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XI.

» Je vous parle, très-faint père, dit-il, avec beaucoup de AN. 143 » confiance; & je n'épargnerai pas même les expreffions forPremière let- »tes, parce que j'ai appris de S. Bernard, que la véritable tre du cardi- » amitié fouffre quelquefois des reproches, & jamais de flatnal Julien auterie: que fi j'agiffois autrement, je me rendrois coupable

pape.

» de facrilege & d'infidélité devant Dieu & devant les hom"mes." Voici les raifons qu'allègue ce cardinal, pour engager le pape à ne point diffoudre le concile.

1. Parce que les Bohémiens y avoient déjà été appelés pour y traiter des moyens d'unir les Grecs avec les Latins: ils avoient reçu les lettres présentées par les députés du concile: ils avoient répondu qu'ils étoient prêts d'y venir, pourvu qu'on délibérât fur les quatre articles, auxquels ils réduifoient tous leurs différents avec les catholiques, & qu'on rapportera plus bas. «Or, fi l'on diffout le concile, difoit le » cardinal, que diront les hérétiques? L'églife ne reconnoi»tra-t-elle pas fa défaite, puifqu'elle n'a pas ofe attendre ceux » qu'elle avoit convoqués? Par notre fuite nous approuve»rons leurs erreurs, & nous paroîtrons condamner la véri » té & la juftice, qui font de notre côté. »

II. Tous les fidelles fe fcandaliferont de la diffolution du concile, & ils auront lieu de croire que notre doctrine est fauffe, puifque nous n'ofons pas la défendre contre les erreurs des Bohémiens. Après cela il exhorte le pape Eugene à fe défifter de fon deffein, par la confidération de fon propre intérêt puifque les Bohémiens, difoit-il, n'ont pas feulement répandu dans toute l'Allemagne des erreurs contre la foi de l'églife univerfelle, mais même contre l'autorité & contre l'honneur du faint fiége en particulier.

III. Tout le monde fait que le concile de Bâle a été affemblé, principalement pour extirper l'héréfie des Bohémiens. «Quelle confufion & quel fcandale, dit encore le » même cardinal, ne fera-ce pas dans l'église, fi le concile » fe termine fans avoir rien fait? Tout l'univers, qui au»ra été trompé par une fauffe attente d'une entière réfor» me de l'églife, n'aura-t-il pas fujet de croire que le cler"gé eft incorrigible, & qu'il veut perfifter dans fes défor» dres? N'armera-t-il pas tous les hérétiques contre nous, » comme contre des gens qui fe moquent de Dieu & des » hommes? Ne s'en prendra-t-il pas à l'évêque de Rome » même, qui rendra un compte exact de la perte des ames,

dont il aura été coupable? Enfin quel honneur pour la cour » de Rome, de troubler un concile affemblé pour la réforme? AN. 1432. » N'eft-il pas vrai que toute la haine & toute la honte retom» beront fur celui qui aura été la caufe de tous ces maux ?

IV. » On a publié par-tout que le concile de Bâle étoit » affemblé pour réunir les princes chrétiens, principalement "pour accorder le roi de France & celui d'Angleterre, qui

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font en guerre depuis long-temps. Ils ont été invités de » venir au concile; ne fera-ce pas les tromper, fi on le dif» fout? Il n'y aura donc plus de bonne foi parmi les hom» mes; on ne pourra plus faire fonds fur aucune parole » donnée, & l'on ne fe fiera plus à perfonne. Ajoutez, faint » père, continue le cardinal, que toute la nobleffe d'Alle"magne s'eft offerte à faire marcher une armée très-puiffan"te l'été prochain contre les Bohémiens, pourvu qu'on » leur fourniffe trente mille écus d'or. J'en ai écrit quatre » fois à votre fainteté, fans aucune réponse: enfin, je leur » ai promis cette fomme de la part du concile, & je les ai » exhortés à l'exécution d'un deffein fi louable, pour le» quel il faudroit vendre & croix & calices, afin de four»nir auffitôt cette fomme fans excufe & fans délai. Si la » diffolution du concile fe permet, que deviendra ma pro» meffe? N'est-ce pas commettre toute l'église avec les hé» rétiques, qui ne manqueront pas de fe prévaloir de nos » détours & de nos fourberies? N'eft-ce pas donner l'épou"vante aux catholiques, & les forcer à prendre parti avec » les hérétiques? N'eft-ce pas enfin irriter toute la nobleffe " & toute la milice d'Allemagne, qui fe voyant trompée » s'élevera contre le clergé, & décriera par-tout fon ava"rice? Toute la faute, dit ce cardinal au pape, retombe"ra fur vous puifque vous n'avez pas répondu à mes let» tres, par lefquelles je vous priois d'envoyer du fecours à » cette milice; mais encore vous m'ordonnez de rompre le » concile, duquel feul j'ai lieu d'efpérer ce que vous m'a» vez refusé : la foi & le falut des ames doit être préféré » au temporel & au patrimoine de l'églife. Et quand il fe»roit certain que vous duffiez perdre Rome, & tout l'état » eccléfiaftique, vous feriez obligé de fecourir les ames » pour lesquelles. J. C. eft mort, plutôt que vos forteref" fes & les murs de vos villes. »

