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rendu maitre d'une bonne partie du royaume de Naples ; AN. 1458. la fin fut malheureufe, parce qu'il fut entièrement chaffe de toute l'Italie fix ans après fon arrivée.

LVI.

Mort du pa

11.

La mort de Calixte délivra Ferdinand de beaucoup d'inpe Calixte quiétudes, & il retta paisible poffeffeur de la couronne. Ce pape mourut à Rome le fixième du mois d'Août de cette année âgé de quatre-vingts ans, après avoir occupé le faint fiége trois ans & quatre mois moins trois jours. Sa maladie avoit duré quarante jours. Jean-Antoine Campanus Italien, & évêque de Texamo dans l'Abruzze, fit fon oraifon funèPlatin. in bre, qu'on trouve parmi fes ouvrages. Il avoit été fecrétaire vita Calixti de ce pape, qui laiffa en mourant cinquante mille écus d'or, felon Platine, quoique faint Antonin faffe monter la fom22. cap. 26. me jusqu'à cent cinquante mille. Les cardinaux voyant que le fouverain pontife alloit bientôt expirer, tirèrent le chàteau Saint-Ange des mains des Catalans, moyennant quelques milliers d'écus ; & les Romains maltraitèrent fort ceux de cette nation qui s'étoient comportés durant la vie du pape avec beaucoup de violence. Pierre, neveu de fa fainteté, fe retira dans la vieille ville, craignant les Urfins: mais il mourut peu de temps après.

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Antonin, tit.

§. 1. Ciacon. in

Calixt.

LVII.

Les cardi

naux entrent

Les funérailles de Calixte étant faites dans l'églife de S. Pierre, & fon corps pofé dans un tombeau de marbre, les au conclave cardinaux qui étoient à Rome au nombre de vingt-un, enpour élire un trèrent dans le conclave dix jours après les obfèques, felon la coutume.

pape.

On tint ce conclave dans le palais de faint Pierre, où l'on avoit préparé deux falles & deux chapelles. Dans la Platina in plus grande des falles on avoit construit des cellules pour Calixt. 111. le logement des cardinaux. L'affemblée fe tint dans la plus com. Pii. II. petite qu'on appeloit la chapelle de faint Nicolas, le refte

1. 2.

des appartemens étant demeuré commun pour la promenade des conclaviftes. On ne fit rien la première journée ; la feconde fut employée à régler certains articles qui devoient être obfervés par le nouveau pape qui feroit élu : & tous les cardinaux firent ferment de s'y conformer. Dans le troifième jour on alla aux fcrutins, après la meffe du Saint-Efprit. Les cardinaux de Boulogne & de Sienne ( ce dernier étoit neas Sylvius) furent ceux qui eurent le plus grand nombre de voix. Tous les autres n'en eurent pas plus de trois. Guillaume cardinal de Rouen n'en eut aucune, foit qu'il ne

fût pas aimé, foit qu'on ne le jugeât pas capable de bien gouverner l'églife.

AN. 145%.

LVIII.

Quoique les cardinaux aient coutume de conférer enfemble après les fcrutins pour voir fi quelqu'un veut changer de fentiment, ce qu'on appelle aller à l'acceffit, on n'en ufa pas ainfi ce jour-là: ce qui donna beaucoup de chagrin à ceux qui croyoient avoir le plus de part à l'élection. Après le dîner on fit des conventicules, où les plus puiffans briguèrent des voix pour leurs amis, & employèrent les prières, les promeffes, & même les menaces. Enfin les cardinaux agiffoient avec tant de chaleur, qu'ils ne fe donnoient aucun repos. Le cardinal de Rouen, qui craignoit celui de Sienne plus que les autres, difoit à chacun en particulier : « à quoi penfez» vous de vouloir élever au fouverain pontificat Enée Pic- Le cardinal » colomini? Ne voyez-vous pas qu'il eft pauvre & goutteux? de Ronen fe » Sa fanté pourra-t-elle fupporter le poids de cette charge? tre Aneas » Que favons-nous fi l'inclination qu'il a pour l'Allemagne, sylvius. » d'où il n'eft revenu que depuis peu de jours, ne l'obligera "point d'y tranfporter le fiége de S. Pierre? Peut-on dire » que cet homme ait la moindre teinture des belles-lettres » & du droit canon? Un poëte comme lui eft-il propre à "gouverner l'églife? Il voudra la régir fuivant la loi des » gentils. Voudriez-vous donner auffi votre voix au cardi»nal de Boulogne, qui n'a pas affez d'efprit pour gouver»ner fa propre églife, & qui manque de la docilité néceffai»re pour fuivre un bon confeil? »

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"

