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II

Examinant de près à la prochaine empletre,
(Silverroit quelque feuille où la marque fuft faite.
Quand j'allois faire en Ville une commiffion,
Vous irez, difoit il,par même occafion
Chez notre Rapporteur, ou chez fon Secretaire,
Pour l'Acte en queftion vous verrez le Notaire ;
Delà vous pafferez au Caroffe du Mans,

Vous fçaurez fi pour moi l'on n'a rien mis dedans
Ne manquez pas d'aller au Bureau du Controlle;
Sçachez de l'Ecrivain s'il a fini ce rolle;
Informez ce Plaideur, qu'il eft trop négligent.
Et que je ne puis pas travailler fans argent;
Il faut, s'il n'en a point, qu'il en quête en cent bourfee,

Pour me dédommager de ces pénibles courses,
Une heure avant midi nous allions au Palais;
Je promenois le fac jufques au lieu du Plaids,

Cour des Aides,Grand'Chambre Amirau é, Requêtes
Domaine, Eaux & Forêts, Table de Marbre,Enquétes
Enfin cent Tribunaux m'exerçoient tous les jours,
Par les réduits obfcurs de leurs nombreux détours.
Pour un apprentif Clerc, c'eft une rude école,
Quand il faut qu'en fa tête, il dreffe un * Protocole.
Pour fçavoir le moment, le lieu, l'occafion
Detirer du Palais une expedition.

Dépure pour lever une a &te, une fentence,
Ila beau s'en preffer, poftuler, faire instance,
Il a beau parcourir trente greffes divers,
Ily trouve toujours des efprits de travers,
Qui font les affairez, & fans daigner répondre,
Le laiffent par malice en un coin fe morfondre.
* Formulaire pour l'instruction des Clercs.

NB:

Heureux, fi le faifant long-temps attendre en vain,
Ils ne remettent pas l'affaire au lendemain..
Quoique le Palais fût loin de notre demeure,
Pour aller & venir, je n'avois qu'un quart-d'heure,
Et fur un tel calcul j'illois à mon retour

Juftifier l'emploi de la moitié du jour.

Quand j'arrivai, l'étude étoit fi mal en ordre,.
Et du haut jufqu'en bas regnoit un tel defordre,.
Que les facs, les papiers, fous un confus amas,
Trainoient dans la poutliere a la merci des rats.
Il fembloit qu'à deffein, au jour de mon entrée
L'heure de netoyer eût été differée,

Et que le dernier Clerc faifant fon fonds fur moi,
M'eût, pour le ménager, refervé cet emploi.
Dans l'étude, il n'étoit coins ni recoins ni place,
Qui de ma propreté ne fiffent voir les traces.
Je promenai partout le houffoir, le balai,
Je dérangeai les facs & je les fecoüai ;
Enfin tout fut fi bien rangé sur les tablettes,
Que l'on pouvoit de loin lire les étiquettes.
Des maux de notre état qui ne feroit inftruit,
Croiroit mes travaux ne furent fans fruit;
que
pas
Qu'on fçache néanmoins que ma táche achevée
Jftement du repas l'heure étant arrivée,
Pour foulager ma foif & mon grand appetit,
Un pauvre galopin de deux doigts trop petit
Rempli d'une pouffiere épaiffe & dégoutante
Me fut, comme à regret, donné par-la fervante.
Aprés avoir d'un trait vuidé ce mauvais vin,
Je paffai fon dégoût fur un morceau de pain

Qu'à peine on difcernoit fous un coin de ferviette,
Et comme on approchoit de ce temps de difette,
Où l'extrême mifere & la grande cherté

Aux plus riches ont fait craindre la pauvreté,
On minutoit dés lors, comment on pourroit faire,
Pour qu'au jufte les Clercs eûffent leur neceffaire:
A l'indigne lezine on ne mit plus de frein.

