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fi aifément qu'une fille, une anguille ne gliffe pas mieux". Graphir, qui vouloit ménager cet homme, parce qu'il s'y agiffoit de fon intereft par rapport à fa profeffion, fouffrit patiemment cette raillerie. Il dit feulement, qu'il alloit s'éclaircir fur cette affaire, & qu'il lui en rendroit compte. Il partit pour retourner chez lui. En chemin, il creufa par fes reflexions autant qu'il put, dans l'efprit & dans l'humeur de fa fille, dans ce qu'il lui entendoit dire, & dans ce qu'il lui voyoit faire tous les jours, dans les occafions qu'elle pouvoit avoir de voir dehors ou chez lui quelque perfonne qui pût lui être fufpecte; & il ne trouvoit rien dans tout cela, qui répondit à ce que difoit cette malheureufe lettre. Il rappella toutesfois dans fon efprit. la poche dont Capion lui avoit parlé. Il fe dit à luimême, qu'il eft vray qu'une fille a bien des reffources, pour venir à bout de ce qu'elle entreprend, quelques difficultez qu'elle y trouve, & quelque exactitude qu'on apporte à la garder. Toutes les hiftoires qu'il fçait, des peres & des meres trompez à cet égard, lui reviennent dans l'efprit: enfin il arrive chez lui en faifant ces raifonnemens, appelle fa fille, & lui raconte tout ce qui venoit de fe paffer. A peine eut-elle entendu le recit du déreglement dont on l'accufoit, que la douleur lui ferrant le cœur, & lui liant la langue, elle demeura fans mouvement & fans parole; puis tomba évanouie. Elle refta fi long-tems dans cet état, qui cet affligé pere commença à defefperer de fa vie. On la fit enfin revenir de fon évanouiffement à force de fecours. Elle ramaffa tout ce qui lui reftoit de force & de raifon, pour dire feulement ces paroles: " Mon cher Pere, montrez-moy, je vous prie, cette lettre qui me fait fi criminelle, & qui me rend fi indigne de

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Graphir convaincu entierement de fon innocence, & dont les entrailles avoient été extremement émuës par l'évanouiffement de cette fage fille, lui répondit:

,, Vivez

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de Maitre Gonin.

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entr'eux. Capion le fit expliquer de telle forte, qu il
fut convaincu que le paquet venoit de ce Religieux, &
enfin il fuivit par fes informations de l'un à l'autre, fi
exactement cette affaire, qu'il apprit que la fource de
cet envoy étoit le Religieux qui paffoit pour avoir foin
de la confcience de Gonin, fans pourtant fe periua-
der qu'il fçut veritablement ce qu'il y avoit dans ce pa-
quet.

Capion & Graphir l'allerent trouver, & lui dirent
tout ce qu'ils avoient appris, fans cependant témoi-
gner qu'ils foupçonnaffent nôtre jeune Fourbe d'a-
voir machiné cette intrigue; parce qu'ils s'attendoient
bien, que la crainte de donner atteinte au fecret dont
il étoit chargé, l'empêcheroit de l'avoüer. Capion lui
dit feulement qu'il venoit pour le remercier d'un petit
paquet qu'il avoit reçeu par fon moyen, & lui cita les
noms de ceux qui lui avoient prefté pour cela leur fe
cours. Ce Religieux qui ne pouvoit par le nier, à cau
fe de toutes les circonftances qu'on lui rapportoit, qui
reconnut fe paquet entre les mains de nôtre Financier,
& qui croyoit qu'il contenoit une reftitution, ainfi
qu'on lui avoit fait entendre, avoua fans fcrupule.

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qu'il venoit de lui. Mais il ajoûta: N'exigez point de moy, que je vous faffe connoître celui, qui me l'a,, remis: car je ne le puis en confcience. Non, mon,, Pere, je ne l'exige point de vous, répondit Capion,,, car je ne fçay que vous ne le pouvez pas. Mais eft-ce,, ce paquet-ci que je tiens entre mes mains, & fçavez vous ce qu'il contient?" Le Pere lui dit, qu'il reconnoiffoit, que c'étoit-là ce paquet, & qu'il devoit y avoir un Billet de fix cens livres, payable au Porteur, dont on lui faifoit reftitution." Lifez ces deux Let-,, tres, repliqua Capion, c'eft ce qu'il contenoit. Le Pere les lut, non fans trouble, non fans étonnement non fans douleur d'avoir contribué à conduire un fi horrible ftratagême il connoiffoit affez Capion & Graphir, pour être perfuadé qu'ils ne lui impofoient

point. Ah! Meffieurs, s'écria-t-il, quel fourbe! A qui fe fiera-t-on, puifqu'un enfant eft capable?..... II s'arrêta-là tout court: car il s'apperçut qu'il enfiloit des exclamations qui auroient fait connoître l'auteur de cette trahison: mais Capion & Graphir n'avoient pas besoin d'un plus grand éclairciffement, parce qu'ils ne douterent pas que ce ne fuft-là un Tour de Gonin.

Ayant quitté ce Religieux, ils s'entretinrent enfemble fur cette maligne intrigue, convinrent, fans hefiter, de l'innocence de leurs enfans, & fe féparerent bons amis. Dinal continua d'aller chez Graphir, & Marianne reprit fa tranquillité.

