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Elle étoit Bertrand en fon nom, & de la même famille que le Cardinal Bertrand, qui fut Premier Président, d'abord du Parlement de Toulouse, enfuite de celui de Paris, & enfin Garde des Sceaux fous Henri II. C'étoit une femme de mérite, & qui assez occupée, ce semble, des difcuffions d'affaires que fon mari lui avoit laiffées, ne désespéra pas d'animer encore, & de fuivre par ellemême les études d'un jeune homme qui étoit déja en Rhétorique; chaque jour elle lui en faifoit rendre un compte exact. M. de la Loubére, à qui cette infpection paroiffoit génante, & peut-être déplacée, fe flatta qu'au moins elle ne dureroit pas ; & comme il lifoit alors dans le Grec les Poëmes d'Homére, dont il étoit enchanté, il y ajoûtoit le malin plaifir de lui en réciter foir &

matin un grand nombre de Vers, perfuadé qu'un langage fi extraordinaire pour elle, mettroit bientôt sa patience à bout. Il fe trompa, l'attention de fa mere fe renouvelloit fans ceffe, & augmentoit au point, qu'il ne pût s'empêcher de lui en marquer son étonnement, & de lui avouer de bonne foi quel avoit été fon projet. Elle répondit à cet aveu par un autre qui ne le furprit pas moins, c'eft qu'infenfiblement elle avoit pris un tel goût à l'harmonie de ces Vers Grecs, que quand il ne lui en réciteroit plus par devoir, elle lui en demanderoit quelquefois par amitié.

Ce que l'on fçait encore de ces premiers tems de M. de la Loubére, c'eft qu'à l'âge de quinze à feize ans il avoit compofé une Tragédie Latine, dont le sujet étoit tiré de

l'Ecriture Sainte, & une Comédie Françoise imitée de Plaute, & qu'il les fupprima toutes deux, lorfque venu à Paris, répandu dans le monde, fréquentant le Théatre, le Barreau & les gens de Lettres, il fentit la foibleffe de ces effais.

L'envie de fe perfectionner, & fur-tout de se polir, l'engagea particuliérement à faire fa cour aux Dames, & ce fut dans cet innocent commerce qu'il compofa une infinité de Vers tendres & galants, que les meilleurs Muficiens s'empreffoient de mettre en air, & que tout le monde chantoit ensuite; de forte qu'il eût été, difoit-il, le plus grand Chanfonnier de France, fi les Opéra n'étoient venus lui en enlever la gloire; il la leur céda volontiers, parce qu'il cherchoit d'ailleurs à s'occuper de quelque chofe de plus Tom. III.* Fiiij

férieux. Il s'appliqua à la connoiffance du Droit public & des intérêts des Princes; & lorfque M. de S. Romain fut nommé Ambaffadeur en Suiffe, il demanda M. de la Loubére pour Sécretaire de l'Ambaffade, & joignit au témoignage authentique des fervices qu'il avoit rendus en ce pays-là, celui de s'y être fait généralement eftimer, quoiqu'il ne bût prefque que de l'eau.

Peu de tems après, le Roi, qui avoit de grandes vûes pour l'éta bliffement de la Religion & du Commerce dans le Royaume de Siam, y'envoya M. de la Loubére avec le titre d'Envoyé Extraordinaire. Il partit de Breft le premier Mars 1687. il arriva à Siam à la fin de Septembre, il y resta jufqu'au mois de Janvier fuivant ; & dans cet intervalle, qui ne fut que d'en viron trois mois, il raffembla des

notions fi exactes fur l'Hiftoire & la fur l'Origine, la

Nature du pays, Langue, les Ufages, les Mœurs, l'Industrie & la Religion des habitans, que la Relation qu'il en publia à fon retour, quoique précédée de trois ou quatre autres, fut bientôt regardée comme l'unique. Il faut cependant obferver qu'on s'étoit attendu à trouver dans cette Relation des chofes merveilleuses, prefque incroyables; que M. de la Loubére le fçavoit, qu'il n'ignoroit pas même qu'il y avoit alors une forte de politique ou d'intérêt, à ménager fur cela, la prévention & la crédulité publique ; & que loin de se prévaloir d'un avantage fi cher aux voyageurs, fi l'on mettoit à part les réflexions dont il a foin d'accompagner le récit de tout ce qu'il a vû, appris, examiné à six mille lieues au

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