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gua les princes avec tant de feu, qu'il n'y en eut aucun AN. 1454. qui n'opinât en faveur de la guerre contre les Turcs. Le duc de Bourgogne s'y diftingua par fon zèle, & par l'offre qu'il fit d'aller lui-même en perfonne à cette guerre, pourvu que quelque prince voulût l'y accompagner. On convint auffi de rechercher le fecours des François, qui pouvoient fournir de la cavalerie, & celui des Italiens, qui pouvoient aisément équiper une puiffante flotte : il fut arrêté qu'on tiendroit une autre affemblée à Francfort le vingtneuvième de Septembre, pour aviser aux moyens de lever des foldats, & trouver l'argent néceffaire à l'entretien d'une armée.

CXLII.

refufe la vifi.

epift. 62

Les auteurs ont fort relevé le zèle & la générofité du L'empereur duc de Bourgogne, en condamnant la conduite de l'emte du duc de pereur, qui n'étoit pas d'avis qu'on entreprit la guerre Bourgogne. contre les Turcs, parce qu'il appréhendoit la dépenfe. Son An. Sylv, avarice parut encore davantage dans le refus qu'il fit de re& cevoir la vifite du duc, qui s'en retournoit dans fes comment.l.2. états: il feigrit d'être malade, parce qu'il prévoyoit qu'il lui en coûteroit beaucoup pour recevoir un prince auffi grand & auffi magnifique qu'étoit le duc de Bourgogne. Celui-ci n'eut pas plutôt appris du pape la perte de Conftantinople, qu'il lui envoya quatre galères avant même que de partir pour l'Allemagne, & lui promit dans la fuite un plus puiffant fecours. On affure même qu'il fit vou d'aller combattre les infidelles fous le bon plaifir du roi de France fon feigneur, pourvu que fes états fuffent en paix. Enée doute cependant fi ce prince n'eut pas d'autres motifs que ceux de la religion; il infinue même que le grand zèle qu'il fit paroître en cette occafion pouvoit provenir du défir de se venger des Turcs, qui avoient exigé de fon père une rançon très-considérable, ou de quelque défir d'acquérir de la gloire; fentiment qui anime, dit-il, la plupart des grands ce qui lui fait conclure qu'il n'espère pas plus de l'affemblée indiquée à Francfort, que de celle de Ratisbonne.

CXLIII.

fait fairela

Un moine ou ermite de faint Augustin, appelé SimoUn moine net, fans fcience, mais qui avoit beaucoup d'adreffe, & qui favoit s'infinuer dans les efprits, engagea dans ce temps les Italiens à faire la paix entre eux. Il fit pour cet effet plufieurs courses & plufieurs voyages, tantôt chez les Vénitiens

paix en ltalie.

& les Florentins,tantôt vers François Sforce;enfin il fut fi bien les perfuader tous, qu'il les engagea à conclure la paix au commencement du mois d'Avril: tout le monde fut furpris qu'un religieux fage & d'une vie réglée à la vérité, mais inconnu, fans naiffance & fans appui, fût venu à bout d'une entreprise dans laquelle le pape & les cardinaux n'avoient pu réuffir.

AN. 1454

CXLIV. Les Génois

ne font point

Tous les alliés convinrent d'un jour auquel ils devoient confirmer & ratifier le traité: mais Alfonfe fâché qu'on eût tranfigé fans lui, au mépris, difoit-il, de la dignité royale, refufa de le figner. On lui envoya des ambaffadeurs, & le cardinal de fainte Croix, député de la part du pape, fit fi bien par les négociations, que la paix fut arrêtée avec ce prince, & conclue avec certaines modifications qui lui étoient honorables. L'alliance fut faite pour vingt-cinq ans entre les princes d'Italie, à l'exception des Génois, qui ne furent pas compris dans ce traité. Ce n'eft pas que le cardinal de compris dans fainte Croix & les autres ambaffadeurs n'euffent représenté cette paix. à Alfonfe, que ces peuples étant puiffans fur mer, on avoit befoin d'eux dans la guerre contre les Turcs; mais Alfonfe ne voulut jamais les comprendre dans le traité, fans leur impofer des conditions, que ceux-ci refusèrent d'accepter. Il voulut qu'ils fe défiftaffent des prétentions qu'ils avoient fur quelques vaiffeaux qu'on leur avoit furpris, & qu'ils lui apportafient le baffin d'or qu'ils avoient ceffé de lui donner depuis quelques années; parce qu'il vouloit le recevoir en public au milieu de fa cour comme un tribut, & non pas en particulier comme un préfent. D'autres motifs l'éloignoient encore de faire fa paix avec eux : il ne pouvoit oublier fa prison, ni les pertes que les Génois lui avoient caufées dans l'ile de Corfe de forte qu'il ne ceffa point de les inquiéter par mer & par terre, tant qu'il vécut, quoiqu'ils fe fuffent mis fous la protection du roi de France.

