mêlant à la faveur de fes lumieres le petit nombre de bons Livres qui font à retenir, parmi la foule des mauvais qui font à rejetter; foit en difcernant ceux qui font altérez ou fuppofez, de ceux qui ont confervé avec leur premiere pureté, les noms de leurs vrais Auteurs? Les commençans ne feroient plus expofez, comme autrefois, à vieillir, avant que d'avoir bien fçû à quoi s'en tenir ; & nos jours qui fuffifent à peine pour l'acquifition des connoiffances necessaires, ne fe perdroient plus en d'inutiles recherches.

Quel bien pour les Sçavans & pour les sciences, que la découverte de ces voyes abrégées, fi l'ufage s'en trouvoit auffi fûr, qu'il eft commode: mais quel honneur pour les Critiques déja érigez en experts de la litterature, fi la fidelité éprouvée de leur rapport,

perfuadoit qu'ils fe font chargez de toute la peine, & qu'ils ont laiffé au public tout le profit; fans qu'on pût leur reprocher que trop pointilleux fur des minuties, & qu'endormis ou aveugles fur l'effentiel, ils euffent reffemblé à ces faux Docteurs (3) qui couloient le moucheron, & avaloient le chameau.

Ajoûtons à l'honneur de la Critique, ce que la notorieté du fait ne permet pas de contester, (auffi-bien on ne s'attend pas à en trouver ici un portrait trop flatté ;) c'eft qu'elle a achevé de bannir l'ignorance qui s'étoit répanduë depuis la ruine de l'Empire Romain, jusqu'à la fin de celui de Conftantinople. Temps auquel tant de fçavans Grecs chaffez de leur pays, & débar

(3) Matth. cap. 23. v. 24. Duces cæci excolantes culicem, camelum autem glutien

tes,

quez

quez en Italie (4), y ramenérent avec eux le goût des lettres, d'où fe forma celui de la critique. Dès-lors on fe piqua de tout difcuter; on déterra, on confronta les vieux manufcrits; on arrangea les faits propres à rétablir les textes, & à fixer les dattes; on apprit à ne juger du fens des livres qu'aprés un mûr examen, de peur de donner ou de prendre le change. Enfin par les regles qui s'établirent (5) pour perfectionner l'ufage de la Critique, on

(4) Vers le milieu du 15. fiécle, Mahomet II. s'étant rendu maître de Conftantinople en 1453.

(f) Outre Erafme, dont les Préfaces mifes à la tête de fes Editions des Peres, font autant de differtations critiques dreffées fur le modele de celles de S. Jerôme dans fes Commentaires de l'Ecriture; la plupart des Editeurs ont, devant & aprés, difcuté critiquement les ouvrages anciens, qu'ils donnoient au public fur la foy des manufcrits; enfuite de quoi s'eft formé l'art critique par un amas de préceptes dont on difcutera le détail.

Tome I.

On fe

propofe de

qu'aux a

critique.

l'a réduifit en un art qu'on ne ceffe pas de cultiver depuis deux fiécles, que la mode l'a accré

dité.

Il n'y auroit donc gueres moins ne toucher d'injustice à rendre la vraye Cribus de la tique refponfable des fautes de ceux qui l'ont mal comprise, ou plus mal pratiquée, qu'à imputer à la vraye devotion les grimaces de la fauffe, ou qu'à conclure de prévarication de quelques Juges, ou de la lâcheté de quelques gens de guerre, contre d'auffi nobles profeffions que celles de la robe ou de l'épée. Ce feroit même traiter trop à la rigueur un Critique, comme tout autre Auteur, de ne pas l'eftimer parfait (6) à mefure qu'il laiffe voir moins de défauts; & rien ne feroit plus odieux, que de ne pas reconnoître le me

(6)

Optimus ille eft, Qui minimis urgetur. Hor. l. 1. Sat. 3.

rite de ceux même dont on déplore les chutes, Il n'y a qu'une im pieté déclarée, ou une ignorance fuperbe, qui foit indigne de ménagemens; par tout ailleurs un affaifonnement de juftes loüanges, dont on tempére d'améres véritez, semble forcer le public, &, s'il fe peut, les parties intereffées, à convenir de la justice de la cenfure, à la vûë de l'équité du Cenfeur.

la Critique

à de grands

même des

Mais fi l'art de la Critique a Preuve que pû fervir de flambeau pour favo- eft fujette rifer d'heureuses découvertes dans abus, prife les ténébres des fciences, il faut de l'aveu avouer que l'ignorance ou la ma- Critiques lice des hommes, toûjours fujettes à tourner en abus les meilleurs ufages, ont fort obfcurci l'éclat de ce flambeau, & ne lui auroient laiffé, fi Dieu l'eût permis, qu'une lueur maligne, qui comme un ardent, auroit conduit au précipice.