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découverte, il l'ait pouffée jufqu'à croire que le Légiflateur des Hébreux avoit été le modéle de prefque tous les Dieux des Payens, comme Marie fa fœur, ou Sephora sa femme, celui de toutes leurs Déeffes; c'eft un de ces écarts où une trop grande érudition jette quelquefois. (a)

peut

Que les voyages d'Abraham & ceux du même Moïfe ayent été connus des Payens, c'eft un fait qu'il ne feroit être pas difficile de prouver; mais que ces voyages & les prodiges qui y furent opérés, ayent été l'objet des anciens Poëtes dans l'hiftoire de Jafon, & de l'expédition des Argonautes, c'est une prétention que tous les efforts d'un Auteur moderne n'ont pu rendre probable. (1)

(1) Confér

avec l'Ecrit.

De même, quoiqu'il foit certain que ce n'eft point du fein de la Fable de l'erreur qu'eft fortie la vérité, mais que c'eft la vérité elle- Sainte. T. 2. même mal entenduë, qui a produit ce grand nombre de Fables qui ont féduit pendant plufieurs fiécles l'univers prefque entier; & que par conféquent ceux qui ont cherché à découvrir cette ancienne vérité dans le fond même de l'erreur, foient dignes de louanges, on ne fçauroit s'empêcher de les blâmer d'avoir voulu porter trop loin leurs conjectures: comme d'avoir avancé, par exemple, qu'on trouvoit des veftiges du mystére de la Trinité, ou dans les ouvrages de Platon, ainfi que S. Juftin, Eufebe, Clement d'Alexandrie, & quelques autres fe le font imaginé; ou dans les figures hyeroglyfiques de la Table Ifiaque, comme d'autres l'ont cru; ou dans les Divinités des anciens Germains, ainfi que l'a avancé Cluvier; ou dans les trois principaux Dieux des Indes Orientales, Bruma, Vichnou & Routren; ou dans l'Idole à trois têtes du Japon; ou dans celle du Perou, nommée Tanga-Tanga, nom qui, felon Acofta, fignifie un en trois, ou trois en un; c'est vouloir fe diftinguer par de fçavantes fingularités, aux dépens de cette même vérité qu'on fe fait honneur de cher-. cher. Dieu auroit-il révelé à ces Peuples cet ineffable myftére, d'une maniere plus claire qu'il ne l'avoit révelé aux Hebreux ?

Que tous les hommes qui habitent la terre, foient fortis (a) Voyez la quatorziéme fource des Fables C. 5. où l'on développe plus au long cette pensée.

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d'une même tige, c'eft une vérité que la Religion nous oblige de croire que quelques uns d'eux ayent confervé, même après une longue féparation, le fouvenir de ces fortes d'éve nemens, qui ne font pas de nature à être oubliés, comme le Déluge, c'est une autre vérité qu'on ne fçauroit gueres contester, malgré la maniere différente dont les Peuples les plus éloignés de nous, en ont raconté l'hiftoire à ceux qui les ont découverts; mais vouloir trouver parmi eux des reftes de nos mystéres; une conformité marquée entre leurs mœurs & celles de nos premiers Patriarches; leur fuppofer une notion, même affez exacte, des Orgyes de Bacchus, des myf téres d'Ifis & d'Ofiris, de la Fable de Jafon & de Medée, &c. c'est un de ces excès où ne manquent gueres de tomber ceux qui, frappés d'abord par quelques traits de vraisemblance commencent par former un fyftême, qu'ils cherchent ensuite à juftifier par des paralleles forcés.

