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facile, que d'infinuer des foupçons fur cette matiere, particulierement, quand on fçait conduire auffi bien qu'il fit les manieres de les établir, ainfi qu'on va le voir. Il écrivit une lettre anonyme à Capion, pere de Dinal, & dans cette lettre il en mit une autre, qu'il prétendoit faire croire avoir été écrite à Dinal par Mar rianne.

LETTRE DE GONIN

à CAPION.

Vos interefts, MONSIEUR, me font trop chers, pour ne pas vous donner avis de ce qui fe paffe entre Monfieur votre Fils & la Fille du Maitre chez qui je va pour apprendre à écrire. Voici une lettre qui vous en inftruira mieux que tout ce que je pourrois vous en dire. Je ne vous mande pas comment elle m'eft tombée entre les mains,par e qu'outre que je me cache, pour des raisons qui m'y engagent, c'est qu'il feroit inutile de vous l'apprendre. Il vous doit Juffire de voir fi en effet elle est de cette Damoiselle; c'est à vous à vous en rendre certain. Quant à moy, je vous en affûre, fans prétendre pourtant que Vous vous en teniez à cette affûrance, puifque je ne me donne point à connoître. Au reste, je n'ay point d'autre intereft que le vôtre, en vous donnant cet avis: car je fuis perfuadé, qu'un Pere comme vous,à qui ilrefte un feul Fils, a des vûës plus élevées que les fiennes, ainfi que vous le connoitrez par la lettre que vous trouverez dans celle-cy. Je fuis, &c.

Il eft étonnant qu'un enfant de douze ans imagine une intrigue de la forte, & s'exprime avec tant de jugement & d'adreffe pour la conduire. Il faut aflurement que la malice donne de l'efprit. En voicy encore

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une espece de preuve : c'eft la lettre prétenduë de Marianne à Dinal, qu'il avoit conftruite.

LETTRE

PRETENDUE

de MARIANNE à DINAL.

Si vous m'aimiez autant que vous le dites, vous prendriez plus de mesures que vous ne faites,pour me voir fouvent. Hier vous en aviez une occafion fi favorable, qu'il y avoit beaucoup moins de fujet de craindre d'être furpris, que toutes les autres fois que nous nous fommes vus: vous fçavez qu'il n'y a perfonne qui fonge à foupçonner nôtre commerce;que n'étes-vous donc plus alerte, pour profiter de cette beureufe letargie,où tout le monde est à notre égard? Demain je ne manqueray pas de mettre où vous fçavez le fignal d'avis, dont nous sommes convenus auffi-tôt qu'il me paroîtra que vous pourrez venir par l'efcalier de la cuisine, fans rien rifquer. Faites y bien attention, je vous prie, afin qu'il n'y ait point de vôtre faute,fi vous tardez à venir pour vous juftifier,& pour me donner de nouvelles affûrances de vôtre amour. Sur tout, défiez vous de Gonin car il a du moins autant de pénétration que de malice.

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On avoüera, que voilà deux lettres des plus artificieusement conftruites, pour accabler d'opprobres une innocente. Il falloit encore un artifice pour les faire tenir à Capion, de telle forte qu'on ne pût déviner de qui elles venoient. Le jeune Gonin trouva bien-tôt cet artifice, fa tête ne lui en laiffoit pas manquer. On va convenir, fans doute, que les plus vieux impofteurs, n'ont peut-être jamais été plus loin que lui pour pouffer une trahifon. Ce qu'il fit, paroîtra fi

rufe,

rufé, que je doute qu'on croye ce que je vais en dire. Un bon Religieux, à qui il paroiffoit confier de bonne foy le foin de fa confcience, lui fervit, mais fort innocenment, ainfi qu'on le va voir, dans l'execution de ce noir projet.

Il l'alla voir avec un air contrit & repentant, & lui dit, que s'étant trouvé, il y avoit quelques jours, dans le cabinet de Capion, il lui avoit volé un billet de fix cens livres, payable au porteur; qu'il étoit depuis ce tems-là fi fort tourmenté par l'énormité de cette action, qu'il n'avoit pas eu un moment de repos; & qu'enfin il venoit fe jetter à fes pieds, & implorer fon fecours, pour faire inceffamment la reftitution de ce billet, mais pourtant de telle forte que fa reputation ne fût point en danger d'en fouffrir. Il lui montra en même tems un paquet cacheté,c'étoit celui où etoient çes cruelles lettres, avec l'adreffe à Capion, & lui dit, que ce paquet contenoit le billet, dont il s'agiffoit, avec quelques avis. Pour me ménager, mon Reve-,, rend Pere, adjoûta-t-il, & pour ne ine mettre point,, en danger d'être la victime de quelque mauvaile affaire, par aucun foupçon, faites en forte que quel-,, qu'un mette dans la boëte de la pofte à, quelque,, lieues d'icy ce paquet; vous avez affez d habitudes &,, de connoiffances, foit par vous, foit par vos amis,,, pour me procurer cette précaution. J'efpere que la,, charité & mon fincere repentir vous engageront à m'accorder cette grace.