Mais Gonin n'étoit pas fi tranquille. Comme il avoit été fort allerte, pour s'inftruire de tout ce qui fe paffoit fur cette affaire, il en apprit le racommodement, le foupçon qu'on jettoit fur lui, les preuves qu'on en avoit, & prit le parti de ne plus retourner au Religieux, ni chez Graphir; aufli n'avoit-il plus befoin de celui-ci : car il s'étoit perfectionné dans l'écriture; ni befoin de celui-là: car il ne s'en fervoit que pour la forme. Ce fut particulierement après ce cruel tour joué à Marianne, que l'on commença de l'appeller Maiftre Gonin. Dans la fuite, il fe rendit bien plus digne de ce nom, puifqu'il n'y eut jamais homme auffi maiftre & auffi habile que lui en rufes, en artifices & en foupleffes. Avant que d'entrer dans le détail de fes habiletez, je juge à propos d'apprendre au Lecteur ce qui fe paffa entre Dinal & Marianne, depuis que Gonin avoit voulu faire croire,qu'ils étoient en commerce d'amour. J'en abregeray l'hiftoire, afin de ne pas perdre trop long-tems de vûë mon Heros.

,

Dinal continua, ainfi que j'ay dit, d'aller chez Graphir afin d'achever de fe perfectionner dans l'art d'écrire. La premiere fois qu'il vit Marianne, après cette rentrée, il fit beaucoup plus d'attention fur elle,qu'il n'en avoit fait jufqu'alors. Marianne de fon côté, fentit, que la rogueur lui montoit au vifage, & fe trouva

embar

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embarraffée. La feconde fois. Dinal lui parla gratieufement; Marianne lui répondit avec civilité. La troifiéme fois Dinal lui temoigna combien il avoit de chagrin d'avoir fervi d'inftrument à Gonin pour lui faire de la peine. Marianne l'en remercia, & fe fentant dif pofée à verfer des larmes par ce reffouvenir, elle le quitta fort triftement. Dinal en fut attendri; c'est pourquoy la quatrième fois il lui marqua fi vivement combien il étoit fenfible à la douleur, qu'il lui avoit caufée, qu'elle en fut attendrie auffi, & trouva même quelque plaifir de voir qu'il prenoit tant de part à ce qui la regardoit. La cinquième fois, cette affaire fut encore le fujet de leur converfation, & ils y trouvoient tant de goût, qu'il fembloit qu'ils avoient de la joye de tout ce qui étoit arrivé. La fixiéme fois, ils parlerent moins que les autres, parce qu'ils penfoient beaucoup plus, & que ce qu'ils penfoient ne leur étoit pas pour lors aifé à dire. La feptiéme fois, ils n'en di rent gueres plus qu'à la fixiéme: mais les yeux fe parlerent à merveille, & fuppléerent fi bien au filence que les deux Parties n'avoient point du tout befoin d'interprête, pour s'entendre. La huitiéme fois, Dinal foupira fouvent, & Marianne ne fit pas femblant de s'en appercevoir. La neuviéme fois, Dinal ne difoit prefque mot, mais fes regards demandoient extremement permiffion de parler; car il avoit bien des choles à dire; & Marianne auroit bien voulu qu'il eût parlé fans en demander permiffion La dixiéme fois Dinal la vovant inquiéte, il lui témoigna qu'il craignoit fort que fa prefence ne l'ennuyât & ne lui fût importune. Marianne repondit, qu'il ne l'ennuyoit point; mais qu'elle apprehendoit qu'on ne remarquât, qu'ils se voyoient fouvent, & qu'on n'en fit des raifonnemens qui lui fuffent auffi defavantageux, que la Lettre de Gonin. Car il faut remarquer, que ces entreveuës ne fe firent pas loin à loin. Chaque jour avoit la fienne, parce que chacun y contribuoit de fa part & de Са

fon

fon mieux, pour en faire naître l'occafion. Dinal apprenant de la bouche même de Marianne, qu'il ne l'ennuyoit pas, conçût de favorables efperances, & prit enfin refolution de s'expliquer, c'est-à-dire, de parler d'amour: car il l'aimoit paffionnément,& commençoit à ne pouvoir plus vivre fans elle. Et elle n'avoit point de plaifir plus fenfible, que, quand ellé étoit avec lui. Je ne veux point continuer de fuivre pas-àpas l'hiftoire de cet attachement. Tout le monde fçait, ou par fa propre experience, ou pour l'avoir remarqué dans les autres, comment fe conduifent d'ordinaire les manéges de l'amour. Pour abreger, je dis donc, qu'ils s'aimerent l'un-l'autre reciproquement, toûjours en veuë du mariage; qu'ils prirent de fi fùres mefures, pour se voir fecretement pendant quelques mois, que perfonne ne s'en apperçut, & qu'enfin, aprés bien des difficultez, principalement de la part de Capion, qui s'oppoferent à leur paffion, quand elle fut connue & declarée, ils fe marierent enfemble du confentement de leurs peres, & vécurent dans une fi douce & fi étroite union,que tout le monde convenoit qu'ils fembloient avoir été faits l'un pour l'autre. Concluons de cette petite Hiftoire, qu'à force de dire à un homme & à une femme, qu'ils s'aiment, on leur donne avis, qu'ils peuvent s'aimer, & que rien n'eft fi naturel que d'être tenté de fuivre cet avis, & de fuccomber à cette tentation.

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