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Ayle, fineffe d'expreffion, fageffe de morale, tout y plaît, tout y attache, & les vers en font bien frappés, qu'il eft impoffible d'en faire de meilleurs dans notre langue. La précédente, qui est tout-à-fait dans le goût de Perfe, le difpute également à ce que les Poëtes anciens ont fait de mieux en ce genre. S'il s'en trouve quelques-unes de médiocres, cette médiocrité même a toujours fon prix: elle eft celle d'un homme de haute taille qui se baiffe, fans que les tailles ordinaires & communes puiffent en tirer avantage pour s'égaler à lui.

Nous ne parlerons point de fes Epîtres, puifqu'on eft affez généralement d'accord qu'elles font préférables à fes Satyres. Nous remarquerons feulement que la neuvieme l'emportera toujours fur les meilleures Poéfies de ce fiecle. Rien de plus fublime, pour le fond des penfées; rien de plus féduifant, pour la verfification; rien de plus profond & de plus lumineux, pour la morale. Où trouver une touche plus philofophique, que dans la Description des maux qui fuivent la molleffe & l'oifiveté? Tout le monde fait par cœur l'éloge qu'il y fait du vrai; tout le monde eft intéreffé à en adopter les idées & à en pra tiquer les leçons.

En voilà plus qu'il n'en faut pour prouver combien il étoit né Poëte. Que penfer après cela

de ceux qui prétendent lui difputer ce titre Ils ont donc oublié que le Lutrin fera toujours notre premier Poëme? Si la Henriade l'emporte par l'intérêt des objets; celui-ci, de l'aveu de tous les Connoiffeurs, lui eft préférable par la fingularité & les richesses de la fiction, la jufteffe & l'entente du plan, l'unité d'action, les refforts de l'intrigue, la fécondité des détails, la variété des tableaux, & la magie d'un style foutenu & toujours adopté aux différens caracteres du fujet. Ceux qui ne feroient pas capables d'en juger par eux-mêmes, n'ont qu'à lire l'excellent Parallele qu'on a fait de ces deux Poëmes, inféré dans les Opufcules de M. Freron, & dans le Commentaire fur la Henriade, par M. de la Beaumelle.

Mais quand Defpréaux n'auroit pas fait le Lutrin, feroit-on plús en droit de lui difputer les qualités qui font le vrai Poëte ? N'y a-t-il. pas de la Poéfie, & de la plus haute Poésie, dans la plupart de fes Epîtres? Celle où il décrit le paffage du Rhin, ne réunit-elle pas tout ce que le Génie poétique peut avoir de plus pompeux, de plus vif, de plus pittorefque ? N'en trouvet-on pas mille traits dans fon Art poétique, où il a eu le talent de répandre les fleurs de l'imagination fur l'aridité des préceptes, d'enrichir les détails de quantité de traits, dont le moindre

annonce l'Homme de génie ? Ce feul Poëme, que nous regardons comme fon chef- d'ouvre, aura toujours pour garans de fon immortalité, la gloire des difficultés vaincues & celle d'une utilité générale.

Les Détracteurs de Defpréaux n'ofent pas; il est vrai, difconvenir de la beauté de cette Poétique; mais ils tâchent d'affoiblir le mérite de l'Auteur, en difant qu'elle n'eft qu'une imitation de celle d'Horace, & le plus fouvent une fimple traduction.

Cette imputation eft d'autant plus révoltante, qu'il n'y a, pour ainfi dire, qu'un rapport trèséloigné entre les deux Ouvrages. Celui d'Horace n'eft ni un Poëme, ni un Traité complet des regles de la Poéfie ; ce n'est qu'un Recueil de réflexions, une Epître fans plan, fans méthode, fans liaison. On y paffe rapidement d'une ma tiere à l'autre ; on revient, après quelques écarts, à des objets déja traités, & les regles particulieres font confondues avec les principes généraux. L'Ouvrage de Boileau eft au contraire un Poëme dans toutes les regles. Il eft conduit fur un plan général qui comprend tous les objets divifés en quatre Chants; chaque Chant a fon plan parti'culier, & tout s'y trouve traité avec autant de méthode, que de grace & de clarté. Enfin l'Art poétique d'Horace eft un magafin d'excellens

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Tableaux jettés au hafard les uns les autres; celui de Defpréaux une galerie de peintures rangées avec ordre & fymmétrie, d'où réfulte un tout, une hiftoire qui plaît & intéreffe par les nuances & les gradations que le Poëte y a fa ménager.

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Quant au reproche de s'être approprié le plus grand nombre des Vers d'Horace, écoutons à ce fujet un Duc Littérateur, dont le fuffrage doit paroître d'autant moins fufpect, que dans le Parallele qu'il a fait du génie du Poëte d'Augufte & de celui de Louis XIV, ce n'eft pas au Poëte -François qu'il a prodigué le plus d'éloges. » Bien des gens femblent vouloir regarder l'Art poétique de Defpréaux comme une compilation de celui d'Horace. Je ne fais fi c'est mauvais goût ou mauvaise foi; mais il me femble néceffaire que l'un ou l'autre ait enfanté cette opinion. Parmi environ douze cents Vers qui compofent l'Art poétique de Defpréaux, il y en a peut-être une cinquantaine d'empruntés » ou de traduits, fi l'on veut, d'Horace. Le Taffe en a pris à proportion bien davantage dans Virgile, fans qu'on l'ait accusé d'avoir compilé l'Enéïde. D'ailleurs ce n'eft pas en cela que confifte la vraie reflemblance des Ou»vrages, c'est dans leurs proportions, c'est dans leur emplacement qu'elle fe trouveroit; mais

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srien de tout cela n'eft pareil chez nos deux » Poëtes".

A-t-on plus de raifon d'accufer Despréaux de manquer de fentiment? Et qu'importe le fentiment, pourvu qu'on ait le ton qui convient! D'ailleurs le fentiment n'eft-il pas déplacé partout où il n'eft pas néceffaire? Et quoi de plus ridicule, que de reprocher à un Poëte fatyrique, didactique ou héroï-comique, de n'en avoir pas mis dans fes Ouvrages? A quel genre de fentiment pouvoit fe livrer l'Auteur de la Satyre à fon efprit, de l'Art poétique, du Lutrin? Les Zélateurs du fentiment, qui en ont eux-mêmes fi peu, voudroient-ils qu'il eût perverti les genres; qu'il nous cût donné des doléances auffi déplacées, que celles qui nous endorment dans leurs Romans, dans leurs Tragédies, dans leurs Euvres philofophiques, dans leurs Comédies....? Juvenal & Perfe en ont-ils mis dans leurs Satyres? Horace en a-t-il étalé dans fon Art poétique? Moliere, Regnard & tant d'autres de nos Poëtes en ont-ils affecté la manie? Et va-t-on reprocher à Corneille & à Racine de n'avoir pas inféré des faillies & des bons mots dans leurs Tragédies, comme on fait un crime à Boileau d'avoir négligé dans fes Œuvres un reffort qui leur étoit abfolument étranger?

Après avoir vengé fa gloire poétique, nous

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