ils firent venir à frais communs M. Ozanam à Grenoble, & l'y retinrent deux ans.

A quelque tems de là, M. de Valbonnays eut l'agrément du Roi pour la Charge de Premier Préfident de la Chambre des Comptes de Dauphiné, il y fut reçû en 1690. & les fervices qu'il y rendit, lui valurent en 1696. un Brevet d'honneur de Confeiller d'Etat; mais une disgrace perfonnelle fuivit de près ces avantages; fa vûe s'affoiblit infenfiblement, & il devint tout-à-fait aveugle.

Cet accident le toucha fans doute, mais, loin de troubler fa raison, il ne fervit qu'à découvrir en lui les reffources du Sage dans fes adverfités.

M. de Valbonnays commença dés lors à faire par des organes

étrangers, plus de lectures que fes propres yeux n'en pouvoient faire dans fes plus beaux jours. Il orna sa mémoire d'une infinité de chofes ef fentielles, qu'il s'étoit contenté de fçavoir qu'il trouveroit au besoin en tels & tels Livres. De là, une imagination plus vive & plus féconde, des réflexions plus étendues & plus folides, des projets utiles & fuivis, une conversation pleine, foutenue, toujours variée, & qui faifoit d'abord fentir, à quiconque avoit du goût, l'extrême différence d'un homme d'efprit à ces compilateurs, qui pour en montrer un peu, font fans ceffe des incurfions violentes dans le travail d'autrui, & qui femblables à ces corps mal disciplinez, qui ne fe fignalent que par de grands dégats, loin d'enrichir jamais perfonne, ont eux-mêmes peine à vivre de leur butin.

Les Conférences que M. de Valbonnays tenoit chez lui devinrent auffi plus réguliéres & plus fréquentes; & quoique tous les honnêtes gens y fuffent volontiers admis, il se propofa de rendre ce bien plus général, en fe chargeant lui-même d'un Ouvrage, dont la feule idée avoit fon mérite dans une perfonne de fon nom & de fon rang, mais dont l'exécution ne fembloit pas poffible dans la fituation où le réduifoit la perte de fes yeux. Cependant, l'étude qu'il avoit toujours faite de l'Hiftoire de fon pays, jointé à une connoiffance particuliére des Titres confervez dans les Archives de la Chambre des Comptes, & dans les divers Cartulaires de la Province, lui fuffirent pour compofer fous le titre modefte de Mémoires, l'Histoire la plus exacte

& la plus circonftanciée que l'on eût encore vûe des Dauphins de Viennois de la troifiéme race, defcendue des Barons de la Tour du Pin, depuis celui qui époufa la Dauphine Anne, feul rejetton des Dauphins de la Maison de Bourgogne, jusqu'à celui qui fit le transport de fes Etats à la Maison de France.

A la tête de cette Hiftoire, ou de ces Mémoires, dont la premiére édition fe fit à Paris en 1711. en un volume in-folio, fe trouvent cinq Difcours préliminaires, l'un fur l'origine des Dauphins, trois autres fur la forme de gouvernement introduite par ceux de la troisiéme race dans l'adminiftration de la Juftice, dans la régie des Finances, & la maniére de faire la guerre ; un cinquiéme fur le nom & les fonctions de plufieurs fortes de Magiftratures,

que nous ne connoiffons plus; & a la fuite de chacun de ces Difcours, des actes de toute espéce, servant à justifier les diférents faits qui y font rapportez. On trouve de même, à la fuite de l'Hiftoire des Dauphins, près de trois cens autres titres qui en font la preuve & l'ornement, & qui accompagnez de fçavantes Notes fur l'établissement des Familles, fur les Mœurs, les Loix & les Ufages du pays, répandent un grand jour fur l'hiftoire générale de ces tems là.

Cet Ouvrage, tout étonnant qu'il étoit déjà quand l'Auteur le publia pour la premiére fois, s'accrut fi confidérablement entre fes mains que quelques années après, il fe trouva porté au double, & pour l'étendue de l'Hiftoire, & pour le travail des Notes, dont la plûpart formoient en leur genre de curieuses