Le fyftême de ceux qui rapportent les Fables à l'Histoire ancienne, mais défigurée par les Poëtes, qui ont été les premiers Hiftoriens; fyftême qui paroît aujourd'hui le plus goûté, & que j'ai fuivi, encouragé par le fuccès de quelques Sçavans du dernier fiécle, qui ont fi heureusement expliqué quelques Fables particulieres, auroit auffi fes inconveniens, fi on vouloit généralement tout rapporter à l'Hiftoire; puifqu'il eft für qu'il y a des Fables qui ne font que de pures allégories, ou à quelque vertu, ou à quelque vice, ou enfin aux productions de la nature; d'autres dont le fond eft hiftorique, quoique pour nous les débiter, on se foit fervi de l'allégorie: comme dans la Fable des enfans de Niobé, qui périrent dans la contagion qui affligea la ville de Thebes, & qu'on dit poëtiquement avoir été tués par Apollon & par Diane, parce qu'on attribuoit les morts fubites & celles que caufoir la pefte, à Apollon pour les hommes, & à Diane pour femmes, ainfi qu'on le voit en cent endroits d'Homere; & cela parce qu'on croyoit que la contagion étoit l'effet des influences du Soleil & de la Lune, marquées par les fléches de ces deux Divinités.

les

Ce fyftême pris avec ces modifications & quelques autres encore, eft le plus raisonnable, & celui qui fatisfait le mieux

dans les détails: bien entendu qu'on ne doit point entreprendre d'expliquer toutes les circonftances de chaque Fable, & que pour bien réüffir à les expliquer, il faut les prendre dans les Poëtes les plus anciens, dans Homere, par exemple, & dans Hefiode, où elles font beaucoup plus fimples, & annoncent plus naturellement les faits aufquels elles fe rapportent ; & cela quelquefois, fans tous ces ornemens qu'on y a mêlés dans la fuite, ou pour les rendre plus refpectables, parce qu'elles faifoient partie de la Religion, ou plus furprenantes, parce que l'homme aime naturellement le merveilleux. Je pourrois en rapporter plufieurs exemples, mais je me contente de celui de Bellerophon, dont l'hiftoire eft racontée fort au long dans l'Iliade, fans qu'il foit fait mention du Cheval Pegafe, qu'on dit dans la fuite que Minerve avoit dompté pour le donner à ce Heros. Cet ancien Poëte ne parle pas auff des Centaures, felon l'idée qu'on en a eu dans la fuite : il les représente comme des gens feroces & brutaux, & nullement comme des monftres demi-hommes, demi-chevaux; & je crois que c'eft Pindare qui le premier les a peints de la forte.

pas

Je ne dis pas qu'une Fable n'étoit inventée du temps 'de ces anciens Poëtes, parce qu'ils n'en parlent pas. Ils n'ont pas eu occafion ni le deffein de faire mention de toutes: voici comme je l'entends. Lorfqu'ils racontent une Fable, ce qu'ils n'en rapportent pas, paroît n'avoir été inventé qu'après eux ainfi, par exemple, Hefiode dit que Jason eut de Medée, Medus, & ne dit rien de plus ; d'où je conclus que ce n'eft qu'après lui qu'on a ajoûté à cette Fable, que ce Me'dus étoit pere des Medes. Hefiode n'avoit garde de le dire, puifque les Medes, qui n'ont commencé à paroître qu'environ 750. ans avant Jefus-Chrift,ne pouvoient pas être connus d'un Poëte qui vivoit près de 900. ans avant cette époque.. Quand le même Poëte parle de Maïa, une des Pléiades, & mere de Mercure, il ne dit rien de fes fix autres fœurs, qui avec elle avoient formé la Conftellation des Pléïades; encore moins de la feptiéme de ces filles, nommée Meropé, qui se cache, difent les Poëtes poftérieurs, parce qu'elle avoit été la feule qui eût épousé un homme mortel, fes fœurs

ayant été mariées avec des Dieux. Cette Fable phyfique qui nous apprend que depuis long temps cette étoile s'enfonce dans la profondeur immenfe du ciel, & qui eft rapportée dans Ovide & dans Hygin, n'étoit pas connue fans doute, ni d'Homere ni d'Hefiode.

