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tant que vous voudrez de raisons à un efprit de contradiction, pour le faire changer de fentiment; il ne les écoûte pas; il eft fi occupé, fi pénétré des fiennes, qu'il n'en démord point. Ilfe tient toujours en garde contre la verité, de peur que s'il venoit à la connoitre, il ne fe trouvát obligé de s'y rendre & de la fuivre aux dépens de fon opinion. Il s'enfuit de tout cela, qu'il faut toujours lui temoigner le contraire de ce que l'on fouhaitte, fi l'on veut être affuré de l'obtenir. C'est hazarder, il eft vray; mais je ne vois rien de mieux, rien de plus convenable.

Efprit mélancholique. Un mélancholique ne fe déride prefque jamais le front; il ne penfe prefque tʊùjours que des chofes funeftes. On dit qu'il mange fon cœur, tant le chagrin le dévôre. Il a cependant de certaines fenfibilitez comme les autres ; & c'est par-là par ticulierement qu'on le peut prendre. Il y a cet avantage avec lui, que, quand on l'a pris, il n'échappe pas aifément; parce que n'étant point diffipé, il n'est pas tenté d'aller ailleurs.

Efprit guay. Il aime la joye, il a de la joye, il donne de la joye. Il donne par confequent autant de prifes fur lui, qu'il y a de chofes qui peuvent le réjouir. Que l'on merite auprés de lui, fi on le tire d'un objet, d'une occafion, d'un lieu, d'une affaire qui lui auroit caufé de la tristeffe ! Il paye volontiers un fervice qui lui eft rendu fi à propos.

Efprit inégal. Etudiez-le continuellement; & quand vous aurez trouvé un moment, auquel il aura des fentimens favorables pour vous, faififlez-yous-en, pour le faire venir où vous vifez: car dans le moment fuivant, il ne fera plus le même. S'il ne vous eft pas favorable, ne quittez pas prife pour cela ne défelperez point: fon inégalité eft un garand de vôtre efperance. Quand on a affaire avec un efprit inégal, il faut s'imaginer que l'on a affaire avec plufieurs efprits differens, tant il y en a de fortes, dont-il fait le perfonnage.

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Voyez

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Voyez donc bien le perfonnage qui vous conviendra
le mieux, & pendant qu'il le reprefente, tirez-en ce
que vous delirez.

Efprit diftrait. Lui parle-t-on ? Il n'écoute pas la
moitié de ce qu'on lui dit. Eft-il meflé dans une con-
verfation? Il ne la fuit point; fes penfées l'emportent
ailleurs. On diroit qu'un homme qui a cet efprit, n'en
porte jamais avec lui que la moitié. S'il arrive enfin
qu'il l'ait tout entier, des inutilitez, des bagatelles le
mettent en mouvement, le partagent, & en empor-
tent la meilleure partie: & ainfi on l'empêche aifé-
ment d'être attentif à ce qu'on craint qu'il écoute, de
fuivre une affaire dont on apprehende le fuccés. La
diffipation, dont il eft extremement fufceptible, eft
une grande reffource pour le détourner, & enfuite la
ranger au point qu'on veut.

Efprit vain. Qui eft glorieux, fuperbe, qui eft enteté de fon merite; tout plein de l'idée de fes prétenduës belles qualitez ; qui méprife tous les autres, parce qu'il n'eftime que lui même: qui ne fe tient obligé à perfonne, parce qu'il préfume qu'on lui doit tout. Avec cet efprit il faut toûjours être fur le ton loüangeur, fur les expreffions flateufes, fur les fituations refpectueufes, fur les démonftrations foûmifes; avec cet exterieur étudié, on l'attire, on fe fait écouter, on le charme, on l'enchante, & enfin on le foûmet lui-même de telle forte, qu'il ne refufe rien de ce qui dépend de lui, parce qu'on lui donne ce qu'il fouhaite le plus. C'eft un pot à deux anfes, qu'on porte où l'on veut, quand on le tient par les oreilles. C'eft un tonneau dont on eft affuré de tirer ce qu'on lui demande, pourveu qu'on lui donne du vent. C'est comme une femme qui ne peut faire de refiftance, quand on fçait bien la cajoler.

Efprit railleur. Tourner en ridicules ceux qui l'approchent, fe moquer d'eux, rire à leurs dépens; voilà fa profeffion. Entendre fes railleries fans en montrer

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Au reffentiment; faire femblant d'en rire, voilà quelle doit être la profeffion de ceux à qui il en veut pour fe divertir, & qui lui en veulent pour en tirer quelque. profit. Voyez la conduite des Parafites; ils pouflent leur complaifance bien au-delà envers les grands, dont la table les fait vivre, & s'en trouvent bien. A la verité un honnête homme peut difficilement fe réduire à faire un fi odieux perfonnage, fans une tres-fenfible mortification; mais enfin ç'en eft une bien plus fenfible, que de fe voir dans la neceffité de mourir de faim. J'ay été autrefois fouvent en butte aux brocards d'un railleur ; j'avois des raifons pour ne pas les repouffer avec toute la vivacité dont je me trouvois fort capable. Je le laiffois dire fans replique, & lui les continuoit fans relâche: car le caractere de la plupart de railleurs, c'eft de s'attacher fur tout à ceux qui femblant les craindre, ne leur répondent rien. Enfin ces raifons de ménagement pour lui ne fubfiftant plus, je me donnay l'effort, je fortis de ma léthargie, je le pouffay fi loin, que perdant terre, il crut ne devoir point prendre d'autre parti, que de me demander quartier; c'est ce qu'il fit, mais fecretement, pour s'épargner de la confufion, & je le lui accorday. Il falloit voir comment il me ménageoit à fon tour, & les fervices qu'il me rendit pour m'engager à lui tenir conftamment la parole que je lui avois donnée de ne le railler jamais, qu'il ne m'y eût excité en me raillant le premier. Nous fumes reciproquement tres contens l'un de l'autre, avec cette difference pourtant,qu'il me fit beaucoup de bien fans retour.

