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qu'il avoit fallu recourir au fort pour les faire confentir à laiffer partir fans eux leurs Camarades. Quelques perfonnes mal intentionnées s'efforcerent de leur mettre dans l'efprit, que représentant tout l'Equipage, ils devoient avoir entre eux, la part de tous les autres : mais ils furent les prémiers à nous en donner avis; & par la feule générofité de leur caractere ils reconnurent d'eux-mêmes, qu'en qualité de Maîtres & de Chefs, nous avions droit, M. Rindekly & moi, à l'héritage des morts, du moins fi ceux-ci n'avoient pas d'héritiers naturels qui fe fiffent connoître. Loin d'abufer d'un fi rare défintereffement, nous nous crûmes obligés de le récompenfer par des augmentations de bienfaits.

Les vûës que j'avois eûës pour l'établiffement de mon Fils n'eurent pas befoin de follicitations ni d'adreffe pour réuffir auffi heureufement que je l'avois espéré. Mademoiselle Thorough ne vécut pas longtems dans la plus étroite familiarité avec un jeune homme aimable, fans prendre pour lui des fentimens fort tendres, & fon Tome II.

C

pere, qui s'en apperçut, ne fit pas difficulté de les approuver. Il me demanda un jour en riant fi je ne remarquois pas que nos enfans s'aimoient beaucoup, & fur une réponse honnête que je fis à ce badinage, il me dit férieufement, que fi je ne mettois pas plus d'obstacle que lui à leur inclination, rien ne les empêcheroit de fatisfaire leur cœur. J'y confentis fans exception, & leur mariage fut célebré huit jours après.

M. Thorough n'avoit pas ignoré le fond de nos entreprises; & nos prémiers fuccés l'avoient comme forcé jufqu'alors d'applaudir à tous les projets de M. Rindekly. Mais les défagremens que nous venions d'effuier dans nos derniers courfes, & les hoftilités dont nous étions ménacés con. tinuellement par les Efpagnols, le firent penfer tout autrement fur les nouveaux deffeins que nous méditions. Notre or & nos perles nous faifoient un fond fi confidérable qu'il nous confeilla d'abandonner une méthode fort périlleuse, & qui, pour lui donner de bonne foi le nom qu'elle devoit porter, n'étoit qu'une vérita

ble piraterie. Il nous expofa les voies naturelles du commerce, quiluiparoiffoient plus honnêtes & plus fûres. Son exemple étoit une preuve à laquelle nous ne pouvions rien objecter, & fon âge lui faifant fouhaiter le repos, depuis le mariage de sa fille, il nous offrit de nous fubftituer à toutes les efpeces de négoce qui l'avoient enrichi. Je ne me fentois pas d'éloignement pour fon confeil & pour fes offres. Mais il étoit difficile de faire renoncer M. Rindekly à deux efpérances dont il fe repaiffoit depuis longtems. Plus nos differens s'échauffoient avec les Efpagnols, plus il croyoit voir de droit & de facilité à faifir les moyens de participer à leurs richeffes. Rio de la Hacha, & Rancherias lui revenoient fans ceffe à l'efprit; & depuis le bonheur que nous avions eu à la Marguerite, il s'imaginoit que nous devions tout espérer de la fortune par les mêmes voyes. D'un autre côté, il lui reftoit une forte envie de faire quelque nouvelle tentative fur les Côtes d'Afrique avant que de retourner en Europe, Son étonnement, répetoitil tous les jours, étoit que cette riche

Contrée fût fi négligée par nos Marchands, & que ceux qui alloient fur les Côres de la Guinée & de la Cafrerie paruffent ignorer qu'il y avoit quelque chofe de plus utile que la vente des Négres. Il portoit l'avidité de ses vûës, jufqu'à déguifer la véritable pofition des lieux que nous y avions découverts & me faire promettre le même filence. J'étois forcé, par notre expérience, de convenir avec lui que fes idées étoient juftes; mais je lui reprefentois qu'il y avoit plus de fable que d'or en Afrique; c'est-à-dire, , que fi nous ne pouvions pas douter que ce vafte Pays ne contînt bien des richeffes, il n'en étoit pas moins vrai qu'il falloit être conduits par d'heureux hazards pour les découvrir. Quoique notre avanture fût capable de nous donner des efpérances, elle ne nous avançoit pas beaucoup pour en trouver d'auffi favorables; à moins que nous ne vouluffions retourner directement à notre premiere entreprise. Mais le fruit que nous pouvions recueillir de ce voyage étoit-il affez confidérable pour nous en faire effuyer les peines; & nos Négres, en les fuppofant toujours difpofés à nous rece

voir, avoient-ils eu le tems de faire de nouvaux amas de lingots & d'anneaux. Enfin prenant M. Rindekly par le motif de l'honneur, auquel il étoit fort fenfible, je le fis convenir que des gens tels que nous, qui n'avions point eu d'autre vûë que de rétablir nos affaires en nous livrant au commerce, devoient être fort fatisfaits d'avoir jetté les fondemens d'une fortune confidérable, & de pouvoir l'augmenter encore par des foins moderés qui ne feroient pas nuifibles à notre repos. Il avoit pris le parti d'écrire à la Barbade, pour faire venir nos Perles à Port-Royal, fi elles n'étoient pas déja parties pour l'Europe. Elles arriverent peu de jours après, & la vûë d'une grande partie de nos biens, qui fe trouvoient ainfi raffemblés, fervit beaucoup à lui infpirer le goût du repos.

Cependant, après avoir fait examiner nos Perles, nous ne trouvâmes point qu'elles répondiffent à l'opinion que nous avions de leur valeur. Quelque belles qu'elles fuffent, elles ne furent eftimées qu'environ cinquante mille ducats. Mais comme cette eftimation étoit celle des Marchands,

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