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il avoit propofé à fon Maître de l'employer à quelque entreprise où il pût exercer les difpofitions qu'il fe fentoit pour les avantures périlleufes. Ce Négociant avoit entendu parler de toutes les fables qu'on raconte de l'Ile de Saint Vincent, & fur-tout de ce fameux ferpent qui fait fa demeure, dit-on, dans une profonde vallée qui eft au milieu des montagnes, & qui a fur la tête une pierre précieufe dont les yeux humains ne peuvent foutenir l'éclat. On ajoute que la même vallée eft remplie de diamans. Enfin fi le Négociant ne fe perfuadoit pas tout ce qu'on en publioit, il ne doutoit pas du moins que dans une Ifle, qui n'a point encore d'autres maîtres que les Caraïbes, & qui demeure conteftée, comme celle de Sainte-Lucie, entre les Anglois & les François, il n'y eût bien des avantages à espérer, foit de l'obfervation du terroir, foit du commerce des Sauvages. Il confia à Credan un Vaiffeau qu'il avoit dans le Port avec un Equipage compofé de douze hommes, & quelques denrées pour fe coneilier la faveur des Sauvages. Credan

trouva dans l'Ile de Saint Vincent des Caraïbes & des montagnes; mais il ne put s'y procurer aucune lumiere fur le ferpent & fur la vallée. Cependant ayant entrepris de vifiter toutes les parties de l'Ile, il s'engagea dans les montagnes, qui font d'une hauteur extraordinaire, avec fes douze hommes bien armés. Au centre de ces lieux déferts, il découvrit, non pas une vallée, dans le fens qu'on donne à ce nom, mais une foffe d'une profondeur étonnante & large d'environ mille pas, au milieu de laquelle il apperçut quantité d'objets brillans & qui lui parurent fe mouvoir. La diftance ne lui permit pas de les diftinguer, mais étant porté à croire que c'étoit la demeure du ferpent & le lieu des pierres précieufès, il employa plus de huit jours à tourner fur le fommet des montagnes pour trou ver à toutes fortes de rifques le moyen de defcendre dans la foffe : tous les efforts de fes gens & les fiens furent inutiles. Enfin Credan rebuté d'une

entreprise impoffible abandonna Saint Vincent; mais n'ayant point d'autre commiffion de fon Maître, & n'étant

pas difpofé à reprendre la qualité de domeftique mercenaire à la Barbade, il prit le parti de propofer à fes Compagnons le métier de Pirate, qu'ils embrafferent avec lui. Leur Vailleau étoit encore le même, quoiqu'ils l'euffent radoubé afféz fouvent pour lui donner une autre forme ; & depuis quatre ans qu'ils exercoient leur profeffion, ils n'avoient point acquis de richesses qu'ils n'euffent tellement prodiguées à leurs plaifirs, qu'à peine avoient-ils de quoi fe couvrir fur le Vaiffeau; à moins que cette efpece de nudité ne fût une affectation pour fe rendre plus redoutables. Ils faifoient des festins continuels dans les Ifles où ils fe retiroient, & les vivres étoient toujours en abondance fur leur Vaiffeau, avec une provifion furprenante de liqueurs fortes. Enfin leur vie se pasfoit entre les excés de la débauche, & ceux de la fatigue, touchant fans ceffe au plaifir ou à la mort.

Quinze jours que nous employâmes à la pêche de l'Ambre gris, ne nous en rapporterent qu'environ cent livres. Notre Guide nous reprocha d'être venus trop tard, & de n'avoir

pas profité, au commencement de l'hiver, des premiers vents du Nord, qui apportent ces richeffes. Mais il nous preffa de rifquer le voïage des Bermudes, où il ofa prefque nous répondre que la prodigieufe quantité de ces Ifles, & leur voifinage entre elles, fervoient à retenir l'ambre gris; fans compter que les Habitans, quoiqu'Anglois d'éxtraction, étoient des efpeces de Sauvages qui ayant peu de commerce avec le refte du monde, negligent des productions de la nature dont ils ne font point d'ufage, & fe bornent à la culture du Païs. L'éloignement n'étoit pas immenfe, & la faifon s'adouciffoit tous les jours. M. Rindekly plus animé que jamais par l'effai que nous avions fait me preffa de ne pas manquer une occafion d'achever peut-être tout d'un coup notre fortune.

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Etant retourné à Naffau, nous exécutâmes notre traité avec le Gouverneur, & nous remîmes à la Voile dans notre Pinque. Le tems nous fervit fi,bien que nous arrivâmes le fixième jour à la vûë des Ifles Bermudes. Nous fumes frappés de leur multitude. Quel

ques

ques Habirans nous ont affuré qu'ils en avoient compté plus de quatre cent, mais la vingtième partie n'en eft pas habitée, & la plûpart font fi petites qu'elles demeurent fans nom, & qu'elles ne méritent point d'en récevoir. Les trois plus grandes font celles de Saint Georges, & de Saint David, & de Cooper, & les feules qui foient habitées régulierement, car on ne trouve dans les autres qu'un petit nombre de maifons difperfées.

Notre Guide nous confeilloit d'é

viter les grandes, & fon confeil eût été fort jufte fi mes vûës s'étoient bornées à la pêche de l'ambre gris. Mais, fuivant le projet que j'avois exécuté dans tous mes voïages, j'étois bien aife de jetter fur mon Journal, les principales obfervations qu'il y avoit à faire fur chaque lieu que j'avois l'occafion de vifiter; & les Bermudes font fi peu connues que cette raifon redoubloit ma curiofité. Je fis confentir M. Rindekly à chercher l'entrée du Port de Saint Georges. Nous diftinguâmes facilement cette Ifle; parce qu'elle furpaffe toutes les autres en grandeur, Tome II. Ꭰ

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