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Pérou avec de grandes richesses. Son père est un honnête capareto' de Viejo et de Mediana, gros village de la Castille vieille, auprès des montagnes de Sierra d'Avila, où il vit, très-content de son état, avec une femme de son âge, c'està-dire de soixante ans.

Il y avait un temps considérable que leur fils était sorti de chez eux pour aller aux Indes chercher une meilleure fortune que celle qu'ils lui pouvaient faire. Plus de vingt années s'étaient écoulées depuis qu'ils ne l'avaient vu; ils priaient le ciel tous les jours de ne le point abandonner, et ils ne manquaient pas, tous les dimanches, de le faire recommander au prône par le curé, qui était de leurs amis. Le banquier, de son côté, ne les mettait pas en oubli. D'abord qu'il eut fixé son établissement, il résolut de s'informer par lui-même de la situation où ils pouvaient être. Pour cet effet, après avoir dit à ses domestiques de n'être pas en peine de lui, il partit, il y a quinze jours, à cheval, sans que personne l'accompagnât, et il se rendit au lieu de sa naissance.

Il était environ dix heures du soir, et le bon savetier dormait auprès de son épouse, lorsqu'ils se réveillèrent en sursaut au bruit que fit le banquier en frappant à la porte de leur petite maison. Ils demandèrent qui frappait. Ouvrez, ouvrez, leur dit-il, c'est votre fils Francillo. A d'autres, répondit le bonhomme : passez votre chemin, voleurs; il n'y a rien à faire ici pour vous: Francillo est présentement aux Indes, s'il n'est pas mort. Votre fils n'est plus aux Indes, répliqua le banquier; il est revenu du Pérou : c'est lui qui vous parle, ne lui refusez pas l'entrée de votre maison. Levons-nous, Jacques, dit alors la femme, je crois

' Savetier.

effectivement que naître à sa voix.

c'est Francillo, il me semble le recon

Ils se levèrent aussitôt tous deux : le père alluma une chandelle, et la mère, après s'être habillée à la hâte, alla ouvrir la porte: elle envisagea Francillo, et, ne pouvant le méconnaître, elle se jette à son cou, et le serre étroitement entre ses bras. Maître Jacques, agité des mêmes

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mouvements que sa femme, embrasse à son tour son fils; et ces trois personnes, charmées de se voir réunies après une si longue absence, ne peuvent se rassasier du plaisir de s'en donner des marques.

Après des transports si doux, le banquier débrida son

cheval, et le mit dans une étable où gîtait une vache, mère nourrice de la maison; ensuite il rendit compte à ses parents de son voyage, et des biens qu'il avait apportés du Pérou. Le détail fut un peu long, et aurait pu ennuyer des auditeurs désintéressés : mais un fils qui s'épanche en racontant ses aventures ne saurait lasser l'attention d'un père et d'une mère; il n'y a pas pour eux de circonstance indifférente ils l'écoutaient avec avidité, et les moindres choses qu'il disait faisaient sur eux une vive impression de douleur ou de joie.

Dès qu'il eut achevé sa relation, il leur dit qu'il venait leur offrir une partie de ses biens, et il pria son père de ne plus travailler. Non, mon fils, lui dit maître Jacques, j'aime mon métier, je ne le quitterai pas. Quoi donc! répliqua le banquier, n'est-il pas temps que vous vous reposiez? Je ne vous propose point de venir demeurer à Madrid avec moi; je sais bien que le séjour de la ville n'aurait pas de charme pour vous: je ne prétends pas troubler votre vie tranquille; mais, du moins, épargnez-vous un travail pénible, et vivez ici commodément, puisque vous le pouvez.

La mère appuya le sentiment du fils, et maître Jacques se rendit. Hé bien, Francillo, dit-il, pour te satisfaire, je ne travaillerai plus pour tous les habitants du village; je raccommoderai seulement mes souliers et ceux de monsieur le curé, notre bon ami. Après cette convention, le banquier avala deux œufs frais qu'on lui fit cuire, puis se coucha près de son père, et s'endormit avec un plaisir que les enfants d'un bon naturel sont seuls capables de s'imaginer.

Le lendemain matin Francillo leur laissa une bourse de trois cents pistoles, et revint à Madrid. Mais il a été bien étonné ce matin de voir tout à coup paraître chez lui maître Jacques. Quel sujet vous amène ici, mon père? lui a-t-il dit.

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Mon fils, a répondu le vieillard, je te rapporte ta bourse : reprends ton argent; je veux vivre de mon métier: je meurs d'ennui depuis que je ne travaille plus. Hé bien!

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mon père, a répliqué Francillo, retournez au village, continuez d'exercer votre profession; mais que ce soit seulement pour vous désennuyer. Remportez votre bourse, et n'épargnez pas la mienne. Eh! que veux-tu que je fasse de tant d'argent? a repris maître Jacques. Soulagez-en les pauvres, a reparti le banquier; faites-en l'usage que votre curé vous conseillera. Le savetier, content de cette réponse, s'en est retourné à Mediana.

Don Cleophas n'écouta pas sans plaisir l'histoire de Francillo; et il allait donner toutes les louanges dues au bon cœur de ce banquier, si dans ce moment même des cris perçants n'eussent attiré son attention. Seigneur Asmodée, s'écria-t-il, quel bruit éclatant se fait entendre? Ces cris qui frappent les airs, répondit le Diable, partent d'une maison où il y a des fous enfermés : ils s'égosillent à force de crier et de chanter. Nous ne sommes pas bien éloignés de cette maison; allons voir ces fous tout à l'heure, répliqua Leandro. J'y consens, repartit le Démon : je vais vous donner ce divertissement, et vous apprendre pourquoi ils ont perdu la raison. Il n'eut pas achevé ces paroles, qu'il emporta l'écolier sur la casa de los locos.

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