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etoit en commerce à cet égard, avec quelques Dames pieufes comme elle, & quelques Religieux & Ecclefiaftiques qui la pouvoient édifier. Tres-peu de fes parens entroient dans ce commerce; auffi n'en avoit elle pas beaucoup. Quand ils venoient chez elle, ils avoient lieu d'être contens, s'ils ne demandoient que d'être traitez avec l'honnêteté & la civilité qu'on obferve envers ceux que l'on confidere veritablement. Mais elle n'en vouloit pas trop de frequentation. Enfin elle évitoit autant qu'il dépendoit d'elle, tout ce qui la pouvoit détourner de la vie reguliere qu elle s'étoit propofée pour le reste de fes jours.

Maître Gonin qui étoit l'homme du monde le plus vigilant & le plus attentif fur ce qui pouvoit lui convenir & accommoder fes affaires, & qui pour cela chaffoit fans ceffe de l'œil & de l'oreille, afin de faire quelque découverte qui lui fuft favorable, sçut bien-tôt qu'il avoit une telle voifine. La bonne trouvaille pour lui ! Que l'eau lui en vint à la bouche! Qu'il médita de projets! Qu'il roula de deffeins! qu'il imagina d'artifice pour la faire devenir fa dupe ! Une femme dévote de bonne foy, & même de trop bonne foy, qui eft en même tems fort vieille, fort riche, qui n'a point d'enfans, & qui n'a avec le peu de parens qui lui reftent, que des commerces de civilité, quel objet pouvoit être plus amorçant pour un homme comme Gonin qui faifoit autant qu'il pouvoit fon profit de tout? 11 refolut donc de faire connoiffance aves Theonime. Il prit pour cela fes mefures de bien loin. Il tâcha d'apprendre à qui elle confioit la conduite de fa confcience, & apprit que c'etoit un Ecclefiaftique qui s'étoit fait une reputation fameufe dans l'art de diriger; & dont la rigidité avoit particulierement formé & établi cette reputation. Il étoit veritablement homme de bien d'excellentes mœurs, d'un grand defintereffement, & d'une droiture impliable, quelques violences ou quelques artifices qu'on employait pour lui faire changer

de

de fentiment, quand il le croyoit fondé fur la verité la juftice. Ni flateries, ni careffes, ni menaces ne le pouvoient ni féduire ni ébranler à cet égard Quoyque l'idée que j'en donne ne lui foit que glorieufe, je déguiferay pourtant fon nom fous celui de Themiftor, parce que je me fuis impofé la loy de n'en faire connoistre perfonne. Gonin,ainfi qu'on le voit, fe propofoit d'avoir affaire avec deux perfonnes dont les caraeteres étoient bien differens du fien. Il falloit pourtant, pour arriver à fes fins, qu'il fe conformaft à leur efprit; qu'il paruft être à peu prés, ce qu'ils étoient, c'est-à-dire, veritablement devot, defintereffé, charitable, droit & détaché du monde ; c'est ce qu'il entreprit, & il en vint parfaitement à bout. La premiere démarche qu'il fe perfuada devoir faire, ce fut de ga gner Themiftor, en fe mettant fi bien dans fon efprit, qu'il lui fift croire tout ce qu'il voudroit. La maniere dont il s'y prit va affurément paroître également étrange & déteftable. Il commença par frequenter fouvent Ï'Eglife où ce faint Homme rempliffoit les devoirs de fon miniftere, prenant fi bien fes mefures, qu'il s'en fit remarquer par d'excellens endroits, fçavoir par l'aumône qu'il donnoit à tous les pauvres qui la lui demandoient; par une modeftie & une attention Angelique qu'il obfervoit en priant, reftant quelquefois deux heures entieres dans cette fituation. Ce manége hypocrite dura deux mois, pendant lefquels Themiftor étoit charmé de voir un homme fi charitable, fi affidu au Service divin, & priant Dieu de fi bon cœur. Il fouhaitoit même pour fa propre édification faire connoiffance avec lui; Maître Gonin le fouhaitoit encore plus à fon égard: car toutes ces démarches ne tendoient qu'à cela. Voici comment il en fit naître l'occafion. Un jour qu'il prioit à fon ordinaire, & qu'il remarqua que Themiftor le confideroit avec beaucoup d'attention, il tomba en foibleffe, & enfuite dans un évanouïffement de commande; de forte qu'il parut D

avoir

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avoir perdu connoiffance & être en danger de fa vie. Themiftor touché de compaffion de voir un homme réduit dans cet état par le zele & l'affiduité de fa devotion, accourut à lui, le fit emporter dans la chambre, & là il lui donna tous les fecours que fa charité pur imaginer, pour le faire revenir à lui; mais il cut beau faire, Maître Gonin ne revint que quand il crut qu'il étoit tems; il vouloit auparavant entendre quels fentimens le bon-homme avoit de lui, & comment il les exprimeroit. S'étant donc fatisfait là-deflus, & en étant content, il reprit fes efprits, mais fi foiblement, qu'il les reperdit quelque tems après. Nouvel empreffement, nouveaux fecours de la part de Themiftof; les larmes lui en venoient aux yeux, tant il étoit senfible à la trifte fituation de ce faint mourant. Nôtre fourbe fe remet pour la feconde fois de cette fituation; il ouvre des yeux languiffans, regarde de tous côtez avec étonnement le lieu où il étoit, les perfonnes qui l'entouroient, & comme s'il fe fuft imaginé avoir été tranfporté dans un autre monde, il demande où il eft. Le faint homme l'excite à reprendre courage, l'affure qu'il fe trouve au milieu de fes meilleurs amis, le pric de ne s'inquieter de rien, mais plûtôt, de reprendre fes forces, pour continuer de fervir Dieu Maître Gonin veut fe mettre à genoux pour lui demander pardon de l'importunité qu'il lui a apportée, pour le remercier de fes peines & de fes foins, & pour le fupplier de luj accorder fes prieres auprès du Seigneur. Au milieu de toutes ces grimaces, Themiftor le reléve & l'embraffe tendrement. Ilfe fait entr'eux un combat de complimens de zele, de charité, de reconnoiffance, qui donna tant d'agitation à Maître Gonin, qu'il retomba encore en foibleffe, non pas pourtant affez grande pour lui ôter la connoiffance & la raifon. Cette troifiéme foibleffe lui donna occafion de prier Themiftor de le confeffer, parce qu'il fe fentoit, difoit-il, en danger de mourir. Themiftor y confent, & voilà enfin Go

