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quantité prodigieufe de ces animaux vénimeux qui depuis ont infecté toute cette contrée.

Les Poëtes Latins, quoique copiftes fideles des Poëtes Grecs, ont cependant chargé la Fable des Gorgones de circonftances nouvelles. Homere avoit dit que la tête de la Gorgone étoit gravée fur la redoutable Egide de Minerve; Virgile ajoute qu'elle l'étoit auffi fur la cuiraffe, à l'endroit qui couvroit la poitrine de la Déesse :

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Les autres Poëtes ne parlent plus des Gorgones après la défaite de Médufe: Virgile dit qu'elles allerent habiter près des portes de l'Enfer, avec les Centaures, la Chimere & les autres monftres de la Fable (a).

Ovide eft celui des Poëtes qui s'eft le plus étendu fur la Fable des Gorgones, & il nous apprend bien des circonftances qu'on ne trouve que dans fes Métamorphofes (1). (1) Liv. 4. Selon lui Médufe étoit parfaitement belle, & excita les dé- & 5. firs de quantité d'amans qui la rechercherent en mariage;. mais de tous les attraits dont elle étoit pourvûe, il n'y avoit rien de plus beau que fa chevelure. Neptune lui déclara fa paffion, non dans une prairie, comme le dit Hefiode, mais dans le Temple de Minerve, dont cette Déeffe fut fi piquée, qu'elle changea les cheveux de cette fille en ferpens; & c'eft pour cette raifon qu'entre les trois Gorgones Medufe feule avoit les cheveux entremêlés de couleuvres quoiqu'Efchile eût dit long-temps avant lui, que ceux de fes deux fœurs avoient la même difformité. Ce Poëte raconte enfuite de quelle maniere Perfée furprit l'oeil unique dont nous avons parlé, dans le temps qu'une des Gorgones le donnoit à l'autre ; après quoi il alla au lieu où étoit Medufe, qu'il trouva endormie, & lui coupa la tête. Du

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fang qui en fortit, nâquit Pegafe fur lequel il monta; & volant à travers la vafte étendue des airs, il alla en Mauritanie, où il changea Atlas qui l'avoit mal reçû, en cette montagne qui depuis a porté fon nom. De-là, dit-il encore, il alla en Ethiopie, où il délivra Andromede du monftre qui étoit prêt à la dévorer, & punit Phinée fon rival, ainsi que tous ceux qui avoient pris fon parti, en leur montrant la tête de la Gorgone qui les pétrifia tous. Ce Poëte charge ce fujet de plufieurs autres fictions que nous tâcherons d'expliquer dans la fuite.

Quoique les Mythologues & les Hiftoriens ayent fuivi, au fujet de cette fable, les Poëtes qui l'ont débitée, ils y ont cependant fait quelques changemens, & nous apprennent encore de nouvelles particularités. Pherécide, & après lui Apollodore & Hygin difent que Mercure, auffi bien que Minerve, eut beaucouo de part à l'expédition de notre Heros, & que fi lá Déeffe lui prêta fon miroir, Mercure lui donna une épée faite en forme de faulx; que ce fût par le confeil de l'un & de l'autre que Perfée alla au féjour de quelques Nymphes pour leur emprunter des armes dont elles étoient dépofitaires, entre lefquelles étoient la chauffure ailée, le foc & le cafque de Pluton ; que ce cafque avoit la proprieté de laiffer voir tous les objets, fans que celui qui le portoit pût être vû lui-même ; que le miroir de Minerve produifoit auffi le même effet; enfin que ce fut ce qui fauva ce Heros qui fe préfenta devant Medufe fans en être apperçû. Ces mêmes Mythologues ajoutent encore que ce fut Minerve elle-même qui conduifit la main de Perfée, lorsqu'il coupa la tête de cette Gorgone. Enfin qu'après cette victoire ce Heros rendit les armes à ceux qui les lui avoient prêtées, fe refervant la tête de Meduse, dont après fes autres expéditions il fit préfent à Minerve qui la mit dans fon Egide.