Enfin le cardinal Julien affure le pape Eugene, dans

AN. 1434.

XII.

le concile.

Labbe conc. to. XII. pag. 637.

la même lettre, qu'encore que peut-être la célébration du concile ne dût point procurer tous les biens qu'on en espéroit, qu'on diroit néanmoins qu'ils feroient arrivés, s'il n'eût point été diffous. Il réfute enfuite les raifons du pape pour la diffolution, & fe plaint des variations & des paroles équivoques de ceux qui lui en avoient apporté les lettres. Il infifte plus fortement fur le danger évident du fchisme, affurant fa fainteté que les pères du concile étoient fermes dans la réfolution de le continuer: lui expofant les raifons qu'on avoit eues d'improuver la bulle, dont il avoit chargé l'archevêque de Tarente, pour rompre le concile. L'examen de cette bulle fut fait par des perfonnes habiles & intelligentes, auxquelles ce cardinal la lut, pour tâcher de juftifier le pape, & de colorer fon procédé fous quelque prétexte fpécieux. Voici les raifons cu plutôt les prétextes qu'Eugene alléguoit dans fa bulle, pour engager les pères du concile à fe retirer.

I. Les perfécutions & les violences, que quelques ciBulle du pape Eugene, toyens de la ville de Bâle, infectés de l'erreur des Bohépour rompre miens, exerçoient contre le clergé. Cette raison fut déclarée fauffe, parce qu'on avoit des preuves certaines, que les citoyens de la ville de Bâle étoient très-bons catholiques, & bien intentionnés pour le clergé. II. Les guerres continuelles entre les ducs de Bourgogne & d'Autriche, qui ôtoient, difoit-il, la liberté des chemins; mais on répondit qu'il y avoit une trève entre ces princes, & que perfonne ne s'étoit encore plaint d'avoir couru quelque danger fur le chemin de Bâle. III. Son troifième prétexte étoit l'union des Grecs avec les Latins, qui ne permettoit pas, felon lui, de précipiter le concile. Cette raifon fut déclarée non-recevable, & même ridicule; parce que, difoit-on, il ne falloit pas permettre que l'Allemagne, dont la foi étoit alors bien établie, tombât dans l'héréfie des Bohémiens, pour un fujet aufi incertain qu'étoit la réunion des Grecs avec les Latins, qui se défaifoit auffi fouvent qu'elle fe traitoit. Il y a trois cents ans, difoient les pères, qu'on nous rebat les oreilles de cette chanson, & qu'on la renouvelle chaque année. IV. Il difoit qu'il vouloit affifter lui-même au concile, d'où il concluoit qu'il falloit l'affembler en Italie. Mais cette raifon fut jugée auffi frivole que les autres; parce qu'on ne croyoit pas, qu'eu égard au danger dont la foi & tout l'é

tat eccléfiaftique étoient menacés, le pape dût rompre le concile de Bale, par la raison qu'il ne pouvoit y affifter en perfonne, puifque fon légat y étoit préfent. Telles étoient les raifons qu'Eugene apportoit dans fa bulle; & aux répon fes qu'on y fit, on voit bien que fon autorité tomboit d'elle

même.

AN. 1432.

XIII.

