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LE

DÉIS ME

RÉ FUTÉ

PAR LUI-MÊME.

LETTRE VII.

Sur la création & la chûte de l'homme.

VOUS ous avez attaqué, Monfieur, deux dogmes particuliers que la révélation hous enfeigne; la création & la chûte de l'homme il eft à propos de voir fi vous avez été bien fondé. Vous vous étiez contenté de dire d'abord ; fi Dieu a créé la matiere, les corps, les efprits; e monde, je n'en fçai rien. L'idée de réation me confond & paffe ma por

!

tée, je la crois autant que je la puis concevoir (a): c'est-à-dire, que ne la concevant point, vous ne la croyez pas non plus. Mais vous n'en êtes pas demeuré là, vous avez effayé enfuite de donner les raifons de votre incrédulité; il s'agit de les examiner.

Si l'existence éternelle & néceffaire de la matiere a pour nous fes difficultés, fa création n'en a pas de moindres.... C'eft de toutes les idées qui ne font pas clai rement contradictoires, la moins compré henfible àl'efprit humain (b).

Je vous avoue fans balancer que la création n'eft point une idée qui fe préfente naturellement à l'efprit humain, puifqu'aucun des anciens Philofophes ne s'en eft douté, & que tous l'ont com battue. Le pouvoir de créer est un des attributs de la Divinité, ou plutôt une des propriétés de fa puiffance. Comme vous convenez que cette puiffance infi nie nous eft très-imparfaitement connue, il n'eft pas étonnant que nous ayon la vûe trop bornée pour y appercevoi le pouvoir de créer. Il eft donc très

(a) Emile, tome 3, p. 86.
(b) Lettre, pag. 48 & 49.

probable que fi Dieu ne nous eût point révélé la création, jamais les Métaphyficiens les plus profonds n'y auroient pensé.

Mais je ne conviendrai point que la création renferme d'auffi grandes difficultés que l'existence éternelle & néceffaire de la matiere. Celle-ci renfer me clairement contradiction; & vous avouez que l'idée de la création n'est pas clairement contradictoire.

Vous fçavez que l'on démontre en Métaphyfique que l'existence éternelle & néceffaire eft évidemment la plénitude de l'Etre, que la plénitude de l'Etre eft la fouveraine perfection; qu'il eft par conféquent impoffible que ce qui exifte éternellement & néceffairement, ne renferme pas en foi toute perfection.Je penfe, comme vous, que Clarke eft celui qui a mis cette vérité dans la plus grande évidence. Il n'eft pas moins clair que la matiere ne renferme point toute perfection dans fon effence, qu'elle ne peut même y renfermer la penfée, quoi qu'en difent certains raifonneurs que vous avez très-bien réfutés. Il eft donc évident que la matiere ne peut avoir une existence éternelle & nécessaire.

On vous accorde encore moins que la co-existence des deux principes, Dieu & la matiere, femble expliquer mieux la conftitution de l'Univers que la création (a); fi la matiere exifte éternellement & néceffairement, elle est indépendante, elle n'eft point foumife au pouvoir de Dieu. Il eft impoffible de concevoir que Dieu ait pu difpofer de la matiere pour en former le monde, fi elle ne dépend point de lui. Par con féquent l'Univers formé d'une matiere éternelle, n'est pas plus facile à comprendre que l'Univers créé par un pou voir infini.

Faites attention, je vous prie, que tous les anciens Peres de l'Eglife ont fait ufage de ce raifonnement, pour prouver contre les Philofophes, la création de la matiere.

Si la matiere exifte éternellement & néceffairement, elle eft immuable; fa difpofition fait partie de fon effence & ne peut pas plus changer qu'elle ; ayant telle difpofition par elle-même, elle l'a néceffairement. Donc dans cette hypothèse, Dieu n'a pas pu donner

(a) Lettre, pag. 5o.

une nouvelle conformation à la matiere. Enfin, ce que vous ajoutez, n'eft pas plus vrai que cette co-exiftence des deux principes femble lever des difficultés qu'on a peine à réfoudre fans elle, entr'autres l'origine du mal (a). Toute la difficulté d'expliquer l'origine du mal, confifte à pouvoir l'accorder avec la bonté infinie du Créateur. Or, les partifans du Manichéifme vous prouveroient que l'exiftence éternelle de la matiere ne leve point cette difficulté. Un Dieu infiniment bon, diroient-ils, connoiffant les maux qui naîtroient néceffairement des imperfections de la matiere, devoit plutôt s'abftenir de former l'Univers, que d'y fouffrir tant de défauts, & de produire des créatures qu'il ne pouvoit pas empêcher d'être malheureuses.

L'hypothèse des deux principes ne peut donc aucunement foulager la raifon humaine'; elle ne fait que fubftituer des absurdités à un dogme incompréhenfible. Il y a moins d'inconvéniens d'admettre la création, que l'éternité de la matiere.

(a) Lettre, pag. 51.

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