Imágenes de páginas
PDF
EPUB

vez pas avoir; il faudroit eftimer l'impor ance & le motif de la loi, la puif fance des fecours accordés pour l'accomplir, le dégré de force de la tentation ; & quel autre que Dieu peut en juger? Il y a donc beaucoup de témérité à prononcer fur ce qui paffe vos lumieres; mais vous vous êtes fait un plan de cenfurer la conduite de Dieu, avec autant de liberté que vous blâmez celle des hommes.

Vous dites: le péché d'Adam ne paroît qu'une faute légére, donc Dieu n'a pas pû le punir, févérement. Un Chrétien dit au contraire: Dieu a puni très-févérement le péché d'Adam, la révélation me l'enfeigne; donc ce péché est une faute très-griéve. Quel eft le raifonnement le plus folide ? Vous vous appuyez fur l'idée que vous vous formez de la chûte d'Adam, dont vous ne pouvez connoître, ni la nature, ni les circonftances; le Chrétien fe fonde fur la déclaration précise de la révélation. Vous attaquez donc une chofe claire par une chofe obfcure, au lieu de vous fervir de ce qui eft clair pour juger ce qui eft obfcur.

Remarquez, Monfieur, le peu de fo

à

lidité de vos objections. Elles confiftent prouver que la doctrine du péché originel, ne s'accorde pas avec la bonté & la juftice de Dieu, tels que vous les concevez. Pour fentir la force de votre raisonnement, il faut le former de cette maniere: J'ai de la justice & de la bonté de Dieu, des idées claires, juftes, certaines: or le dogme du péché originel ne s'accorde point avec ces idées, donc il eft faux. Votre majeure qui fait toute la force de l'argument, eft justement la propofition contradictoire au principe que vous avez pofé ailleurs (a), & qui fert de fondement à mes réponses. Ce que vous ajoutez de plus n'eft qu'une fauffe imputation d'une doctrine que nous ne foutenons pas.

Voilà donc à quoi fe réduifent ces difficultés terribles que vous vouliez oppofer à la croyance catholique. L'effort n'a pas dû être douloureux : les Théologiens ne les ont pas ignorées, & n'ont jamais été embaraffés d'y répondre. Nous avançons, Monfieur, vers une matiere qui doit vous intéreffer davan

tage; c'est votre plan d'éducation: nous y donnerons une attention parti culiere.

Je fuis, &c.

LETTRE VIII.

Sur la maniere d'enfeigner la Religion ou fur le nouveau plan d'éducation propofé dans Emile.

VOUS ous ne pouviez, Monfieur, exercer vos talens fur un fujet plus effentiel au bonheur de la fociété, que l'éducation de la jeuneffe; mais il feroit à fouhaiter, que moins jaloux de donner un fyftême nouveau, vous vous fuffiez attaché à réformer, ce qu'il y a de défectueux dans l'ufage reçu. Si votre travail avoit eu moins d'éclat, il auroit eu peut-être plus d'utilité; rien n'eut mieux prouvé votre zèle pour le bien de l'humanité, que de facrifier la gloire de nous étonner, à la fatisfaction de nous inf truire. Les hommes ne paffent point dans un moment d'une extrémité à l'au

tre à fuppofer que l'éducation parmi nous foit auffi effentiellement défectueufe que vous le prétendez, c'eft une vaine entreprise de vouloir la conduire tout-à-coup au fouverain dégré de la perfection. Il faut donner quelque chofe à la foibleffe naturelle & à l'empire de la coutume; révolter le Public fous prétexte de le réformer, eft le vrai moyen de ne pas réuffir. Avant que de créer des anges & des héros pour les fiécles fuil feroit à propos d'effayer de for mer des hommes pour la génération préfente.

turs,

Mais enfin vous vouliez penfer de fource, & créer un fyftême; s'il étoit vrai & utile, peu importeroit qu'il fût inoui: c'est donc à en examiner les effets, que nous devons nous arrêter. Avant que de voir ce que l'on en doit penfer, fçachons d'abord ce que vous en penfez vous-même.

Vous paroiffez convaincu qu'il est à peu près impraticable: Je fens ces difficultés, j'en conviens, peut-être font-elles infurmontables.... Je montre le but qu'il faut qu'on fe propofe; je ne dis pas qu'on y puiffe arriver; mais je dis que celui qui en approchera davantage

le mieux réussi (a). Quand on pourroit le mettre en ufage, nous n'en ferions pas plus avancés ; vous doutez encore de fon efficacité. Vous voulez empêcher les hommes de devenir méchans; mais vous n'avez pas ofé affirmer que dans l'ordre actuella chofe füt abfolument poffible (b). En vérité, Monfieur, jamais doute ne fut mieux fondé.

3

Enfin, pour nous éclaircir entiérement fur le mérite de votre méthode, vous nous la présentez comme un rêve. On n'étudie plus, on n'obferve plus, on rêve, & l'on nous donne gravement, pour de la philofophie, les rêves de quelques mauvaises nuits. On me dira que je rêve auffi j'en conviens; mais ce que les autres n'ont garde de faire, je donne mes rêves pour des rêves, laiffant chercher au Lecteur s'ils ont quelque chofe d'utile aux gens éveillés (c). Cette fincérité eft eftimable; mais fi, las de rêver fi long-temps, vous aviez voulu vous éveiller avant la fin du Livre, vous nous euffiez rendu fervice.

(a) Emile, tome 1, p. 197.

(b) Lettre, pag. 18.

(a) Emile, tome 1, p. 259. en note.

« AnteriorContinuar »