Imágenes de páginas
PDF
EPUB

parties de l'étendue. Car il eft évident que ce n'eft que par la variété des couleurs que nous jugeons de la différence des corps que nous voïons. Or, felon S. Auguftin, c'eft en Dieu que nous voïons l'étendue intelligible. Car elle est éternelle cette étenduë; elle eft immuable, infinie, efficace, capable de modifier l'efprit & de l'éclairer; qualitez certainement qui ne peuvent convenir aux créa tures. Selon lui c'eft en Dieu que nous voïons les figures Géometriques; & il eft clair que, comme on ne peut former une fphé re materielle, par exemple, fans étenduë materielle, l'efprit ne peut concevoir de fphere fans étendue intelligible; c'est à dire, fans l'idée de la longueur, de la largeur, & de la profon deur. Donc, felon la doctrine de ce faint Docteur, c'eft en

Dieu, que nous voïons les corps. Car nous ne les voïons, autant que nous fommes capables de les voir, qué parce que l'étenduë intelligible devient visible à nôtre égard, lorfqu'elle caufe en nous la perception de cou leur; & nous ne les fentons que parce qu'elle devient fenfible à nôtre égard, lorfqu'elle caufe en nous un fentiment plus vif, tel qu'eft la douleur. Car la douleur, par exemple, que fent un manchot comme répanduë dans fon bras, n'est point certainement dans le bras qui n'eft plus. Ce n'eft point ce bras-là qui lui fait mal. Il ne lui en fit même jamais, s'il eft vrai que les corps ne puiffent agir fur les ef prits & les rendre malheureux; s'il eft vrai qu'il n'y a que l'intelligible, que les idées divines qui puiffent affecter les intelligences. On verra les preuves de tout

ceci dans les deux premiers Entretiens, & dans le fecond fur la Mort.

J'avoue que S. Augustin n'a ja mais dit, que l'on voïoit les corps en Dieu. Il n'avoit garde de le dire, lui qui croïoit qu'on voïoit les objets en eux-mêmes, ou par des images corporelles; & que les couleurs qui les rendent visibles, étoient répandues fur leur furface. Affurément fi l'on voit les corps en eux-mêmes, ce n'est pas en Dieu qu'on les voit cela eft clair. Mais s'il est démontré, comme je le croi, qu'on ne les voit point en eux& que les traces qu'ils

mêmes, dans le cerveau, ne

impriment

leur reffemblent nullement comme le fçavent tous ceux qui ont étudié l'Optique: s'il eft certain de plus que la couleur n'eft que la perception par laquelle l'ame les voit, je foûtiens que

Tome I.

ة

fuivant les principes de S. Augustin, on eft obligé de dire, que c'eft en Dieu qu'on voit les

corps.

les

En effet, je reconnois & je protefte, que c'eft à S. Augustin que je dois le fentiment que j'ai avancé fur la nature des idées. J'avois appris d'ailleurs que qualitez fenfibles n'étoient que dans l'ame; & que l'on ne voïoit point les objets en eux-mêmes, ni par des images qui leur res femblent. Mais j'en étois demeuré là, jufqu'à ce que je tombai heureusement fur quelques endroits de S.Auguftin, qui fervirent à m'ouvrir l'efprit fur les idées. Et comparant ce qu'il nous enfeigne fur cela avec ce que je fçavois d'ailleurs, je demeurai tellement convaincu,que c'eft en Dieu que nous voions toutes chofes, que je ne craignis point d'expofer au public ce fenti

ment, quelque étrange qu'il paroiffe à l'imagination; & quelque perfuadé que je fuffe, que cela ne me feroit pas d'honneur dans l'efprit de bien des gens. Cette vérité me parut fi propre à faire comprendre aux efprits attentifs, que l'ame n'eft unie directement qu'à Dieu; que lui feul eft nôtre bien & nôtre lumiére, que toutes les créatures ne font rien par rapport à nous, ne peuvent rien fur nous: en un mot, cette vérité me parut de fi grande conféquence par rapport à la Religion & à la Morale, que je me crûs alors obligé de la publier, & que j'ai crû dans la fuite devoir la foûtenir.

Cependant je ne prétens pas être toûjours dans l'obligation de répondre à ceux qui attaqueront mes fentimens, fur tout s'ils les prennent mal, & s'ils me font des objections dont la réfolution

« AnteriorContinuar »