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qu'on ne trouve dans ses ouvrages des étincelles de lumieres, des maximes fortes, des traits hardis, des morceaux pleins de force & de vigueur ; mais ces découvertes ne fe fom que par inter valles, & fouvent les intervalles font très-longs. On eft obligé de marcher long-temps dans les ténebres, avant d'appercevoir des lueurs; de fe repaître de fumée, avant de trouver un peu de nourriture folide; de s'engager dans un labyrinthe raboteux, avant de rencontrer un espace de chemin droit & praticable. Peut-être cet Auteur s'eft-il perfuadé que l'obfcurité dans les penfées & dans le ftyle feroit propre à donner du prix à fes productions? Mais on a décidé depuis long-temps que nous étions difpenfés de le comprendre, parce qu'il eft évident qu'il ne s'eft pas toujours compris lui-même. Je ne crois pas, difoit un Académicien du dernier fiecle, que ceux qui font fi inintelligibles, foient fort intelligens. Cette fentence, fondée fur la vérité, eft un arrêt terrible contre les Ecrits de M. Diderot. Que fera-ce, fi nous ajoutons avec Quintilien, que plus un Ecrivain eft médiocre, plus il eft obfcur?

Qu'on ne croye cependant pas que ce Génie mystérieux ait tout tiré de fon propre fonds: le plus fouvent il n'a fait que copier les autres, ce qui le rend plus inexcufable d'être inintelligible.

Les Principes de la Philofophie morale ne font qu'une Traduction très-libre de l'Essai fur le mérite & la vertu de Mylord Shaftersbury. Sans vouloir difcuter ici le mérite de l'Original, c'est affez de faire remarquer qu'il ne s'agiffoit pour le Traducteur, que d'employer un ftyle clair, précis & correct; c'eft ce que M. Diderot n'a pas jugé à propos de faire: il s'eft contenté de fe rendre fenfible dans les notes; mais une douzaine de notes suffisent-elles pour former un bon Livre ?

Les Penfées fur l'interprétation de la Nature appartiennent en grande partie à Bacon, ce dont l'Auteur ne s'eft nullement mis en peine de nous avertir. Il est vrai que les penfées du Chancelier d'Angleterre deviennent méconnoiffables par la maniere étrange dont elles font travefties: c'eft un corps robufte duquel on n'a fait qu'un fquelette, fans y laiffer la moindre apparence de nerfs & de

mufcles; tout y eft en germe, tout y eft fi re

condit & fi obfcur, qu'on peut regarder cette Interprétation comme beaucoup plus inintelligible que le texte. Il ne faut pas croire, au reste, que cette obscurité vienne du fonds des matieres; un efprit fage ne doit pas les traiter, quand il n'est pas capable de les éclaircir, & l'efprit net & méthodique fait rendre tout fenfible: c'eft ainfi que Bacon, Mallebranche, l'Auteur des Mondes,

M. l'Abbé Condillac, ont trouvé moyen de mettre leurs idées à la portée de tout Lecteur. On peut donc affûrer que c'eft fans l'aveu de la Nature, que M. Diderot a pris fur lui d'en être l'interprete.

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A-t-il eu plus de miffion pour fe charger de la fonction de Rédacteur de fes loix? Son Code dit de la Nature, eft-il exempt des défauts qu'on vient de lui reprocher ? ou plutôt ne joint-il pas à tous ces défauts celui d'expofer un fyftême de politique impraticable? N'y trouve-t-on pas des déclamations plus qu'indécentes contre les Eccléfiaftiques & les Moines? Les contradictions les plus lourdes ne s'y accumulent-elles pas, pour ainfi dire, les unes fur les autres ? N'y remarque-t-on pas une confufion d'idées indigeftes, communes, extravagantes, & pardeffus tout, un ftyle froid, dur, rebutant?

Ce n'eft pas l'obfcurité qu'on peut reprocher à fes Penfées Philofophiques; elles font très-claires. On pourroit dire encore, que plufieurs font profondes, qu'elles renferment des fentimens vifs & pleins de chaleur ; qu'en général.elles font exprimées avec énergie & précision : mais à quoi fervircient tous ces éloges, fi on ne peut fe difpenfer d'ajouter que la plupart font impies, & le refte hafardé? D'ailleurs, c'eft un bien encore que Mylord Shaftersbury eft en droit de récla

mer; il ne faut que lire, pour s'en convaincré, les Œuvres de ce penfeur Anglois, dont, par parenthese, on a donné une affez mauvaise Traduction.

Enfin M. Diderot eft connu, par excellence, pour avoir été le Deffinateur de l'Encyclopédie l'Enrôleur des Ouvriers, & l'Ordonnateur des tra vaux. Nous répéterons d'abord, d'après une foule de Critiques, que cet Ouvrage n'a été pour lui qu'un enfant adoptif dont Bacon & Chambers ne l'avoient pas fait légataire. Nous ajouterons. enfuite que l'excellent Profpecus qui l'annonçoit avec tant de pompe, n'a produit comme la caverne d'Eole, que du vent, du bruit & du défordre; & que la plupart des articles de ce Dictionnaire informe, auxquels on a mis le nom de M. Diderot, ne font que la compilation de quelques ouvrages médiocres qu'il n'a fait qu'altérer & abréger.

Nous ne dirons rien de la Lettre fur les Aveugles, ni de celle fur les Sourds, qui femblent faites pour n'être lues ni entendues.

Se feroit-on douté que cet Auteur philofophe eût daigné s'abaiffer jufqu'à des Ouvrages d'agrément? ou, pour parler felon l'ordre hiftorique, ne fera-t-on pas étonné d'apprendre que des Ouvrages d'agrément aient été le prélude de fes Œuvres philofophiques? Et quels Ouvrages d'agré

ment! Les Bijoux indifcrets. Ceux qui ont lu ce Roman ordurier, pourroient-ils jamais le placer parmi les productions légeres, quand même la monotonie, le verbiage, & fur-tout l'obfcénité qui y regnent, ne l'excluroient pas du nombre des Ouvrages frivoles qui peuvent amufer quelquefois les honnêtes gens?

Il a compofé outre cela deux Comédies, mais larmoyantes: l'une eft Le Pere de Famille, l'autre, Le Fils naturel. La premiere, dont le fujet eft dû à M. Goldoni, précédée d'une Préface pleine de fentimens raifonṇables, intéressans & bien exprimés, peut figurer parmi les Pieces de ce genre, fi oppofé au génie & au vrai goût. Le Fils naturel fut présenté il y a peu de temps fur le Théatre, au Public, qui le regarda comme un bâtard ignoble ; & par le mauvais accueil qu'il lui fit, força fon Pere de le retirer.

Tel eft le jugement que nous avons cru devoir porter fur les Ouvrages de M. Diderot. Nous ne craignons d'être accufés de partialité, que par ceux qui font plus zélés pour la Philofophie actuelle, que pour la raison & la faine Littérature, espece d'hommes qu'on peut diviser en deux classes : les uns reffemblent à ces peuples imbécilles qui croyoient leurs Oracles infaillibles, pour quelques prédictions justifiées par le hasard : les autres reisemblent aux Prêtres de ces mêmes Idoles, qui

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