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qui menoit la même vie que les Indiens. Il me dit qu'il n'étoit pas le feul à qui le goût de la liberté eut fait prendre ce parti, & qu'il s'en applaudiffoit tous les jours. Les Mufchetos ne craignent que le Diable & les Efpagnols. Ils ont un grand nombre de prétendus Sorciers qui les entretiennent, par leurs prestiges, dans la premiere de ces deux craintes, & l'autre leur vient des cruautés & des perfécutions qu'ils ont longtems effuyées de la part des Colonies d'Efpagne. Après de longues guerres, où les avantages ont été fouvent balancés, leur petit nombre les a forcés de fe retirer dans des Montagnes & des Marais impratiquables. Ils y font à couvert des attaques de leurs Ennemis; mais le fouvenir du paffé nourrit leur haine, & leur fait chercher les occafions de fe venger. It font quelquefois des excurfions imprévues qui coutent la vie à plufieurs Espagnols; & dans les autres tems ils ne font aucun quartier à ceux que le hazard leur fait rencontrer. Ils les appellent Little Breecthes, ou Petites Culottes, pour les diftinguer des Anglois, qui en por

tent de plus grandes. Si l'on excepte cette haine, il n'y a point de bonnes qualités qui ne foient communes dans la Nation des Mufchetos. Jamais Peuple ne fut plus fidelle à fa parole. Ils font doux, humains, capables de reconnoiffance & d'amitié. Les mariages y font fort chaftes. Ils n'ont qu'une femme, pour laquelle ils ont des égards qui approchent de la foumiffion. Leur Religion fe réduit à quelques adorations qu'ils rendent au Soleil. Ils enterrent leurs morts avec beaucoup de décence, & leur tournent la tête du côté de l'Orient. Mais leur pénétration ne s'étend pas plus loin que la vie, & je fus furpris, en les interrogeant fur l'état où ils fuppofoient leurs parens après la mort, de les voir étonnés & muets à cette question.

Le lendemain je fus accompagné de Luke Haughton, & des principaux Mufchetos de l'Habitation, jufqu'à la demeure du Roi, où nous arrivâmes avant midi. Je n'y trouvai rien qui répondît à la Majefté royale; mais je ne m'étois point attendu que de malheureux Indiens, dont toute l'occupation eft la pêche & la culture de leurs

terres,affectaffent beaucoup de magnificence. Le Roi, ou le Chef, qui fe nommoit Jayo, nous reçut dans une large Cabane, auffi informe & auffi nue que celles de fes Sujets. C'étoit un homme d'environ quarante cinq ans, qui n'avoit rien d'extraordinaire dans fa figure que la grandeur de fes yeux, où l'on voyoit briller de l'efprit & de la bonté. Il m'embrassa d'un air affectueux; & lorfque je lui eus expliqué le fujet de mon voyage, il me répondit, fans balancer, qu'aimant beaucoup les Anglois, il iroir lui-même à leur fecours avec les plus braves de fes gens. Je m'étois déja informé fi fa Nation étoit nombreuse. On n'y comptoit guéres plus de deux mille hommes, foumis à trois differens Princes. Je lui demandai à quoi pourroit monter le fecours qu'il me promettoit. Il me dit que les deux Princes fes voisins n'ayant pas moins d'affection que lui pour les Anglois, il étoit fur, avec leur fecours, de ne pas mener moins de trois cens hommes à la Jamaique. Mais il falloit des Vaiffeaux, ou du moins des Barques pour le paffage; car leurs Pyro

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gues étoient en petit nombre, & n'étoient pas propres à s'éloigner de la Côte dans une fi mauvaise faifon. Jayo me fit faire lui-même cette obfervation. Il ftipula auffi qu'on fourniroit des armes à tous fes gens, & qu'elles demeureroient à eux après le fervice qu'ils alloient rendre. Ces conditions étoient juftes. Je lui propofai feulement de nous donner d'avance cent de fes hommes, que nous pouvions tranfporter facilement avec nous ; & fur la parole que j'avois reçue de Sir Nicolas Lawes, je lui promis qu'on enverroit prendre inceffamment le refte, qu'il pourroit amener lui-même. Nos articles étant reglés, cette nouvelle répandit une ardeur furprenante dans toute la Nation. Mais tandis que les plus jeunes & les plus hardis fe préparoient à partir les premiers, je renvoyai encore à M. Rindekly un de mes gens avec Luke Haughton, pour lui rendre compte du fuccès de notre Commiffion, & des lumieres que j'avois déja tirées fur la qualité du Pays. Outre les informations que j'avois prifes pendant la nuit, l'air pauvre & nud que j'avois obfervé dans

tout ce qui environnoit le Prince, ne me faifoit pas juger favorablement des richeffes du terroir. J'avois vû deux Rivieres, qui n'avoient point d'autre proprieté que celle d'être extrêmement bourbeufes. A la vérité les Montagnes pouvoient renfermer des tréfors: mais quelle apparence d'y découvrir ce qui n'étoit pas connu des habitans? Cependant à force de queftions, j'appris d'eux qu'on voyoit fouvent des Efpagnols dans quelques Montagnes qui étoient au delà des leurs, & que c'étoit-là que les jeunes Mufchetos alloient comme à la chaffe des Petites Culottes, pour chercher l'occafion d'en tuer toujours quelques-uns. Je fis donner cet avis à M. Rindekly, qui jugea comme moi, qu'il devoit s'y trouver quelque mine. Il ne balança point à defcendre avec quinze Soldats, en laiffant le commandement du Vaif feau à M. Zill, notre Lieutenant.. Jefus furpris de le voir arriver vers le foir. Nous nous trouvions forts, avec fes gens & les miens, & plus de cinquante jeunes Mufchetos qui s'éto ent déja rangés autour de moi pour me fuivre à la Jamaïque. Dès la nuit fui,

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