Imágenes de páginas
PDF
EPUB

moi la racine quarrée de 8. & la cubique de 9.Faites qu'il foit jufte de faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous faffe à nous-mêmes: ou, pour prendre un exemple qui revienne au vôtre,faites que deux pieds d'étendue intelligible n'en faffent plus qu'un. Certainement la nature de cette étendue ne le peut fouffrir. Elle réfifte à vôtre efprit. Ne doutez donc point de fa réalité. Vôtre plancher eft impenetrable à vôtre pied: c'est ce que vous apprennent vos fens d'une maniere confufe & trompeufe. L'étendue intelligible eft auffi impenetrable à la façon: c'eft ce qu'elle vous fait voir clairement par fon évidence & par fa propre lumiere.

Ecoutez-moi, Ariste. Vous avez l'idée de l'efpace ou de l'étenduë; d'un espace, dis-je, qui n'a point de bornes. Cette idée eft neceffaire, éternelle, immuable, commune à tous les efprits aux hommes, aux Anges, à Dieu même. Cette idée, prenez-y garde, eft ineffaçable de vôtre efprit,comme celle de l'être ou de l'infini, de l'être indéterminé. Elle luy eft toûjours prefente. Vous ne pouvez vous en feparer, ou la perdre entierement de vûë. Or c'est de

*

cette vafte idée que fe forme en nous non feulement l'idée du cercle,& de toutes les figures purement intelligibles, mais auffi celle de toutes les figures fenfibles que nous voïons en regardant le monde créé : tout cela felon les diverfes applications des parties intelligibles de cette étendue idéale, immaterielle, intelligible à nôtre efprit; tantôt en confequence de nôtre attention, & alors nous connoillons ces figures; & tantôt en confequence des traces & des ébranlemens de nôtre cerveau, & alors nous les imaginons ou nous les fentons. Je ne Voyez dois pas maintenant vous expliquer * verfat. tout ceci plus exactement. Confiderez chretien. feulement qu'il faut bien que cette idée pag. 123. d'une étendue infinie ait beaucoup de I'Edit. de réalité,puifque vous ne pouvez la comLa Rép. prendre, & que quelque mouvement à M. Ke- que vous donniez à vôtre efprit, vous ne & les fui- pouvez la parcourir. Confiderez qu'il n'eft pas poffible qu'elle n'en foit qu'u, fous 11. ne modification,puifque l'infini ne peut Entretien être actuellement la modification de Mort, quelque chose de fini. Dites, vous à vous-même: mon efprit ne peut comprendre cette vafte idée. Il ne peut la mefurer. C'est donc qu'elle le paffe in

les Con

1702.ou

gis,p 27.

vantes,

ou ci-def

fur la

II.

vers la

fn.

finiment. Et fi elle le paffe, il eft clair qu'elle n'en eft point la modification. Ĉar les modifications des êtres ne peuvent pas s'étendre au delà de ces mêmes êtres,puifque les modifications des êtres ne font que ces mêmes êtres de telle & telle façon. Mon efprit ne peut mesurer cette idée: c'est donc qu'il est fini, & qu'elle eft infinie. Car le fini, quelque grand qu'il foit, appliqué ou repeté tant qu'on voudra, ne peut jamais égaler l'infini.

ARISTE. Que vous êtes fubtil & prompt! Doucement,s'il vous plaît. Je vous nie que l'efprit apperçoive l'infini, L'efprit, je le veux, apperçoit de l'étenduc dont il ne voit pas le bout, mais il ne voit pas une étenduë infinie; un ef prit fini ne peut rien voir d'infini.

IX. THEODORE. Non, Arifte, l'efprit ne voit pas une étenduë infinie, en ce fens que fa penfée ou fa perception égale une étendue infinie. Si cela étoit, il la comprendroit, & il feroit infini luimême. Car il faut une penfée infinie pour mesurer une idée infinie, pour fe joindre actuellement à tout ce que comprend l'infini. Mais l'efprit voit actuellement que fon objet immediat

eft infini: il voit actuellement que l'étenduë intelligible eft infinie. Et ce n'est pas, comme vous le penfez, parce qu'il n'en voit pas le bout; car fi cela étoit, il pourroit efperer de le trouver, ou du moins il pourroit douter fi elle en a,ou fi elle n'en a point: mais c'est parce qu'il voit clairement qu'elle n'en a point.

Suppofons qu'un homme tombé des nuës marche fur la terre toûjours en droite ligne, je veux dire fur un des grands cercles par lefquels les Geographes la divifent, & que rien ne l'empêche de voïager pourroit-il decider aprés quelques journées de chemin,que la terre feroit infinie, à cause qu'il n'en trouveroit point le bout? S'il étoit fage & retenu dans fes jugemens, il la croiroit fort grande, mais il ne la jugeroit pas infinie. Et à force de marcher, fe retrouvant au même lieu d'où il feroit parti,il reconnoîtroit qu'effectivement il en auroit fait le tour. Mais lorfque l'efprit pense à l'étendue intelligible, lofqu'il veut mefurer l'idée de l'efpace il voir clairement qu'elle eft infinie. Il ne peut douter que cette idée ne foit inépuisable. Qu'il en prenne de quoi fe reprefenter le lieu de cent mille mon

des, & à chaque inftant encore cent mille fois davantage, jamais cette idée ne ceffera de lui fournir tout ce qu'il faudra. L'efprit le voit, & n'en peut douter. Mais ce n'eft point par-là qu'il découvre qu'elle eft infinie. C'eft au contraire, parce qu'il la voit actuellement infinie, qu'il fçait bien qu'il ne l'épuifera jamais.

Les Geometres font les plus exacts de ceux qui fe mêlent de raifonner. Or tous conviennent qu'il n'y a point de fra Єtion, qui multipliée une fois par elle. même, donne huit pour produit, quoi qu'en augmentant les termes de la fraЯtion,on puiffe approcher à l'infini de ce nombre. Tous conviennent que l'hyperbole & fes afymptotes, & plufieurs au tres femblables lignes continuées à l'infini,s'approcheront toujours fans jamais fe joindre. Penfez-vous qu'ils décou vrent ces veritez en tâtonnant, & qu'ils jugent de ce qu'ils ne voient point, par quelque peu de chofe qu'ils en auroient découvert? Non, Arifte. C'eft ainfi que jugent l'imagination & les fens,ou ceux qui fuivent leur témoignage. Mais les vrais Philofophes ne jugent précisement que de ce qu'ils voient. Et cepen

Ĉ iiij

« AnteriorContinuar »