:

CXLV. Mort de Jean roi de Caftil

le.

Jean, roi de Caftille, après s'être défait d'Alvarez de Lune, qui l'avoit dominé fi long-temps, mourut d'une maladie lente à Valladolid le vingtième Juillet de cette année, âgé d'environ cinquante ans, après en avoir régné quarante-huit. Triana, l. Il voulut être enterré dans le monastère de Burgos, que 22.6.14.&5. fon père avoit fait bâtir, & qu'il avoit donné lui-même aux Chartreux. Son fils, Henri IV du nom, âgé de trente

AN. 1454.

CXLVI.

Lettre d'E

ans lui fuccéda, & ne fut pas moins vicieux que lui; il étoit marié depuis quatorze ans à Blanche, fille du roi de Navarre, qu'il avoit répudiée, parce qu'il ne l'aimoit pas. Chacun fut furpris de la fentence du divorce qui fut prononcée par l'adminiftrateur de l'églife de Ségovie, & confirmée avec la permiffion du pape par l'archevêque de Tolède. Il s'étoit fi fouvent révolté contre Jean fon père, que ce prince avoit été fur le point de déclarer fon fils Alphonfe, âgé feulement de fept mois, fon fucceffeur; mais ce bas âge, & la crainte que ce choix n'excitât de grands troubles, l'en empêchèrent. Henri confirma les anciens traités d'alliance avec Charles VII, roi de France, que Jean fon père, venoit de renouveller lorsqu'il mourur.

Eneas Sylvius écrivit le cinquième de Juillet une lettre, meas Sylvius qui contient un état affez exact de l'état où se trouvoient touchant la alors les princes chrétiens; nous en parcourerons les prinfituation des cipaux articles, afin de mieux faire connoître la fituation

affaires de ce

temps.

des affaires de ce temps. Cette lettre eft adreffée à Léonard, qui l'avoit prié d'employer tout fon zèle & tout fon crédit pour porter les princes à faire la guerre aux Turcs, & qui lui avoit auffi parlé des affaires d'Italie: mais Enée lui répondit que l'affemblée de Francfort étoit bien d'une autre conféquence, parce que les Italiens, préparés par les néEn. Sylv. 4. 49. & 58. gociations du pape & des cardinaux, & encore plus par les preffantes follicitations du moine Simonet, étoient fur le point de conclure la paix entr'eux; & qu'étant fatigués de la guerre, ils fentoient le befoin où ils étoient d'en venir à un accommodement: mais que les Turcs n'étoient pas dans les mêmes difpofitions, & que d'ailleurs le roi de France & l'empereur n'étoient point affez perfuadés de l'intérêt qu'ils avoient d'entrer dans ce projet de guerre ; le premier n'ayant rien à craindre d'ennemis fi éloignés, & le fecond étant d'un naturel fort opposé à l'action.

CXLVII.

I prouve

De plus, ajoute Enée, le fuccès de l'affemblée de Francnonn'a rien fort ne dépend pas feulement des princes d'Allemagne ; il & efpérer de faut de plus y appeler le roi d'Aragon, les Génois, les FloPaflemblée rentins, les Siennois, ceux de Luques, François Sforce, quoiqu'il ne foit point encore invefti du duché de Milan, le duc de Modène, les marquis de Mantoue, de Montferrat & de Saiuces: il faut perfuader aux rois de France, d'Angleterre, de Bohême, de Hongrie, de Pologne, de Dane

deFrancfort.

marck, de Suède, de Norvège & d'Ecoffe d'y envoyer leurs ambaffadeurs: il ajoute encore qu'il étoit vrai que les princes d'Allemagne étant fur les lieux, avoient ordonné aux communautés d'y envoyer leurs députés; mais que quelque célèbre que fût certe affemblée, il n'en e péroit aucun heureux fuccès, parce que l'armée des chrétiens n'auroit aucun chef auquel elle voulût obéir & qu'on ne rendoit point au pape & à l'empereur le refpe&t qui leur étoit dû; qu'on les regardoit comme des chefs fans autorité, qui n'avoient de grand que le nom ; que chaque ville avoit fon seigneur ; qu'il y avoit autant de princes que de maisons, de forte qu'on ne pourroit perfuader de prendre les armes à tant de chefs, qui avoient des intérêts particuliers & fi différens; qu'on ne fauroit, parmi tant de rois, à qui donner le commandement des armées; qu'on feroit embarraffé fur l'ordre, la difcipline, l'obéiffance, la diverfité des langues & des humeurs de tant de différentes nations; qu'on feroit arrêté par la difficulté de trouver de quoi fournir aux frais; qu'il n'étoit pas aifé d'accorder auparavant les François avec les Anglois, les Génois avec ceux d'Aragon, les Allemands avec les Hongrois & les Bohémiens: outre que fi l'on envoyoit peu de gens contre les Turcs, ils feroient bientôt défaits & battus; fi l'on envoyoit au contraire une armée nombreufe & confidérable, ce ne feroit que défordre & confufion.