Seconde

Auffi le cardinal Julien, fans s'arrêter à cette bulle, écrivit au pape Eugene une feconde lettre, plus vive encore lettre du cat& plus preffante que la première. Il lui représente d'abord dinal Julien la joie que les Bohémiens ont témoignée, lorsqu'ils ont ouï au pape Euparler de la paix, & de la difpofition où ils étoient de venir gene. An. Syl Faf. au concile, pourvu qu'on leur donnàt un fauf-conduit. Il rer.exp. & inlui montre enfuite l'avantage que recevroit fa réputation, ter ejusopera. fi, quittant l'Italie, & le foin des biens temporels de l'églife, dont il pouvoit commettre l'administration à des vicaires, il fe rendoit au concile; «< parce que, dit-il, le véri" table patrimoine de l'églife, c'eft de gagner des ames à » Dieu: l'églife n'eft pas un affemblage de pierres & de "murs: Jefus Chrift ne vous a pas établi pour garder des » villes & des places fortifiées, mais pour être le pasteur » des ames. Ce qui vous eft donc néceffaire, & ce qui se"ra plus agréable à J. C. c'eft que vous faffiez en perfonne » ce qui regarde fon intérêt, & que le refte foit laiffé à des » substituts. » Il lui rappelle enfuite ce qui venoit de se paffer en France, fur le bruit qui s'étoit répandu qu'il vouloit diffoudre le concile;il lui repréfente comme les prélats de ce royaume, alarmés de cette nouvelle, s'étoient affemblés à Bourges, par ordre du roi, le vingt-fixième de Février 1431 ; & que cette affemblée avoit déclaré que le concile de Bâle étoit légitime, & qu'il étoit néceffaire de le continuer en ce lieu fans interruption. C'étoit l'archevêque de Lyon qui avoit mandé cette résolution au concile & au cardinal, avec les motifs qui avoient porté l'églife Gallicane à cette conclufion; & le cardinal dit au pape Eugene, qu'il ne doutoit point qu'on ne lui eût déjà envoyé une copie de ces motifs. Louis du Marets, évêque de Lausanne, en avoit auffi reçu une copie d'un évêque, qui avoit été à l'affemblée de Bourges, & l'on croit que cet évêque eft le même archevêque de Lyon. Quel qu'il foit, il mon- Labbe, conc. tre dans fa lettre un grand dévouement au concile de Bâle; gen. t. x.p. néanmoins il demande qu'on traite Eugene avec beau- 978 & 99%.

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coup de douceur, parce que c'étoit un pontife recomman AN. 1432. dable ; & qu'il étoit d'ailleurs difficile de bleffer le chef, & que les membres n'en reffentiffent point de mal.

Les motifs principaux qui avoient animé l'affemblée de Bourges à parler fi fortement en faveur du concile de Bâle, Spond. ad étoient: 1. Le grand progrès que l'héréfie des Bohémiens ann. 1432. avoit déjà fait dans toute l'Allemagne. 2. L'importance de

11. 5.

réformer le clergé d'Allemagne, qui étoit plongé depuis long-temps dans une corruption univerfelle. 3. La facilité qu'on auroit de convertir les Bohémiens, s'ils fe rendoient au concile; ou de les réprimer, fi refufant d'y venir, on fe liguoit d'abord contre eux, & que toute l'église prît la défenfe de la vérité contre leurs erreurs. 4. Le quatrième motif, que fi, après les avoir invités avec tant d'inftance de venir au concile, ils refufoient de s'y rendre, on leur ôtoit du moins par-là tout fujet de se plaindre des catholiques, & de dire qu'on les avoit condamnés fans avoir voulu les entendre.

Le cardinal Julien fut donc fe fervir à propos du zèle de l'églife de France, contre le pape Eugene, pour défendre le concile de Bâle contre lui. Les reproches qu'il lui fait dans fa lettre, au fujet des efforts qu'il faifoit pour le rompre, malgré les oppofitions de tant d'illuftres prélats, font vifs, mais juftes. » N'eft-ce pas, lui dit-il, réfifter à la » volonté de Dieu ? Pourquoi fcandalifez-vous ainfi l'égli"fe? Pourquoi irritez-vous ainfi le peuple chrétien ? » Il tâche de le détromper de l'erreur dont on l'avoit flatté, que le concile de Bâle n'étoit point légitime; ce qui favorifoit fort le deffein qu'il avoit de le rompre. La raifon que ce cardinal apporte, eft qu'on ne peut douter de l'autorité du concile de Bâle, qu'on ne contefte en même temps celle du concile de Conftance; parce que l'un de ces deux conciles dépend de l'autre, comme l'effet dépend de fa caufe. Or jufqu'ici perfonne n'a révoqué en doute l'autorité du concile de Conftance; autrement, la dépofition du pape Jean XXIII ne feroit pas canonique; & fi elle ne l'eft pas, il s'enfuivra que l'élection du pape Martin V & d'Eugene IV n'eft pas légitime, puifqu'elle a été faite du vivant de Jean XXIII. Eugene IV, dont l'élection a été faite par les cardinaux que Martin V avoit créés, ne fera pas auffi pape légitime.

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