Ce cardinal avoit attiré dans fon parti celui d'Avignon, homme entreprenant & intéreffé, qui agiffoit fortement en fa faveur, tant parce qu'il étoit François, que parce qu'il efpéroit gagner par cette élection l'archevêché de Rouen, le palais que ce cardinal avoit à Rome, & la charge de vice-chancelier qu'il poffédoit. Il avoit aufli mis de fon côté les cardinaux de Gènes & de S. Sixte, qui tous deux avoient été de l'églife Grecque. Profper Colonne, les cardinaux de Pavie, de Boulogne, des Urfins & de S. Anaftafe ne s'étoient pas encore déclarés. Ainfi il étoit affuré d'onze voix, & il étoit à préfumer qu'il s'en joindroit queiqu'autre pour faire la douzième. La veille du fcrutin le cardinal de Boulogne alla trouver Enée Piccolomini à minuit, & lui dit: « favez-vous que le cardinal de Rouen va être pape? Sa » brigue eft faite, il n'attend plus que le jour du fcrutin; je

déclare con

AN. 1458.
LIX.

On pense à élite pape le

cardinal de Rouen.

LX.

colomini fur

cette élec

tion.

» vous confeille de vous lever promptement, & de l'al»ler trouver pour lui offrir votre voix, de peur qu'il ne conferve quelque reflentiment de ce que vous avez été » fon concurrent. Pour moi je veux éviter le malheur qui » m'arriva au dernier conclave. Calixte III ne m'a jamais » été favorable; je vous donne aujourd'hui le même confeil » que je veux fuivre. »

Piccolomini lui répondit, qu'il pouvoit faire ce qu'il vouSentimens droit; ma s que pour lui il ne vouloit pas donner son sufd'Enée Pic frage à un homme qu'il trouvoit fi indigne de ce facré caractère. « Dieu me garde, continua-t-il, de commettre un "fi grand péché; fi d'autres lui donnent leurs voix, ce » fera à eux à en rendre compte: pour moi je n'en veux » pas charger ma confcience. Vous dites qu'il eft fàcheux » de ne point avoir le pape pour ami ; j'en conviens: mais » que me fera-t-il ? Il ne me tuera pas, pour lui avoir » refufé ma voix ; il ne me fera pas de bien; il ne me » donnera ni pension, ni le plat des cardinaux pauvres, & » il m'abandonnera dans ma mifère : voilà tout ce que j'ai à 2 craindre. La pauvreté n'eft pas difficile à fupporter "quand on s'y eft accoutumé; j'ai vécu pauvre, & je mour» rai pauvre: il ne m'empêchera pas le commerce des muses, » qui me fervent de confolation dans ma mauvaise fortune. » Au refte je ne peux pas croire que Dieu veuille permet"tre que fon époufe bien-aimée ait un chef fi indigne d'el"le, & qu'un homme convaincu de fimonie devienne fon » vicaire fur terre: il ne permettra pas que ce palais, qui » a été la demeure de tant de faints papes, ferve de loge» ment à un ambitieux qui ne pense qu'aux honneurs & » aux biens temporels. C'eft Dieu qui donne le pontificat, » & non pas les hommes: il détruira ces brigues injuftes, » demain on verra clairement que c'est lui qui fait les pa» pes; fi vous êtes véritablement chrétien, vous ne don» nerez pas votre voix à un homme fi indigne de ce rang. »

LXI.

Il empêche qu'on ne choififle le

Rouen.

Ces paroles firent un fi grand effet fur l'efprit du carcardinal de dinal de Boulogne, qu'il changea bientôt de fentiment, & promit de ne point donner fa voix au cardinal de Rouen. Le lendemain de grand matin, Piccolomini alla trouver le vice-chancelier, & lui demanda s'il étoit auffi engagé dans le parti de l'archevêque de Rouen. Ce cardinal lui répondit qu'il n'avoit pu s'en défendre, parce que fa bri

gue étoit fi forte, qu'il n'y avoit point à douter de fon élection; que s'il la traversoit mal-à-propos, il ne feroit que AN. 1458. s'attirer la haine du nouveau pape, & perdroit la charge de vice-chancelier dont il étoit affuré par écrit, en donnant fa voix au cardinal de Rouen. « Vous n'avez guère de pé» nétration, lui répartit Enée, de vous fier à l'écrit d'un » homme qui n'a ni foi ni religion: gardez votre promef» fe, & le cardinal d'Avignon aura la chancellerie qui lui » eft promife auffi-bien qu'à vous; il y a apparence qu'il » manquera bien plutôt de paròle à un Efpagnol, qu'à un » homme de fon pays. Seriez-vous affez fou pour donner » votre voix à un jeune homme, qui eft d'une nation en>>nemie de la vôtre ? Si vous n'avez aucun égard au bien de » l'église & de la chrétienté, confidérez votre intérêt par»ticulier, & voyez ce que vous avez à craindre fous le » pontificat d'un pape François. »

LXII.

