Defcription de la Ville d'Alep. A Lep 1683. Novemb. eft fans contredit la Ville la Alep. Sa fiplus grande, la plus belle & la tuation. plus riche de tout l'Empire Ottoman, après Conftantinople & le Caire. Elle eft Capitale de la Comagene dans las Syrie. Elle eft fituée par les trente-fix degrez & demi de latitude Septentrio nale, & environ par les foixante cinq de longitude, dans un plat Païs, qui s'éleve en fept collines mediocres, dont les quatre plus confiderables font renfermées dans l'enceinte de fes murailles. Celle qui eft prefque au cenǝ tre de la Ville', eft la plus haute. Elle eft toute occupée par le Château, revêtu de groffes murailles de pierres de taille, avec un foffé profond, revêtu, & à demi plein des eaux de pluye qui y croupiffent, & qui font encore infectées par le nombre des cadavres que l'on y jette, & que l'on abandonne aux oifeaux après qu'ils ont été execurez dans le Serail. Ce Château que l'on prétend avoir été bâti par les Francs quand ils étoient maîtres du Païs, eft valte, & fert de logement & de Serail au Pacha quand il refide à Alep, ou au Mutfellem fon Lieutenant 1683. quand il eft abfent. Ce Château, qui Novemb. par fa fituation & par la hauteur de fes murailles & de fes tours domine toute la Ville, fait un effet merveilleux. Elle eft arrofée d'une petite riviere, que l'on appelle à prefent Kaougк, ou Siga, ou Siquem, & que l'on nommoit autrefois Belus, dont la fource est à trois journées ou trente lieuës delà,près du Bourg d'Antab au Nord-Eft, d'où fe rendent à l'Oüeft les eaux de la Ville. Elle fe divife en deux bras, qui font comme deux mammeiles, qui lui fourpiffent toutes les neceffitez, en donnant aux terres des environs une fécondité inconcevable de côté & d'autre de ces deux bras. Pendant près de deux lieuës, on ne voit que des jardins, qui à la verité ne font pas plantez, ni cultivez à notre maniere, puisque les arbres n'y forment pas des allées comme chez nous, & qu'ils y font en confufion & fans ordre; mais qui donnent toute l'utilité que l'on peut defirer. On peut dire que ce font de vaftes forêts de groffes grenades de plufieurs efpeces. On y voit des pruniers excellens, des orangers toûjours chargez de fleurs & de fruits, des citroniers, des limoniers, des jujubiers, des poi riers, des pommiers, des péchers, des amandiers, des abricotiers, des fi- 1683. guiers de differentes efpeces & des pif- Novemb tachiers, qui portent une espece de noisettes longues couvertes d'une peau odoriferente de couleur de chair, qui renferme un fruit enveloppé d'une pellicule rouge, & qui eft verd, d'un goût exquis, odoriferent & aromatique. Il eft chaud, & par cette qualité il plaît beaucoup aux Turcs. Il eft infiniment meilleur étant frais, que quand il eft fec comme nous l'avons en Europe, parce qu'il perd en féchant, une gran de partie de fa bonté, de fa bonté, de fon goût & de les autres qualitez. Les Turcs & les Européens les mettent dans leurs ragoûts & dans leurs pâtifferies. On peut dire que les Turcs excellent dans la pâtifferie, & qu'il eft difficile à nos plus habiles dans ce mêtier d'en appro cher. Ces jardins font encore remplis de toutes fortes de melons & de pasteques, c'eft ainfi qu'on appelle ces prodigieux melons d'eau fi fains & fi excellens, dont on a un befoin extrême pendant les grandes chaleurs. Leur chair eft d'un beau rouge, délicate & le fondant en une eau fucrée qui rafraîchit infiniment, & qui ne fait ja que mais de mal. C'eft la ptyfanne ordi1683. naire des malades. Les concombres y Novemb. font excellens. Ils font tellement doux, les gens du Pais les mangent comme les pommes fans prendre la peine de les peler. On y mange auffi de certaines calebaffes douces de près de deux pieds de longueur, & feulement de trois à quatre pouces de diametre. Elles font excellentes dans la foupe, ou bien étant farcies de viande & d'œufs. Toutes les légumes de ce ter roir ont un goût merveilleux, & font à très grand marché, auffi bien que les fruits, quoiqu'on en confomme tous les jours une quantité qui ne fe peut dire. Les moutons y font excellens, auffi bien que les chevreaux. On en rue tous les jours un grand nombre auffi en faut-il beaucoup pour une Ville auffi peuplée que celle-là. En voici une preuve. Dans la derniere pefte qui arriva en 1669. il y mourut environ cent mille perfonnes,& huit jours après qu'elle fut finie, il n'y paroiffoit pas, les rues & les marchez fourmilloient de monde comme auparavant. Mais ce qu'il y a de bon & d'extraordinaire, & qui diftingue avantageufement ce peuple de tous ceux de l'Empire Ottoman, c'est qu'ils font les plus doux, les moins malfaifans & les plus traitables de tout ce vafte Empire. 1683. C'est peut-être leur naturel doux, qui Novemb. ? a donné le nom à leur Ville: car Halep fignifie du lait en Arabe. Je me rangerois plûtôt à cette opinion, qu'à celle qu'on a communément dans le Païs, qu'elle a reçû ce nom à cause que le Patriarche Abraham, qui y a demeuré autrefois, & qui faifoit paître fes nombreux troupeaux aux environs, avoit une vache d'une rare beauté & Vache d'A. extrêmement féconde en lait, qui fe braham & nommoit Schelba. Il la faifoit traire la charité de ce grand tous les jours deux ou trois heures Patriarche. avant le coucher du Soleil, & donnoit un fignal aux pauvres des Villages circonvoisins, afin qu'ils vinffent prendre leur part du lait de fa belle vache. Pour confirmer ce qu'ils avan cent, ils difent que leur Ville a pris le nom de cette vache & de fon lait. En effet, Haleb-al-Schella, fignifie en Arabe,le lait de la vaché Schella. Ils ajoûtent encore pour confirmer ce qu'ils avancent, que c'eft en reconnoiffancé de la charité de ce S. Patriarche, & pour en conferver la memoire,que vers les trois ou quatre heures après midi, ceux qui font de garde au Château, font un fignal que l'on appelle d'Ax S |