Lorfqu'on rapproche d'une part, le peu que l'Hiftoire nous a laiffé fur les Gorgones, & de l'autre les merveilles fans nombre que la Poëfie en a publiées, on ne peut s'empêcher d'abord de croire qu'il eft inutile d'approfondir cette Fable.

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Cependant plufieurs Auteurs, tant anciens que modernes, ont entrepris de l'expliquer ; & je dois à mes Lecteurs l'hiftoire de leurs fentimens, avant que de rapporter le mien (a). Theopompe (1) prétendoit que les Gorgones étoient des fil- (1) Liv. 17. les fi laides, que leur vûe pétrifioit, pour ainsi dire, ceux qui les regardoient, tant leur étonnement étoit grand. D'autres, au contraire, affûroient que Médufe étoit très belle, mais que la débauche l'avoit rendue extremement laide. Proclus de Carthage difoit que cette méme Meduse étoit une de de ces femmes barbares d'Afrique qui conduifoient les troupeaux dont Perfée par fa mort fe rendit maître, & les conduifit dans la Grece. Diodore de Sicile qui eft entré dans un grand détail fur ce fujet, après avoir obfervé qu'anciennement la Libye avoit produit des Nations entieres de femmes qui par leur inclination guerriere & par leur courage étoient devenues l'étonnement du monde, ajoute que les Gorgones qui étoient de ce nombre, foutinrent contre Perfée une guerre où elles fignalerent extrêmement leur valeur & leur force, fous la conduite de Meduse leur Reine.

Ce que Paufanias nous apprend de ces mêmes femmes, a beaucoup de rappport avec ce qu'en avoit dit l'Auteur que je viens de citer. Les Gorgones, felon lui, étoient filles de Phorbus; car c'eft ainsi qu'on lit ce nom dans les Imprimés & dans les Manufcrits; cependant les Sçavans croient qu'il faut lire Phorcus, puifque tous les Anciens nomment ainsi le pere des Gorgones. Quoiqu'il en foit, après la mort de Phorbus, dit le même Paufanias, Medufe fa fille regna fur les Peuples qui habitoient aux environs du lac Tritonide. Comme elle avoit une grande paffion pour la chaffe & pour la guerre, elle defoloit toutes les terres des peuples voisins ; mais enfin Perfée l'ayant furprise une nuit, défit le camp volant qui lui fervoit d'efcorte, & la tua elle-même dans la mêlée. Le lendemain il voulut la voir, & toute morte qu'elle étoit, il la trouva fi belle, qu'il lui coupa la tête, & l'emporta dans la Grece, pour la donner en fpectacle aux Peuples, qui

(a) Voyez la curieufe Differt. de M. l'Abbé Maffieu, Mem. de l'Acad. T. 3. p. 51.

ne pouvoient la regarder fans être frappés d'étonnement.

Alexandre de Mynde, ville de Carie, cité par Athenée (a), foutenoit que les Gorgones étoient des bêtes feroces, qui pétrifioient les hommes de leur feul regard. Dans la Libye, dit-il, les Nomades appellent Gorgone un certain animal qui a beaucoup de l'air d'une brebis fauvage. On affûre qu'il a l'haleine fi empestée, qu'il infecte tous ceux dont il s'approche. Une longue criniere lui tombe du haut du front, & lui dérobe alors l'ufage de la vûe. Cette criniere eft fi pefante, qu'à peine peut-il la relever en haut : mais lorsqu'il en vient à bout par quelque effort extraordinaire, il renverse par terre tous ceux qui le regardent, & les tue, non avec fon haleine pourtant; mais avec un poifon qui part de fes yeux. On découvrit un de ces animaux du temps que Marius faifoit la guerre en Afrique. Quelques foldats Romains qui le prirent pour une brebis, fondirent deffus; mais ayant relevé la criniere, il les tua d'un feul de fes regards. D'autres Soldats qui furvinrent eurent le même fort, jufqu'à ce que quelques-uns ayant appris des gens du pays la nature & les proprietés de cet animal, le tuerent à coups de javelots, & Tapporterent au Général.