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Qui eft-ce qui n'auroit pas donné dans un tel piege? Auffi le bon-hommey donna-t-il dans toute l'étendué que le fourbe pouvoit fouhaiter. Il pleura même de tendreffe & de compaffion, voyant, ainfi qu'il lui paroiffoit, un jeune homme fi repentant de fa faute. Et fe perfuadant que c'étoit par la force de fes avis & de fes inftructions qu'il revenoit à fon devoir, il le releva; l'embraffa, & lui promit de prendre fi fecretement & fi exactement foin de fon affaire, que le paquet fercit rendu

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rendu à Capion, fans qu'il put foupçonner en aucune maniere celuy qui lui avoit fait le vol. En effet, quelques jours aprés, Capion le reçût par la pofte. Ce Financier qui d'un très-bas étage, s'étoit élevé fi haut qu'il s'étoit, pour ainfi dire, perdu de vûë, fut pénétré d'indignation contre fon fils, quand il apprit par fes lettres fon prétendu attachement. Les richeffes immenfes qu'il avoit acquifes, lui faifoient regarder la famille d'un Maître d'Ecriture, comme un objet, qui bien loin d'avoir droit de faire comparaifon avec la fienne, n'en meritoit que du mépris. Enfin il y trouvoit fi peu de proportion, qu'il douta fi veritablement fon fils étoit capable de former un projet d'alliance fi indigne de fon fang: car il faifoit bien moins d'attention fur le fang que lui-même avoit apporté en naiffant, que fur celui qui couloit dans fes veines au milieu de fes grandes terres, de fes meubles fomptueux & de fes Palais magnifiques. On auroit dit, qu'il s'imaginoit que ce fang étoit devenu précieux, à mefure que fes trefors s'étoient augmentez. Ayant donc des raifons, felon lui,fi plaufibles pour fufpendre fa credulité fur ce qu'il venoit d'apprendre, il refolut de s'en éclaircir, avant que de faire aucune fortie éclatante contre fon fils & fon Maifire d'Ecriture. Pour cela il jugea à propos d'avoir de l'écriture de Marianne, afin que la confrontant avec celle de la lettre qu'on lui avoit envoyée, il vît fi en effet celle-cy étoit de la même main. Après avoir beaucoup rêvé, pour trouver moyen d'en obtenir, fans qu'on fe défiat de fon deffein, il fe reffouvint, qu'un de fes Commis avoit un fils qui alloit apprendre à écrire chez Graphir. Il envoya querir auffi-tôt ce Commis, & lui témoigna ce qu'il fouhaitoit; il lui demanda fur tout, de lui bien garder le fecret, & d'engager fon fils à obferver la même difcretion. On ne doute point qu'un Commis, à qui fon Maiftre demande un fervice de confiance, ne fe faffe un plaifir très-fenfible & un honneur fort cha

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touilleux de le contenter: ce Commis executa l'ordre de Capion, fi promptement, que deux jours après, il lui apporta ce qu'il lui avoit demandé. Le Financier fe retira dans fon cabinet, confronta les deux écritures, & les trouva fi femblables, qu il fut entierement perfuadé que c'étoit une même main qui les avoit formées. Sur le champ, il mande Graphir. Celuy-ci vient: Capion ferme la porte du cabinet où ils étoient, afin que perfonne ne fut témoin de l'entretien qu'il alloit avoir, lui prefente le papier que le Commis lui avoit apporté, & lui demande s'il connoît cette écriture?" Ouy, Monfieur, je la connois, répondit Gra phir, & cela n'eft pas étonnant, puifqu'elle eft de ma,, fille. Hé bien, dit Capion, en lui prefentant enfuite,, la lettre, voici un autre papier qui fera peut-être,, étonnant pour vous: voyez & lifez. Le pauvre Graphir après avoir vû & lû, fut veritablement étonné. La honte couvrit fon vifage de rougeur, & immédiate. ment après, la colere produifit le même effet. 11 ne fçavoit que dire; il relút la lettre, il examina l'écriture, & plus il relifoit & examinoit, plus il avoit de confufion. Enfin il dit au Financier. "Monfieur, felon le rapport de mes yeux, je trouve que ma fille eft dans,, le defordre; mais quand je fais reflexion fur l'éduca-,, tion que fa mere & moy avons eu foin de lui procurer, & fur les preuves qu'elle m'a toûjours données,, de la fageffe de fa conduite,je me fens beaucoup por-,, té à démentir ce que mes yeux me difent. J'avoue,, qu'il me paroît, que c'eft elle qui a écrit cette lettre :,, mais je ne puis pas m'empêcher de me défier de ce qui me paroît. Capion prenant un ton goguenard, lui répondit, "Monfieur Graphir,Monfieur Graphir, quand vous ne voulez pas croire ce que vous voyez à pre-,, fent, c'eft, fans doute, que vous avez toûjours tenu,, vôtre fille dans vôtre poche; & quand même cela,, feroit, je ne vous confeillerois pas de tant compter, fur cette admirable & fage conduite;rien ne s'échape

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