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Madame de Gaffion l'aînée des trois fœurs, il étoit fon Fils. Quelque aimable que fût naturellement un jeune Enfant étranger dans une maifon, il falloit encore que pour y être aimé de tout le monde il fçût bien fe rendre aimable. On lui fit apprendre les Mathematiques, apparemment parce que le féjour de Rochefort lui avoit donné lieu de faire paroître des difpofitions à entendre la Marine; enfin on avoit très-bien rencontré, & l'on vit par fon application & par fes progrès qu'il étoit dans la route où fon génie l'appelloit.

Il ne s'inftruifoit pas par une grande lecture, mais par une profonde méditation. Un peu de lecture jettoit dans fon efprit des germes de penfees, que la méditation faifoit enfuite éclorre & qui rapportoient au centuple. Il cherchoit les Livres dans fa tête, & les y trouvoit. Ce qu'il y a de plus fingulier, c'eft qu'il penfoit beaucoup, & paffoit peu de tems dans fon Cabinet, & dans la retraite. Il penfoit d'ordinaire au milieu d'une converfation, dans une Chambre pleine de monde, même chés des Dames. On

fe

fe mocquoit de fa rêverie, & de fes diftractions, & on ne laiffoit pas en même tems de les refpecter. Il faifoit naturellement & fans affectation, ce qu'avoit fait pour une épreuve ou pour une oftentation de fes forces, ce Philofophe qui fe retiroit dans un Bain public où il alloit méditer.

Il y a apparence que M. Renau lut la Recherche de la Verité, dès qu'il fut en état de la lire. Son goût pour ce fameux Siftême, & fon attachement pour la perfonne de l'Auteur ont toujours été fi vifs, qu'on ne les fçauroit croire fondés fur une impreffion trop ancienne. Quoiqu'il en foit, jamais Malebranchifte ne l'a été plus parfaitement ; & comme on ne peut l'étre à ce point fans une forte perfuafion des verités du Chriftianifme &, ce qui eft infiniment plus difficile, fans la pratique des vertus qu'il demande, M. Renau fuivit le Siftême jufque-là. Son caractere ferme & vigoureux ne lui permettoit ni des penfées chancelantes, ni une exécution foible.

Quand il fut affes inftruit dans la Marine, M. du Terron le fit connoîtte Tome VI.

H

de M. de Seignelai, qui devint bientôt fon Protecteur, & un Protecteur vif & agiffant. Il lui procura en 1679 une place auprès de M. le Comte de Vermandois Amiral de France, qu'il devoit entretenir fur tout ce qui appartient à cette importante Charge. Il en eut une penfion de mille écus.

Le feu Roi, voulant perfectionner les conftructions de fes Vaiffeaux, ordonna à fes Generaux de Mer de fe rendre à la Cour avec les Conftructeurs les plus habiles, pour convenir d'une methode generale, qui feroit établie dans la fuite. M. Renau cut l'honneur d'être appellé à ces Conferences qui durerent 3 ou 4 mois. M. de Seignelai y affiftoit toujours; & quand les matieres étoient fuffifamment préparées, M. Colbert y venoit pour la décifion, & quelquefois le Roi lui-même. Tout fe réduifit à deux methodes, l'une de M. du Quefne fi fameux & fi experimenté dans la Marine, l'autre de M. Renau, jeune encore & fans nom. La concurrence fcule étoit une affés grande gloire pour lui, mais M. du Quefne en prefence du Roi lui donna la préference, &

tira plus d'honneur d'être vaincu par fon propre jugement, que s'il eût été vainqueur par celui des autres.

Sa Majefté ordonna à M. Renau d'aller avec M. de Seignelai, M. le Chevalier de Tourville, depuis Maréchal de France, & M. du Quefne le Fils à Brest & dans les autres Ports pour y executer en grand ce qui avoit été fait en petit devant Elle. Il n'inf truifit pas feulement les Conftructeurs, mais encore leurs Enfans, & les mit en état de faire à l'âge de 15 ou 20 ans les plus gros Vaiffeaux, qui demandoient auparavant une experience de 20 ou 30 années.

En 1680 les Algeriens nous ayant déclaré la guerre, M. Renau imagina qu'il falloit bombarder Alger, ce qui ne fe pouvoit faire que de deffus des Vaiffeaux, & paroiffoit abfolument impratiquable, car jufque-là il n'étoit tombé dans l'efprit de perfonne que des Mortiers puffent n'être pas placés à terre, & fe paffer d'une affiette folide. Les Efprits originaux ont un sentiment naturel de leurs forces, qui les rend entreprenans, même fans qu'ils s'en apperçoivent; il ofa in

venter les Galiotes à Bombes. Auffitôt éclata le foulevement gencral dû à toutes les nouveautés, principalement à celles qui ont un Auteur connu que le fuccès éleveroit trop au-deffus de fes pareils. Cependant après que dans les Confeils il eut été traité en face de vifionnaire & d'infenfé, les Galiottes pafferent, & dès-là la meilleure fortification d'Alger fut emportée. On chargea l'Inventeur de faire conftruire ces nouveaux Bâtimens deux à Dunkerque, & trois au Havre. Il s'embarqua fur ceux du Havre pour aller prendre ceux de Dunkerque; & comme on doutoit encore qu'ils puffent naviguer avec fûreté celui qu'il montoit, les deux autres étant déja arrivés à Dunkerque, fat battu prefque à l'entrée de la Rade d'un coup de vent des plus furieux, & le plus propre que l'on pût fouhaiter pour une épreuve inconteftable. L'Ouragan renverfa un Baftion de Dunkerque, rompit les Digues de Hollande, fubmergea 90 Vaiffeaux fur toute la Côte, & la Galiotte de M. Renau cent fois abîmée échapa contre toute apparence fur les Bancs de Flef

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