venus & Jupiter même en pourroient rendre un fidele témoignage, fi l'on vouloit s'en rapporter à la fable: mais ce feroit une démarche indigne d'une hiftoire auffi veritable que celle-ci, de s'adreffer, pour l'écrire avec fuccés, à de fauffes Divinitez. Et ainfi point d'autre invocation que celle de mon genie. Il m'a infpiré cette entreprise; c'est à lui à conduire ma plume, & à faire bien reflexion, que, s'il ne réüffit pas, ce fera fa faute, & non point celle de fon Heros : car affûrément celui-ci lui fournira une matiere fi ample, fi diverfifiée & fi agréable par elle-même, qu'il n'y a prefque qu'à la fuivre & à la reprefenter telle qu'elle eft, pour qu'elle faffe plaifir..

Quelques curieux du nombre de ceux qui veulent abfolument qu'un Auteur rende avec une précifion exacte, raifon de tout ce qu'il dit, & qu'il ne laiffe rien à déviner, me demanderont peut-être ce que j'entens par mon genie. Je déclare, que je ne connois pas affez ce qu'il eft, pour en donner une définition fi jufte, qu'elle pût les contenter, puifqu'elle ne me contenteroit pas moy-même. Je connois bien moins fa nature, que fes operations, bien moins comment il eft fait, que ce qu'il peut faire. Il ne me feroit pourtant pas impoffible de dire au hazard quelque chofe pour le définir; mais à quoy cela ferviroit-il à mon projet ?j'allongerois mon prologue, c'est-à-dire, qu'à l'exemple de plufieurs Hiftoriens, je dirois bien des inutilitez. Je crains même de m'y être trop arrêté. Il eft bien plus à propos de parler du genie de Maître Gonin, que du mien; on n'attend que cela de moy. C'est donc afin de fatisfaire à cette attente, que je vais commencer fans remife, d'entrer dans mon fujet.

Avant que de venir au détail des faits & dits de quel

que

que perfonne remarquable, dont on prétend donner l'hiftoire, on rapporte d'ordinaire, l'année, le lieu & d'autres circonftances de fa naiffance, comme le nom de fes parens & leur profeffion, & meme on remonte quelquefois jufqu'au grand-pere, au bifayeul, au trifayeul, enfin auffi loin qu'on peut penetrer dans les temps pallez, pour y faire connoiffance avec la famille du Heros. Je ne feray rien de tout cela, parce que l'année de la naiffance de Maître Gonin ne fait rien du tout à fon hiftoire; parce que fa famille s'en trouveroit peut-être offenfée; parce que fa patrie m'en fçauroit, fans doute, mauvais gré. On conviendra, que j'ay raifon de garder un févere filence là-deffus, quand on aura lû ce que je dis de fes proüeffes Quant à fon nom, celui de Maître Gonin lui fut donné par fobriquet; & comme on a donné, & que l'on donne encore fouvent le même nom à bien d'autres, j'ay crû qu'en le lui laiffant, je ne ferois pas pour cela connoître ce que je veux taire. Quant au nom de la Ville où il eft né, & à plufieurs autres noms de perfonnes, dont il fera fait mention dans le cours de cet ouvrage, ils feront tous déguisez. La prudence l'exige ainfi, & je lui obeïrai fidelement.

Je nommerai donc Damoram, le lieu de la naiffan ce de Maître Gonin. Peut-être maniera t-on ce mot en differens fens, afin d'en conftruire quelque interpretation, parce qu'on s'imaginera que j'y entens fineffe; cela ne m'embarraffe point. Je ne ferois pas le premier à qui l'on auroit fait dire ce, à quoy il n'auroit jamais penfé. On ne voit autre chofe dans la conduite de la plupart de nos Commentateurs. Ils veulent avoir part à l'honneur du livre, il faut bien qu'ils y mettent du leur le plus qu'ils peuvent.

C'est donc à Damoram que naquit Maître Gonin. Il arrive ordinairement & heureufement quelque prodige à la naiffance des Grands hommes ; je dis heureufement, pour les Hiftoriens; car rien ne les accommo

de mieuxalors qu'une merveille; en ce qu'ils font perfuadez, (& ils ont très-grande raifon de l'être) qu'elle ragoûte parfaitement une histoire. Auffi la font-ils va loir de leur mieux; & s'il n'y en a point eu d'autre que celle que le peuple débite, parce qu'il l'a imaginée, ils ne laiffent pas d'en faire leur profit & de la mettre en œuvre. Maître Gonin fut pendant le cours de fa vie un Grand Homme en fa maniere, ainfi qu'on le verra dans la fuite. Il lui falloit par confequent quelque prodige, quand il commença de voir le jour. Je ferois bien à plaindre s'il ne s'y en étoit pas trouvè; ou plûtôt mon histoire manqueroit d'abord d'un grand avantage, pour en donner une favorable idée; mais je ne fuis paint dans ce cas, & voici pourquoy. Il fortit du fein de fa mere au moment qu'elle y penfoit le moins, & ainfi l'on juge bien qu'elle n'eut pas befoin du miniftere d'une fage femme; auffi n'en avoit-on point appellè car il n'avoit donné aucun avertiffement qui marquât qu'on en eût befoin. Il fe déroba, pour ainfi dire, lui-même du lieu où il étoit enfermé depuis neuf mois, & parut gay & gaillard, pleurant pourtant, mais d'une maniere qui faifoit croire qu'il ne pleuroit que pour rire. Ceci arriva en hyver, un mercredy & pendant une eclypfe de Soleil des plus confiderables. Je remarque ces circonftances, parce qu'elles ne tom→ berent pas à terre; ce fut un faiseur d'horofcopes, qui leur procura fon fecours, pour les préferver de cette difgrace. Bien-tôt on verra comment il y réüffit. Autre circonstance veritablement prodigieufe, & qui étoit affûrement digne qu'on y fift bien de l'attention. Auffi lui donna t-on beaucoup de relief, & peut-être bien plus qu'elle n'en meritoit; le Lecteur en fera le juge. La voicy.