nin parvenu au but de fes premieres intrigues. Il ne. faut pas douter qu'il ne fift une declaration fort artificieufe de fes fautes, & une confiance fort étudiee de fes inclinations & de fes penchans ; qu'il ne donnât une idée de lui-même tout-à-fait proportionnée à ses veuës; qu'en fe difant pecheur, autant que cette confeffion ne lui pouvoit pas nuire, il ne fe montrat fort éclairé & fort habile, car fes deffeins exigeoient particulierement qu'il ne parût pas pecher par ignorance. On ne fçait point de quoy il s'accufa, mais on doit conclure de ce qui arriva dans la fuite, qu'il ne dit rien qui put empêcher de lui confier fans referve, tout ce qu'on avoit de plus fecret. Après qu'il fe fut acquité de cet exercice de Religion, il fe trouva beaucoup mieux: le bon Themiftor qui rapportoit toûjours fes jugemens à de favorables interpretations, pour peu que quelque circonftance lui en donnât occafion, ne manqua pas d'attribuer ce mieux à ce que fon nouveau Penitent venoit de faire : il en fut fi charmé, qu'il ne pouvoit l'abandonner. Que les veritables gens de bien font faciles à devenir dupes!

Maître Gonin, charmé de fon côté d'avoir fi heureufement réüffi ne put fi bien cacher fa gayeté, qu'el le ne s'échapât: la précaution fuivit de prés, pour éloigner l'interpretation qu'on en pouvoit donner, & pour s'en faire un merite auprés de Themiftor: "Ah! quelle joye pour moy, s'écria-t-il, de vous avoir ouvert,, mon cœur, de m'être déchargé de mes fautes & de,, mes foibleffes dans vôtre fein ! permettez-moy,,, Monfieur, ajoûta-t-il," de me donner fouvent certe confolation. Jamais je ne me fuis trouvé fi tranquil-,, le. Sans doute le Ciel m'a mis aux portes de la mort,,, afin de me procurer ce bonheur"! Il alloit enfiler une grande fuite d'exclamations obligeantes pour le bonhomme, fi celui-ci confus de ce qu'il venoit d'entendre, & craignant que fou humilité n'en fut endommagée,ne l'avoit arrêté dans cette courfe des flateries. A D 2

prés

prés une converfation affez longue, & où chacun brilla beaucoup en expreffions de pieté, Maître Gonin fe re tira chez lui.

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Il retourna enfuite à fon ordinaire dans la même Eglife, fe montrer à Themiftor avec cet exterieur mortifié & devot, qui lui avoit fi bien réüffi. Il affecta toutefois de fe placer dans quelque coin fort écarté, comme s'il n'avoit pas voulu qu'il le vît, avec pourtant de nouvelles adreffes, felon l'occurrence, pour être remarqué quand il entroit ou qu'il fortoit. Il eut enfuite plufieurs conferences avec fon Directeur, où il montra également du fçavoir & de la Religion. Themiftor le regardoit avec autant d'admiration, qu'il en étoit édifié. L'autre le pouffa jufqu'à un tel point, que quand il lui venoit quelque cas de confcience, dont la décifion étoit difficile ; il confultoit Maître Gonin, & fuivoit le plus fouvent fon avis: de forte qu'il dirigeoit *prefque fon Directeur. Il fe forma entre eux une fi grande union,qu'ils fe voyoient prefque tous les jours, & mangeoient même quelque fois enfemble, Quand Themiftor alloit voir Maître Gonin, il trouvoit toû→ jours fur fa table, l'Ecriture Sainte, quelques traits de la compofition des Peres de l'Eglife, & des Livres de la plus fublime fpiritualité, avec d'autres petits ouvrages de fa façon fur des fujets de Theologie, écrits avec beaucoup d'érudition, de pieté & d'éloquence. Themiftor parloit par tout de fon illuftre Penitent: (c'est ainfi qu'il l'appelloit) il en entretint fouvent Théonime, & lui en prôna tant le merite, qu'il lui infpira une forte envie de le connoître. Il en parla à fon illuftre Penitent; & ce fut alors que celuy-ci joüa encore des mieux fon perfonnage. Il rejetta d'abord cette propofition avec de certains mouvemens qui reffembloient parfaitement à ceux de la colere. " Monfieur, lui dit,, il, je ne cherche point du tout à faire de nouvelles ,, connoiffances, à moins que ce ne foit avec des gens faits comme vous: encore faudroit-il pour cela, que

"

je

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