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qu'on verra aprés que j'auray rapporté, comme je l'ay promis, la lettre que Bibion lui écrivit.

LETTRE

DE BIBION A MAISTRE GONI.N.

Que nous nous sommes afsociez d'un habile homme! L'admirable genie pour tourner les efprits de tout un peuple, le faire venir à fon but ! le patelinage, les minanderies, l'entregent, les châtemiteries, les diffimulations, La fcience & la pratique de l'à propos dans les condefcendances, les flateries & les careffes, la fermeté, la patience, la prudente hardieffe, Planofpe à tout cela au fouverain dégré. La bonne écôle pour moy, que la focieté de cet homme! que je me fçay bon gré de vous l'avoir produit! je n'entrepoint dans un détail, pour vous prouver ce que je viens de vous dire de lui; vous en étes, fans doute, perfuadé après la lecture de mes lettres précedentes, où je vous ay rendu raifon de fa conduite; & par la Lecture de fa derniere, où, ainfi qu'il m'en a affuré, il

us apprend le fuccès da fa terre rouge, ce qu'il fait comme Medecin. F'ajouteray feulement, qu'à le voir agir, je le prendrois pour un veritable Medecin, tant il en a le manege, fi je ne fçavois d'ailleurs, qu'il n'a pas plus étudié de Medecine que moy. IL luy manque pourtant de débiter les termes de l'art, j entens ces mots myferieux que le vulgaire ne comprend point, quoy qu'il dife tous les jours les mêmes chofes qu'ils fignifient; mais il prend fi bien fes mefures,, que quoy qu'il ne s'en ferve pas, fa reputation n'en fouffre point. Il connoît à prefent prefque tout ce qu'il y a de gens les plus confidera

Tome II.

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blea

bles dans la ville; oinfi concluez, qu'il fçaura bien vous aider à deviner tout ce qui les regarde, quand its vous confulteront. Il paroîtra pourtant être votre ennemi, n'ajouter aucune foy à votes, ainfi que nous en fommes convenus. Je vous expliqueray exactement l'arrangement que nous avons fait là-dessus, quand vous fcrez ici. Il me prie de vous apprendre une chofe qu'il a oublié de vous annoncer dans fa lettre, & qu'il eft juste que vous (çachiez, puifqu il s'y agit également de vos interefts & des nôtres: c'est que les prefens qu'on lui fait en qualité de Medecin, font affez confiderables, pour fuppléer à la mediocrité du prix qu'il a mis à fes paquets de terre rouge. Je puis vous affurer, fans craindre de me méprendre, qu'il vous en tiendra fidéle compte. Je vous ay dit autrefois, qu'il raffembleroit en nôtre faveur touse la bonne foy qu'il refuferoit aux autres : je compte tout à fait la-deffus,j en ay tous les jours des preuves: com❤ ptez y de même, je vous prie, er fiez vous à moy. Bientot nous vous manderons, afin que vous veniez travail. ler avec nous; parce que dans neuf mois ou environ, apparemment il nous conviendra de fortir d'ici. Il faudra neceffairement que nous mettions alors les morceaux en double, fi nous prétendons en partir en bonne conche. Jefuis, c.

Après que Gonin eut reçû les deux lettres qu'on vient de lire, & qu'il les eut examinées avec attention, il prit le parti de jouer un tour de fon métier, non feulement pour montrer à fes deux amis ce qu'il fçavoit faire; mais encore pour augmenter la reputation que Planofpe s'étoit acquife dans l'art de la Medecine, où il avoit fait de fi grands progrès pour fon profit, indépendemment des regles de l'école, dont il n avoit aucune connoiffance. Je ne fçay par quel hazard il fit habitude avec un certain homme que j'appelleray Rianor, qui avoit une femme, à qui je donne le nom de Citarine. Comme cet homme & cette femme doivent joüer

jouer de grands rôles dans cette hiftoire, en ce qu'ils font le fondement & les principaux inftrumens du tour que Gonin avoit deffein de jouer, il eft neceffaire que je les faffe affez connoître, pour que rien n'arrête l'intelligence du recit que je vais faire

Ce Rianor étoit établi avec fa femme dans la ville de Varica, où fa fortune étoit des plus médiocres, puifqu'à peine fa chere moitié & lui avoient-ils de quoy fubfifter. Ils pouvoient tous deux paffer encore pour jeunes. L'un & l'autre manquoient bien plus de conduite que d'efprit; & c'eft ce défaut de conduite, qui avoit extrémement dérangé leurs affaires. Le mary jouoit & buvoit avec excès, fuyoit le travail & aimoit beaucoup le plaifir, qualitez qui n'enrichiffent affurémen jamais. La femme fongeoit bien plus à fe couvrir de parures, à fe promener, à babiller & à coqueter, qu'à regler fon ménage. Quand l'argent venoit, Ja premiere chofe qui leur venoit auffi dans l'efprit,c'étoit de fonger à le dépenfer ; & à cet égard ils s'accordoient parfaitement enfemble: car ils fe le partageoient entre eux deux avec une fidelité admirable, & cnfuite chacun en difpofoit en toute liberté, felon fon inclination. L'un n'en demandoit jamais compte à l'autre, quand il étoit confommé. Ils vivoient, comme on dit, au jour la journée, fans fe donner la moindre inquietude ni le moindre foin pour l'avenir: enfin ils fe reduifirent par cette imprudence, dans un fi pitoyable état, qu'ils ne fubfiftoient que d'induftrie, chacun felon fon talent; mais quelque fçavoir faire qu'ils euffent, ils fe trouvoient à la veille de n'avoir plus de reffource. Cette fituation, comme on voit, donnoit entrée à bien des fortes de propofitions, quand il fe trouvoit quelqu'un d'humeur à leur en faire.