Efprit familier. Je n'entends pas par efprit familier, un de ces efprits qu'on appelle folets, de ces lemures, de ces farfadets, de ces demons ou lutins, dont les bonnes femmes & les enfans font extrémement effrayez; parce que, fi l'on veut les en croire, ils leurs apparoiffent en les inquiétant par mille espiegleries, comme de faire des tintamares épouvantables, de re

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muer les meubles de leur place, renverfer la vaiffelle, ouvrir des rideaux, tirer des couvertures, & faire d'autres fingeries, où l'imagination à la meilleure part. Ce n'eft pas de ces efprits, dis je, que je veux parler ici; c'eft de ces gens familiers, qui ne veulent fe contraindre pour perfonne qui fe donnent toute liberté, qui, fans fe mettre en peine des regles de la politeffe & du ceremonial, traitent fans façons avec tout le monde, entrent chez les gens tels qu'ils foient & en fortent, comme s'ils entroient dans leur ptopre maison, ou comme s'ils en fortoient, tutoient indifferemment tout le monde; comme fi tous ceux qu'ils rencontrent, à qui ils parlent, avec qui ils ont commerce, étoient, ou leurs domeftiques, ou leurs égaux. A ces efprits il faut rendre la pareille, traiter fans façons,fans ceremonie, fans circonfpection avec eux. Une familiarité reciproque produit une espece d'union qui peut avoir fes utilitez, fi l'on a affez d'adreffe pour la mettre à profit. On en prend occafion de demander plus hardiment; on leur expofe avec plus de liberté les befoins qu'on a de leurs fecours. N'eft-il pas jufte de faire payer un peu cher à cet efprit familier, le droit qu'il s'attribuë de fe difpeafer de la confideration & des égards que la politefle exige que l'on ait pour les honnêtes gens? Il ne veut fe gefner avec perfonne, pourquoy fe gefneroit on avec lui? Pourquoy n'oferoit on lui dire; "Puifque tu es riche, & que tu peux me fou,, lager, voy mon état, je te l'expofe familierement, ,, foulage moy done". Il n'y a que les honteux qui perdent; & c'eft affurément avec les gens familiers, qu'il faut être le moins honteux.

Efprits animaux. On va s'imaginer, que je vais parler medecine: car on entend d'ordinaire par efprits animaux, certains petits corps tres-fubtils, tres mobiles, tres-remuans, contenus dans le cerveau & dans les nerfs, qui ont été féparez des parties groffieres du fang, qui font auteurs du fens & du fentiment animal.

Ce

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Ce n'eft point affurément de ces fortes d'efprits, que je prétends parler ici; mais de certains efprits, de certaines gens, qui tiennent fi fort de la bête, qu'à les confiderer dans un certain point de vûë, ce n'eit point du tout leur faire injuftice, que de les appeller efprits animaux. J'entens donc ces efprits groffiers, fots, ftupides, lourdaux, bouchez, fteriles, animaux à figure humaine, qui ne raisonnent prefque point; qui ne peuvent rien comprendre, ni retenir, qui femblent agir bien moins par raifon, que par inflinct; c'est-àdire, par cette difpofition naturelle donnée aux bêtes pour le conduire & rechercher ce qui leur eft propre, & qui fupplée chez elles au-défaut du raifonnement. Quand Jean Befte eft mort, il a laiffé bien des heritiers. Ce proverbe veut nous faire entendre, qu'il y a un nonibre prodigieux d'efprits animaux, auffi voit-on bien des beftifes. Ce feroit un détail fort réjoüiffant, que celui qui rapporteroit toutes les efpeces de ces ef prits qu'on remarque dans le monde, & qui s'étendroit même jufqu'à reprefenter tous les individus de ces efpeces; mais il ne s'agit pas de cela ici; mon deffein exige feulement, que je m'inftruife moy-même de la conduite que je dois obferver à leur égard, pour qu'ils ne me foient pas inutiles. Comme il y en a beaucoup, il est donc de mon intereft, que je ne neglige pas de me donner cette inftruction. Voici ce que j'en penfe. Avec des gens qui ne raifonnent prefque point, ne feroit-il pas à propos de raifonner beaucoup Car par ce moyen on peut les étonner, les étourdir, & ainli les pouffer, fans qu'il s'en apperçoivent, jufqu'au but où l'on fouhaite qu'ils arrivent. Avec des gens fots, groffiers, ftupides, lourdauts, ne conviendroitil pas, pour les attirer par l'attrait de la fympathie, de paroître quelquefois lourdaut, ftupide, groffier, fot? Car la reffemblance engage, au lieu de rebuter. Avec des gens qui n'agiffent prefque que par inftinet, ne fuffiroit il pas, pour s'en rendre le maître de flater leurs

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fens;

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