Une autre raifon fur laquelle Enée infiftoit encore, étoit que l'Italie n'étoit pas alors affez paifible, malgré la paix qu'on avoit conclue, puifqu'il y avoit encore guerre entre le roi d'Aragon & les Génois.

AN. 1454

Alliance des

A tous ces obftacles, Enée ajoute celui des Vénitiens, CXLVIII. qui auffitôt qu'ils eurent appris la perte de Conftantinople, vénitiens avoient envoyé Barthelemi Marcelle à Mahomet, pour lui avec les redemander, au nom de la république, les Vénitiens pri- Turcs. fonniers, & les biens qu'on leur avoit pris pendant la guerre ; ce qui leur fut rendu avec beaucoup de générofité. Il rapporte auffi que Marcelle avoit fait de nouveau la paix avec le Turc, à condition toutefois que, les princes chrétiens s'uniffoient pour déclarer la guerre au fultan, ils pourroient prendre les armes & fe joindre à ces princes pour la défenfe de la foi. Mais tout cela prouve, dit Enée, qu'il faudra beaucoup prier, exhorter & preffer les Vénitiens pour leur faire rompre les engagemens qu'ils ont déjà

AN. 1454

Grandes di

pris avec les Turcs: ce qui fait douter du fuccès de cette guerre avec d'autant plus de raison que, dans l'obligation d'attaquer les infidelles par mer & par terre, les Italiens manquant, les Vénitiens ayant fait leur paix, les Génois, outre les obftacles qu'y oppofoit Alfonfe, payant tribut au Turc, le roi d'Aragon n'étant pas en état d'équiper lui feul une flotte, & celle du pape étant trop peu coníidérable, il ne falloit rien efpérer du côté de la mer.

Que Mahomet, de fon côté, étant fort paisible du côté de l'Hellefpont, rien ne l'empêcheroit, fi on lui déclaroit la guerre, de faire paffer une armée nombreuse d'Afie en Grèce; outre que les rois de Caftille, d'Aragon, de Navarre & de Portugal n'étoient point d'accord en

tre eux.

CXLIX. Que fi les divifions entre les royaumes de Caftille & d'Avifions entre ragon étoient affoupies, il n'en étoit pas de même du Jean roi de royaume de Navarre, où Jean qui en étoit roi, & Charles Navarre, & prince de Viane fon fils, étoient extrêmement brouillés. Celui-ci avoit l'eftime du plus grand nombre des feigneurs, Mariana,lib. & la faveur entière de Blanche fa foeur; ce qui irrita fi 22. c. 14. & fort le père, qu'il voulut céder fon royaume au comte de

Charles fon

fis.

17.

CL.

Le roi de Portugal en

Foix fon gendre, pour en priver fon légitime héritier. Les Navarrois, pour l'empêcher d'exécuter ce deffein, élurent Charles pour roi à Pampelune, & ne laiffèrent pas de le proclamer, quoiqu'il fut en Italie auprès d'Alfonfe fon oncle: ce qui étoit encore de ce côté-là un grand obstacle à la guerre contre les Turcs; auffi-bien que les affaires que Henri, nouveau roi de Caftille, avoit avec les Maures, contre lefquels il avoit levé une armée affez confidérable, qui n'avoit fait autre chofe que quelques courfes dans la campagne pour ravager le pays, fans faire aucune conquête : ce qui outra fi fort les Caftillans, qu'ils fe feroient faifis de leur roi, s'il ne fe fût fauvé promptement & mis en lieu de fureté. Alfonse se plaifoit fi fort en Italie, qu'il ne pouvoit fe réfoudre à revenir en Aragon, quoiqu'on l'y fouhaitât, & que fa préfence y fût néceffaire pour réconcilier le roi de Navarre fon frère avec fon neveu.

Le roi de Portugal, plus zélé que les autres, avoit envoie fa flotte voyé une flotte confidérable en Italie, pour se joindre à en Italiepour celle des princes; ce qui ne fervit toutefois de rien, à caufe laguerrecontrees Turcs. du refroidiffement des Italiens, & des nouveaux troubles

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