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avoit abordé, étoit la pointe de Sainte Marie en Espagne, à l'entrée de la Baye de Cadix; & on affuroit qu'il y avoit été bâtisé très précipiramment, parce que la guerre où l'on étoit avec l'Espagne, ne permettoit pas de s'arrêter long-tems dans un de fes Ports. Rendu enfin en Baffe-Normandie, à la maifon paternelle, il y fut nourri & élevé par fa mere, qu'il perdit à l'âge de trois ans. Son pere fe remaria, eut des enfans de fa feconde femme & marqua trop de prédilection pour celui qu'il avoit eu de la premiére. La belle-mere profita d'une des abfences ordinaires de fon mari pour fe délivrer de cet objet d'inquiétude. Elle avoit un frere, qui paffoit en Amérique pour la feconde fois ; elle l'engagea à y mener secrétement le petit Couture, & à l'y laiffer en quel

que endroit affez inconnu, pour qu'on n'entendît jamais parler de lui. L'exécution de ce projet leur couta peu. L'enfant déjà familier avec tout ce qui alloit à la Mer, n'eut aucune répugnance à s'embarquer. On fit accroire au pere qu'il s'étoit noyé en courant imprudemment fur le rivage, & l'oncle arrivé dans un lieu propre à fon deffein, lui fit boire quelques liqueurs, & le laiffa endormi fous un feuillage, fans s'embarraffer de ce qu'il deviendroit. Comme il étoit d'une figure aimable, qu'il avoit de la vivacité, de la gentilleffe, & tout ce qui peut intéreffer dans un âge auffi tendre ; ceux, auprès de qui le hazard le conduifit d'abord, en furent touchez, fans doute ; & ce qui l'empêcha peut-être encore de fentir une partie de fa difgrace, c'eft qu'on lui

laiffa faire tout ce qu'il voulut. Il menoit cette vie depuis près de dixhuit mois, lorfque jouant un jour fur les bords du fleuve de S. Laurent, il découvrit un Vaiffeau, dont le Pavillon lui parut le même que celui du Vaiffeau qui l'avoit amené. Il ne douta pas que ce ne fût, ou fon oncle, ou fon pere, qui venoient le reprendre; il craignit feulement de n'en être pas apperçû; & dans cette crainte, il s'élève le plus qu'il peut; il fait des fignes, il appelle de toute fa force; il excite enfin l'attention des Navigateurs, & les détermine à envoyer l'Efquif. Le Vaisseau étoit un Vaiffeau du Havre; & le Matelot qui amenoit l'Esquif, étoit un Matelot de Cherbourg, qui fut bien furpris de trouver fi loin un enfant abandonné, qui lui parloit bon François, c'est-à-dire, le François de

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fon propre Canton; & qui lui demandant des nouvelles de fon pere, & de fes autres parens, lui nommoit tous gens de fa connoiffance & de fon voisinage. Il fe fit donc un grand plaifir de le mener à bord; & quand, après avoir fini fa course, le Vaiffeau fut de retour au Havre, & le Matelot à Cherbourg; Gilles Couture, informé de la deftinée de fon fils, le vint querir avec empreffement, ne le montra chez lui qu'autant qu'il falloit pour confondre la malice de fa femme, & le mena tout de fuite à Caën, à Madame la Marquise de Cauvigny qui l'honoroit de fa protection, & qui, attendrie par le récit de l'avanture, retint le petit Couture dans fa maison, où elle en fit prendre un foin particulier jufqu'à l'âge de dix à douze

ans.

On ne fçait comment concilier une hiftoire si souvent dite & répétée par M. Couture, avec deux efpéces d'enquêtes trouvées jointes, non en original, mais en copie collationnée, à fes Lettres de Tonfure & de Maître ès Arts. Ces enquêtes paroiffent faites, l'une en 1672. l'autre en 1696. toutes deux à la requête de M. Couture même. La copie collationnée qui tient lieu d'original, est écrite de fa propre main, & il n'est pas plus difficile d'y reconnoître fon ftyle que fon écriture.

Dans la premiére, il expofe au Curé de Langrune, Diocèfe de Bayeux, qu'étant né le onze Novembre 1651. de Gilles Couture, & de Guillemette Mériel fa premiére femme, au Hameau de Saint Aubin, dépendant de la Paroiffe de

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