Dans le tems que Planofpe & Bibion faifoient leurs commerces à Varica, Rianor demeuroit à Damoram, où il étoit venu paffer quelques mois, pour des affaires que je ne diray point, parce qu'on n'en dit rien dans

mes Memoires. Auffi ne paraît-il pas qu'il foit important pour cette Hiftoire de les fçavoir, c'eft pourquoy je ne me fuis point du tout intrigué pour les deviner. Maître Gonin fit alors connoiffance avec Rianor, apparemment en vue de s'en fervir pour le ftratageme qu'il trâmoit. En effet, un homme comme Rianor qui avoit de l'efprit. qui étoit affamé, & qui par confequent ne manquoit pas de bon appetit, étoit julle. ment ce qu'il lui falloit. Rianor qui de fon côté remarquoit dans Gonin un efprit adroit, intriguant, fouple, artificieux, & qui le voyoit affez riche, pour s'attendre d'en tirer quelque foulagement, s'il pouvoit parvenir à lui plaire, fe rendit fi affidu auprès de lui, s'étudia à lui marquer tant de complaisance, flata fi bien toys fes défauts, entra fi bien dans toutes fes hu meurs, fe rendit fi volontiers à tout ce qu'il fouhaitoit, qu'il jugea par de certaines démonftrations exterieures, qu'il avoit enfin gagné fon affection. Il ne fe trompoit point: car Gonin, après quelques épreuves qu'il fit de fon attachement & de fa fidelité, l'aima veritablement, & fe confia en lui fur plufieurs de ses affaires, particulierement fur l'intrigue concertée entre lui, Bibion & Planofpe, pour la ville de Varica. Cependant, avant que de le mettre en œuvre, il voulut fe l'attacher à lui-même avec un lien qu'il ne put rompre, fans fe caufer bien du dommage & du chagrin. Il n'ignoroit pas, qu'on ne doit point fe fier de telle forte aux gens, qu'on n'ait pas quelque porte de derriere, afin de n'en avoir rien à craindre, s'ils venoient à manquer de bonne foy, comme il peut arriver, & comme en effet il n'arrive que trop fouvent. Une occafion qui fe prefenta naturellement, lui four nit le moyen de prendre la précaution qu'il cherchoit. Voici de quelle maniere.

Un jour que Rianor, qui d'ordinaire étoit fort en joué parut extrémement trifte & fonge-creux, Gonin qui n'avoit pas accoûtumé de le voir de cette hu

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meur, mais qui au contraire fe divertiffoit beaucoup de fa converfation, parce qu'elle étoit prefque tou jours gaye, lui demanda la raifon de la mélancholie où il fembloit être plongé. Rianor fit quelques efforts, afin de prouver qu'il n'étoit pas plus chagrin qu'auparavant; il fe mit même fur le ton plaifant, tâchant de déguifer autant qu'il pouvoit ce qui fe paffoit dans fon interieur. Il eut beau faire, Gonin "qui étoit penetrant, le preffa fi vivement, qu'il en eut cette réponse.

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Si j'avois pû, Monfieur, lui dit Rianor, vous ca-,, cher mes inquietudes, je vous protefte, qu'il ne,, vous en auroit jamais rien paru; mais je n'en ay pû,, venir à bout. Auffi font elles fi violentes & fi legiti-,, mement fondées, qu'il m'eft impoffible de les fur-,, monter. Puifque vous voulez que je m'ouvre à vous fur ce qui m'afflige, je vais le faire, après vous avoir,, prié inftamment de croire, qu'en vous l'apprenant,,, je n'ay aucun deffein de vous être à charge, c'est-àdire, de vous demander un fecours qui vous foit onereux, pour me délivrer de la mauvaise affaire qui me tourmente. Seulement je vous fupplie de m'aider de vos confeils, afin de m'apprendre où je,, pourrois trouver quelque retraite qui me mit en,, fureté contre le danger qui me menace. Il lui expli-,, qua enfuite en quoy confiftoit cette mauvaise affaire. Il lui dit donc, qu'il avoit vû dans la ville un homme à qui il devoit une fomme d'argent qu'il avoit empruntée de lui dans un preffant befoin; qu'il fçavoit de fcience certaine, que cet homme avoit obtenu une prife de corps pour le faire mettre en prifon, & que fans doute il n'étoit venu à Damoram, qu'afin d'en venir à bout. Gonin le confola d'abord feulement de paroles. Puis après avoir été convaincu que cet homme étoit dans une veritable confternation, & craignant qu'il ne s'enfuit ailleurs, il le retint chez lui,

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