Quelques jours avant celui de la naiffance de Gonin, fa mere avoit perdu chez elle une petite bourfe, remplie de quelques pieces d'argent ; ce qui avoit engagé a jetter des foupçons fur une servante & fur un valet

qui compofoient tout le domeftique de cette famille. Le valet en vouloit à la fervante: c'eft pourquoy il l'accufoit d'avoir volé cette bourfe; & la fervante qui le haïffoit à mort, ne manquoit pas de lui rendre la pareille. Le pere & la mere de Gonin les menaçoient tous les jours depuis ce temps-là de les mettre entre les mains de la Juftice. Enfin quand Gonin parut au monde, il les tira de ce danger en faifant connoître leur innocence. On avouera, que ce n'eft pas fans raifon, que j'appelle prodige ce que je vais dire, puifqu'on n'a jamais rien vû de fi furprenant à la naiffance des plus Grands Hommes de l'Univers. Sans doute perfonne ne dévinera la merveille qui s'eft faite à l'oc cafion de cette bourfe, & en quoy mon heros y a pú entrer pour fa part d'une maniere admirable, lui qui à peine pouvoit alors paffer pour être au nombre des vivans. Que ne m'eft-il permis de rappeller tous ces fameux Hiftoriens du temps paffé, pour les rendre té moins d'un fpectacle fi étrange, eux qui s'imaginoient, avoir donné d'infaillibles prognoftics du merite futur de leurs Heros, quand quelque chofe d'extraordinaire avoit paru à l'inftant que ceux-cy paroiffoient! Mais je crains d'impatienter le Lecteur, en lui faifant trop long-temps attendre le recit du prodige que j'ay à lui apprendre. J'y viens.

L'enfant s'étant dérobé du fein de sa mère, ainfi que je l'ay dit, une nourrice qu'on lui avoit destinée quelques mois auparavant, & qu'on avoit fait venir fur le champ, parce qu'elle demeurait dans le voifinage, s'en empara, & le tenant fur elle affife par terre le long de la cheminée auprès d'un grand feu, pour l'emmailloter, une Pie, oyfeau, comme on fçait, fort domeftique, fort facile à apprivoifer, qui demeurcit depuis long-temps dans cette maison, & qui y alloit çà & là familierement, en divertiffant extrêmement fon caquet, entra, tenant à fon bec la bourfe perdue, qui avoit caufé tant de rumeur, entra, dis-je, A 3

par

dans

dans la chambre où la nourrice tenoit le petit Gonin couché für fes jambes, s'approcha de cet enfant, & lui prefenta cette bourse; il avança auffi-tôt une de fes petites mains, failit la bourfe avecavidité, & la tint fi ferrée, qu'il fut impoffible de la lui ôter. On cria alors, miracle! prodige ! merveille! tout le monde de la maifon, & même plufieurs voifins & plufieurs voifines accoururent pour voir une action fi étonnante pour un enfant; le valet & la fervante accufez, en reffentirent du moins autant de joye, que les autres en témoignoient d'admiration; en ce que cette pie les juftifioit, puifqu'elle, prouvoit par cette reftitution, que c'étoit elle qui avoit volé la bourse. En effet c'étoit cette bête qui avoit fait ce larcin ; ce qui n'est pas difficile à croire, puifque tout le monde fçait que ce's fortes d'animaux font fort fujets à dérober. Il y en a plufieurs exemples, máis on n'en trouvera aucun de ce que notre pie & Maître Gonin venoient de faire. Une pie vole une bourfe pleine d'argent ; la garde fort fel Cretement jufqu'à la naiffance d un enfant ; & auffi-tôt qu'il eft né, elle lui apporte cette bourfe. il s'en faifit avec ardeur, la retient avec avidité, & ne la veut point laiffer aller, de quelques adreffes qu'on fe ferve, & quelques efforts qu'on faffe pour la tirer de fes mains. Où a t-on jamais vu une chose semblable! Ne va-t-on point dire toutefois en apprenant à quoy 1e reduit le recit du prodige, que j'avois fait efperer, que c'eft la montagne qui accouche d'une fouris? Je m'attends bien que ces gens qui ne trouvent rien de confiderable que ce qui porte la figure de grands objets, raifonneront de la forte. Il est vrai, qu'il ne fe trouve icy qu'un petit enfant, une pie, une petite bourfe, & quelques pieces de monnoye; mais c'eft une bourfe dérobée par une pie, c'eft une pie qui va l'offrir à un enfant qui vient de naiftre, c'eft un enfant naiffant qui prend cette bourfe & la veut abfolument garder, comme s'il connoiffoit déja l'utilité de ce qu'elle contient. Toutes

ces

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