Notre demi feptier de biere à moitié plein,
Loin de nous humecter dans notre fechereffe,
Provoquoit notre foif avec plus de viteffe,
Pour potage on trempoit trois foupes de pain bis,
Ou du gruau gâté qui paffoit pour du ris.
Mufe, redis moi donc fans art & fans figure,
Sous les traits naturels d'une jufte peinture,
Comme en ce temps facheux chaque Clerc affamé
Juroit de voir le pain fous la clef enfermé.
Lorfqu'à table on citoit la clericale troupe,
Nos deux époux munis d'une excellente foupe,
Avoient déja pris foin de fequeftrer duplat
Le morceau le meilleur & le plus délicat,
Les jours gras chique Clerc avoit fa cautelette :
Les jours maigres quatre oeufs brouillez en aumelette
Faifoient affez fouvent la portion des trois.

On nous donnoit encor des féves & des pois:
Mais jamais du poiffon l'arête meurtriere
Ne nous mit en danger de perdre la lumiere.
Chaque fois qu'on fervoit fur table un aloyaw,
Les conviez, des Clercs refervoient le morceau.
Cet article eft fi vrai, qu'on s'eft fait un ufage
De citer ce proverbe en forme de paffage,

Car quand un aloyau paroit dans un repas,

Eh quoi, dit-on, Monfieur, vous n'y fongez donc pas,
C'eft le côté des Clercs où vous voulez en prendre;
Coupez en cet endroit, il eft cent fois plus tendre,
C'est un jus fucculent qui flâte le palais

Mangez.... l'autre côté fera pour les valets.
Quand notre Procureur mangeoit en compagnie,
En vain d'exquis morceaux la table étoit fournie,
On avoit beau fervir des mets délicieux,
Le plus effronté Clerc n'y touchoit que des yeux.
Et fi l'un d'eux épris de paffion gourmande,
Au hazard d'effuyer une aigre reprimande
Ofoit mettre la main fur le premier ragoût,
Et comme convié manger felon fon goût,
La maîtreffe d'un oeil rénaçant & farouche'
Suivoit chaque morceau qu'il portoit à fa bouche,
Et le repas fini, dans un difcours outré

Sur fon effronterie il étoit chapitré.

Bien plus, pour éviter un incident femblable,
En pareil cas à part on dreffoit une table,
Où tous mes Clercs reduits au fimple galopin
Savouroient le fumet des fauffes & du vin.
Qu'on laiffat dans un plat quelque chofe de refte,
Auffi-tôt la fervante à l'erte au moindre gefte,
Deffervoit hardiment, & ferroit avec foin
Ce dont les pauvres Clercs avoit fi grand befoin.
Et lorfque franchiffant librement toute crainte,
Un Clerc fur le manger proferoit quelque plainte,
Il étoit gourmandé, repris feverement.
C'eft, difoit-on, parler bien impertinemment ;

Monfieur eft délicat, dites-moi, je vous prie,
Ne faut-il point aller à la rotifferie?

Alors le Procureur : Parlons de bonne foi,
Je ne vois pas qu'on foit fi mal nourri chez moi
En verité pour moi, j'admire & je m'étonne
Qu'à votre goût jamais ma foupe ne foit bonne.
Ma fervante eft prefente, & peut me démentir,
Si je ne lui dis pas, quand je la vois fortir:
Achetez-moi toûjours le meilleur quoi qu'il coûte;
N'eft-il pas vrai, Nanon? Parlez donc? Oüi fans doute,
Pour éviter le bruit, on n'ofoit repliquer.

Mais fi chacun eût pû franchement s'expliquer,
Sans nut emportement, fans bruit & fans colere,
J'eûffe dit doucement d'un air libre & fincere:
C'est ici, je l'avoüe, une bonne maison,

Ce qu'on y boit eft fain, ce qu'on y mange eft bon;
Mais, ne déguifons rien, Madame votre épouse
Qui de fon embonpoint eft un peu trop jaloufe,
Et qui veut conferver fon teint vermeil & frais,
Prend des bouillons du pôt, & le remplit aprés.
Moi qui n'ignore pas les loix & la Coûtume,
Je fçai que fuppofant un mal de cœur, un rhume,
Le Procureur, fa femme, & le Clerc en faveur
Tirent fouvent du pôt le fuc & la faveur ;
Et puifque vous avez l'ame fi délicate,

Que vous ne voulez pas, Monfieur, que l'on vous flåte,
Je veux vous avertir, que lorfqu'au cabaret
Beuvant à votre choix du rouge ou du clairet
Tous épuifez l'argent d'un client qui vous traite,
otre fine fervante au marché rien n'achete;

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