Son difcours

ce-chance

lier.

Le vice-chancelier écouta affez patiemment la remontrance de fon ami, fans lui rien répliquer : & Piccolomini voyant au cardinal que le cardinal de Pavie l'avoit écouté avec beaucoup d'at- de Pavie vi tention, lui dit qu'il connoiffoit bien qu'il étoit tellement engagé avec le cardinal de Rouen, qu'il ne pouvoit plus s'en dédire. « Il est vrai lui répondit ce cardinal, que j'ai » promis de donner ma voix pour n'être pas feul de mon » parti, étant affuré que l'archevêque de Rouen fera pa»pe. Je croyois, reprit Piccolomini, que vous aviez un » efprit plus folide, vous dégénérez des vertus de vos an» cêtres; votre oncle Martin Brando cardinal de Plaisance, » voyant que le pape Jean XXIII avoit paffé les monts » & retourné en Allemagne, où il avoit voulu transférer "le faint fiége fous prétexte du concile affemblé à Conf» tance, usa de tant d'adreffe, qu'il le fit revenir en Ita» lie, en élevant au pontificat le cardinal Colonne qui "prit le nom de Martin V. De forte que, pour combattre » les fentimens de votre oncle qui ramena le pape d'Al»lemagne en Italie, vous voulez d'Italie le faire paffer » en France : vous qui êtes Italien, vous voulez prendre » le parti des François contre ceux de votre nation. Espé»rez-vous qu'il vous favorifera plutôt que ceux de fon » pays? Vous me direz peut-être qu'il a promis de ne » point fortir d'Italie fans le confentement du facré collége, » & qu'il ne pourra obtenir ce confentement. Mais, dites

AN. 1458.

» moi de grâce, quand il voudra fortir d'Italie, y aura >> t-il un cardinal affez hardi pour combattre fes fentimens ? » Vous ferez le premier qui, après en avoir reçu quelques » grâces, lui dira: Saint Père, allez où il vous plaira. » Qu'est-ce que l'Italie, quand un pape en eft abfent? Elle » perd tout fon luftre en perdant le pape : & cependant » vous consentirez à ce qui doit ruiner votre patrie. Ou » le pape ira en France, & l'Italie demeurera fans chef & » fans pasteur; ou s'il demeure à Rome, nous aurons le >> chagrin de voir cette ville, autrefois la maîtreffe du mon» de, foumise à un étranger : nous deviendrons les esclaves » des François qui s'empareront de la Sicile. Vous avez vu » que, fous le pontificat de Calixte, les Catalans étoient » maîtres de tout. Après avoir éprouvé la tyrannie des Ef"pagnols, vous voulez vous foumettre aux François. Vous » vous repentirez bientôt de leur avoir donné entrée en Ita» lie. Vous verrez le collége des cardinaux rempli de Fran»çois ; ils s'y rendront fi puiffans, qu'il n'y aura plus de » papes que de leur nation. Vous voulez donc donner des » fers à votre patrie ? A quoi fongez-vous, de vouloir éta» blir vicaire de JESUS-CHRIST, un homme comme l'ar» chevêque de Rouen? Eft-ce avoir de la confcience, & » le moindre fentiment de piété & de justice ? N'est-ce pas » manquer de prudence & de jugement ? N'avez-vous pas » dit plufieurs fois que l'église de Dieu feroit ruinée, fi elle " étoit gouvernée par ce cardinal,& que vous aimeriez mieux » mourir que de confentir à fon élection ? Pourquoi donc » avez-vous fitôt changé de fentiment? Eft-ce que dans un » inftant, de démon qu'il étoit, il eft devenu un ange? » ou vous-même d'ange de lumière, êtes-vous devenu ange » de ténèbres? Il faut que ce changement fe foit fait en " vous, puifque vous approuvez l'avarice & l'ambition de » cet homme. Qu'est devenu l'amour que vous aviez pour » votre patrie, que vous préfériez autrefois à toutes les na» tions de la terre ? J'aurois cru que vous ne l'auriez jamais » abandonnée, quand même vous auriez vu vos plus chers » amis fe révolter contre elle. Vous m'avez bien trompé, Le cardinal ou plutôt vous vous trompez vous-même, & vous trom>>*pez votre patrie, fi vous ne fortez de cette erreur. »

LXIII.

de Pavie fe

départ de l'archevêque

Le cardinal de Pavie fut fi touché de ces paroles, qu'il de Rouen. ne put s'empêcher de répandre des larmes; & après quel

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