Xenophon de Lampfaque, fuivi de Pline & de Solin; croyoit que les Gorgones étoient des femmes fauvages, qui habitoient dans les Illes Gorgates. Près de ce Promontoire, dit Pline, que nous avons appellé le Cap Occidental, font les Gorgates, ancienne demeure des Gorgones. Hannon, Général des Carthaginois, dit-il après le même Xenophon de Lampfaque, pénétra jufqu'aux Ifles Gorgates, où il trouva des femmes, qui par la vîteffe de leur courfe, égalent le vol des oifeaux. Entre plufieurs qu'il rencontra, il n'en put prendre que deux, dont le corps étoit fi heriffé de crins, que pour en conferver la mémoire, comme d'une chose prodigieufe & incroyable, on attacha leurs peaux dans le Temple de Junon, où elles demeurerent fufpendues, jusqu'à la ruine de Carthage.

(a) Ce paffage eft tiré du fecond Livre d'Alexandre de Mynde fur les Animaux, & cité dans le toiléme Livre d'Athenée.

Palephate

Palephate & Fulgence foutiennent que les Gorgones étoient des filles opulentes, qui poffedoient de grands revenus, & les faifoient valoir avec beaucoup d'oeconomie. Le premier ajoute que Phorcus leur pere poffedoit une Statue d'or de Minerve, haute de quatre coudées, qu'il avoit deffein de déposer dans le temple de cette Déeffe. Comme il mourut avant la confecration de cette Statue, fes trois filles, Stheno, Euryale, & Meduse, la mirent dans leur tréfor, & Perfée l'enleva. Phorcus, felon le même Auteur, étoit originaire de Cyrene dans la Libye, mais il poffedoit trois Ifles dans l'Ocean. Les trois Gorgones fes filles regnerent après la mort l'une après l'autre dans une de ces Ifles. Elles n'avoient qu'un feul Ministre, qui paffoit d'une Ifle à l'autre, & c'eft ce qui a fait publier qu'elles n'avoient qu'un œil, qu'elles fe prétoient tour à tour.

Comme Perfée couroit alors cette mer, il furprit ce Miniftre dans le temps qu'il paffoit d'une Ifle dans une autre; ce qui a fait dire encore qu'il leur avoit volé leur œil dans le temps que l'une d'elles le donnoit à fa fœur.

Elles furent inconfolables de la perte d'un Ministre si néceffaire; mais Perfée leur fit dire qu'il le rendroit fi on vouloit lui livrer la Gorgone, & en cas de refus, les menaça de mort. Meduse ne voulut jamais entendre à cette demande, mais fes deux fœurs y confentirent : c'eft pour cela que Perfée tua Meduse, enleva la Statue, & rendit à Stheno & à Euryale leur Miniftre.

Les Lecteurs attentifs n'auront pas de peine à remarquer que Palephate n'a fongé qu'a fuivre pas à pas toutes les parties de cette Fable, pour les ramener à la vraisemblance, fans fonger que la plupart de fes circonftances ont été ajoutées en differens temps. Il n'explique pas même celle de la dent & de la corne qu'avoient en commun les trois Gorgones.

Gerard Voffius, dans fon excellent Traité fur l'origine & le progrès de l'Idolâtrie, eft perfuadé que la Fable des Gorgones tiroit fon origine de la Relation d'Hannon chef des Carthaginois, que nous avons rapportée d'après Xenophon de Lampfaque; c'eft-à-dire, qu'il croioit qu'elles étoient les mêmes que ces femmes qui couroient fi vîte, qu'elles égaloient Tome III.

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