Une autre régle qu'il faut fuivre lorfqu'on veut adopter le fyftême hiftorique, c'eft qu'il faut bien fe convaincre que les Fables font un tout mal afforti, qui ne fut jamais un ouvrage médité, ni inventé dans un même pays, ni dans un même temps, ni par les mêmes perfonnes. J'avois fait cette réfléxion dans la Préface de ma traduction des Métamorphofes d'Ovide. J'avois prouvé même dans l'Explication des Fables, que l'Egypte & la Phenicie ne les avoient pas vû naître toutes, quoique le plus grand nombre en fût forti; que la Grece & l'Italie en avoient inventé plufieurs, & qu'il y en avoit d'affez modernes telle étoit celle des Vaiffeaux d'Enée, changés par Cybele en Nymphes de la mer; Fable qu'Ovide a copiée de Virgile, fans que fur cette tradition on puiffe remonter plus haut que le temps d'Augufte.

:

J'ajoûte qu'il eft aifé de fe méprendre; que quelquefois on regarde une Fable comme nouvelle, quoiquelle foit fort ancienne, & que pour ne point s'expofer à y être trompé, il faut en l'examinant, voir s'il ne feroit pas poffible d'en découvrir l'origine; & fur cela, je crois qu'on peut avancer que les noms des Perfonnages de ces Fables, font très-propres à marquer le pays où elles ont pris naiffance. Lorfque ces noms font allufion aux Langues de l'Orient, comme par exemple, celui de Cadmus, on peut affùrer qu'ils tirent leur origine de Phenicie ou d'Egypte. Quand ces noms font Grecs, comme ceux de Daphné, des Eliades, des Myrmidons, d'Alopis, de Galanthis, &c. on doit croire que les Fables qui regardent ces perfonnages, font d'origine Grecque; & enfin lorfque ces noms font Latins, tels que ceux de Carmente, de Flore & d'Anna Perenna, on peut penfer que les Fables qu'on en débite, ont été inventées en Italie. Ce qui fert à confirmer cette régle, c'eft qu'on ne trouve point ces dernieres fictions hors du pays Latin, ni les autres hors de la Grece.

Mais cette régle a encore fon inconvenient; car fi, parce que les noms de Matuta & de Portumnus font Latins, on vouloit affurer que leur Fable a pris naiffance en Italie, on fe tromperoit, puifque nous la trouvons dans la Grece fous les noms de Leucothoé & de Palémon, & que ce Palémon lui-même, ainsi que l'a très-bien prouvé Selden (1), eft le (1) Sint. De Melicerte des Pheniciens. C'eft ainfi qu'on peut découvrir Diis Syriis. quelquefois l'origine des Fables, & leur tranfport de l'Egypte

ou de la Phenicie, dans la Grece & l'Italie, & dans d'autres pays encore; car il n'y en a peut-être aucun, où l'on n'en ait trouvé.

Il ne faut pas s'imaginer cependant que les Peuples que je viens de nommer, les ayent toutes inventées : l'Asie mineure, les Ifles, la Grece, les Gaules & l'Espagne, étoient fans doute habitées par les defcendans de Japhet, dès les premiers temps, & ces Peuples avoient comme les autres Nations leur Religion & leurs Fables, lorfque les premieres Colonies d'Egypte & de Phenicie y arriverent; & fi elles apporterent dans ces differens pays leurs Dieux & leur culte, ceux qui retournerent en Egypte & en Phenicie, & ceux de ces Peuples que je viens de nommer qui y voyagerent, ne manquerent pas à leur tour d'y communiquer la connoiffance des Divinités qu'ils honoroient avant que des étrangers arrivaffent chez eux. Hammon & Belus, par exemple, étoient les deux premieres Divinités de l'Egypte & de la Phenicie, comme Jupiter étoit le plus grand des Dieux des Grecs. Cependant nous trouvons dans l'Antiquité la plus reculée que Belus & Hammon étoient aufli appellés Jupiter; ce qui ne peut être que l'effet de ce commerce de Religion dont je viens de parler.

Les Peuples qui recevoient les Divinités étrangeres, faifoient dans la fuite des temps de fi grands changemens dans le culte qu'ils leur rendoient, & même dans leurs noms, que fouvent on n'en pouvoit plus reconnoître la véritable origine; & les Colonies qui arrivoient dans les pays, où le culte de leurs Dieux avoit été apporté par celles qui les avoient précédées, n'y connoiffoient plus rien, ou croyoient qu'on y adoroit des Dieux différens des leurs : ce qui fans.

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