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tre Milice en état de partir. Nous le quittâmes, après lui avoir rénouvellé mes promeffes.

Pendant notre abfence le Duc de Portland étoit arrivé à Port-Royal, & nous trouvâmes tous les Habitans dans la joie qui accompagne toujours ces changemens. Nous nous préfentâmes à lui avec nos cent Mufchetos. Il étoit affez informé des néceffités du Païs pour fentir l'importance de ce fecours. J'ai déja fait observer que les troupes Angloifes ne pouvant pénétrer dans les montagnes, on comptoit fur les Mufchetos pour y preffer les Négres jufques dans leurs retraites les plus inacceffibles. L'Ordre fut donné pour le départ de plufieurs grandes Barques, qui devoient aller prendre Jayo & le refte de fa Milice. Il arriva quatre jours après. M. le Duc de Portland ne le traita pas avec moins de diftinction que s'il eût été fon égal. Il le fit manger avec lui & Madame la Ducheffe qui prit plaifir d'abord aux manieres fimples & groffiéres de ce Prince Ameriquain. Mais un jour que le vin l'avoit échauffé, il lui échappa des

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expreffions fi libres & fi indécentės, que la Ducheffe fut forcée de quitter la table, & fe refroidit d'autant plus pour lui, que M. le Duc fe reffentant lui-même de la débauche, avoit pris plaifir à la railler de fon embarras. Cependant on n'en penfa pas moins à faire marcher le Prince des Muf. chetos avec fa Troupe. Il étoit queftion de le foutenir d'un certain nombre d'Anglois. Les quatre Regimens de troupes régulieres qui étoient dans l'Ile ne pouvoient guéres être employées contre les Negres, tandis que l'extrémité où l'on s'étoit porté contre les Espagnols devoit faire craindre à tout moment qu'ils ne penfaffent à fe vanger. Il y avoit plufieurs Compagnies franches qui étoient difperfées dans les Forts, & qui n'y étoient pas moins néceffaires. L'embarras où l'on fe trouvoit fit naître à M. le Duc de Portland la pensée de prendre fur les Vaiffeaux de la Nation, qui fe trouvoient dans le Port,les hommes qui paroîtroient les plus propres à porter les armes. Dans la réfolution où l'on étoit d'exterminer tous les rebelles, on crut devoir

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réunir tous les efforts, & que perfonne ne devoit être exempté d'y contribuer. Nos gens étoient fans contredit la Troupe la plus lefte & la plus aguerie de l'Ifle. On ne manqua point de nous les demander, & le deffein du Gouverneur étoit de les faire fervir de Capitaines aux Mufchetos, qu'il vouloit réduire en Compagnies; mais nos gens refuserent de fe féparer, & malgré toutes les offres de M. le Duc, ils ne confentirent à marcher contre les Negres que fous les Ordres de M. Rindekly ou de M. Zill.

On fut forcé d'accepter leurs fervices à cette condition. M, Zill, qui avoit porté les armes en Angleterre dans un Regiment de Cavalerie, & qui n'étoit pas moins verfé dans le fervice de terre que dans celui de Mer, pria M. Rindekly de fe repofer fur lui du commandement. J'eus befoin de me joindre à lui pour faire perdre à M. Rindekly la réfolution de commander lui-même, & ce fut la bonté du Ciel qui m'infpira toute la force qui étoit nécefaire pour le fléchir. Nos gens partirent

dans la réfolution de fe diftinguer, & la plûpart penfant à s'établir à la Jamaique étoient bien aifes d'avoir cette occafion de fe faire confidérer dans I'Ifle. Mais à peine s'étoit-il paffé quinze jours, que nous apprîmes la nouvelle de leur tragique avanture.

Ils s'étoient avancés avec tant d'ar

deur, que dans la vûë de fe diftinguer, ils ne penferent qu'à prévénir les Mufchetos, dont le fecours ne leur paroiffoit néceffaire que pour grimper fur les montagnes. Ayant appris qu'un gros de rebelles s'étoit fait voir du côté de Spanish-town, ils prirent cette route, & ne croyant point que ces Barbares puffent ténir un moment devant eux, ils négligérent les précautions de la guerre. Cet excés de confiance les fit tomber dans une embufcade, où toute leur valeur ne les empêcha point de fuccomber au nombre & à l'aveugle furie des Negres. M. Zill fut tué un des prémiers, & ceux qui démeurerent bleffés fur le champ de Bataille n'obtin, rent aucun quartier de leurs cruels ennemis, qui acheverent de les maffacrer brutalement, Les Mufchetos

ne furent gueres plus heureux dans leur expédition. Après avoir perdu quantité de gens, tout l'avantage qu'ils remporterent avec le fecours de plufieurs Compagnies Angloifes qui reçurent ordre de les joindre, fut de forcer les Negres à fe rétirer dans leurs afiles. Sur les récits qu'on nous faifoit, non feulement de leur situation, mais du foin qu'ils ont pris de cultiver les terres dans l'interieur des montagnes, & de chercher des Mines qui leur fourniffent du cuivre, & du fer pour les armes, il étoit aifé de prévoir, comme l'événement l'a vérifié jufqu'aujourd'hui, qu'on ne réuffiroit pas aifément à les détruire ou à les foumettre.

Dans la douleur que nous eûmes de perdre fi triftement nos Compagnons, les avantages qui nous revenoient de leur mort ne furent point capables de nous confoler d'une fi cruelle difgrace, De foixante-cinq, dont leur nombre fe trouvoit compofé, il ne nous en reftoit en reftoit que trois qui étoient demeurés à la garde du Vaiffeau, & dont le courage étoit peu inférieur à celui des autres,

fi

qu'il

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