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notre vie : nous ne fentons point le mal de notre ignorance: nous ne voyons pas combien elle eft dangereufe, & nous la préferons à la lumiere & à tout ce qui pourroit nous rendre juftes & parfaits.

V.

Lorfque les hommes font en âge de choifir une profeffion qui les occupe, & où ils puiffent fe fanctifier en s'en acquittant, comme ils doivent, ils ne confultent point leur raifon; ils ne s'interrogent point eux-mêmes, pour favoir à quoi ils font propres ; ce qu'ils peuvent, & ce qu'ils ne peuvent pas; mais ils fe jettent au hazard & avec une impetuofité aveugle,dans des profeffions qui leur étant difproportionnées, leur font des précipices où ils fe perdent fans penfer jamais aux defor dres où ils font.

VI.

Pourquoi le monde éft-il rempli de tant d'ecclefiaftiques qui vivent d'uIfa. 24. ne maniere toute feculiére? Ut popuLus fic facerdos. Pourquoi voyonsnous tant de juges ignorans & intereffez ? Pourquoi tant de voleries,

de

de rapines, de tromperies, de querelles, de haines, de vengeances, de defordres,de miferes par toute la terre; c'eft qu'on entre fans vocation dans toute forte de profeffion, fans connoiffance, fans capacité & fans defir de s'acquitter de ce qu'elles exigent d'un homme raifonnable & d'un veritable chrétien.

VII.

nous

Les aveugles qui ne le font que des yeux du corps, font très-perfuadez qu'ils ne voyent point la lumiere; ils fe laiffent conduire, & ne préfument pas pouvoir trouver des chemins qu'ils ignorent, ni éviter par eux-mêmes les endroits dangereux qui s'y peuvent rencontrer; mais lorfque nous fommes aveugles interieurement préfumons toûjours être très-éclairez; nous fommes contens de notre fageffe, & nous méprifons de prendre confeil de ceux qui pourroient nous retirer de notre égarement. C'eft cette fauffe fageffe qui obfcurcit notre efprit, qui déregle notre cœur, qui nous affujettit à toutes nos paffions, qui nous rend captifs de nos fens; & enfin qui nous réduit à l'état des bêtes, lorfque Tome II.

L

nous vivons comme elles fans réflexion.

VIII.

De-là vient que tant de jeunes gens prodiguent leurs biens comme s'ils devoient mourir le lendemain. Nous, voyons au contraire des vieillards qui font à la veille de leur mort, bâtir des maifons & amaffer des tréfors avec autant d'ardeur, que s'ils avoient encore cent ans à vivre. Il y en a qui femblent s'ennuyer d'avoir de la fanté & des forces; qui font ce qu'ils peuvent pour les ruiner par leurs déreglemens & par leurs débauches : il y en a d'autres que les infirmitez continuelles,' & les maladies ne peuvent détacher des vanitez du monde, ni les appliquer à leur derniere fin, qui les furprend toujours fans que jamais ils y ayent penfé.

I X.

Une infinité de perfonnes fe donnent tous les jours d'extrêmes peines, en fupportant avec beaucoup d'impatience les defordres des autres qu'ils ne peuvent empêcher ; & ils ne confiderent pas, que pour fe délivrer de ces

croix, ils n'auroient qu'à mettre toute leur attention & leur industrie à guérir leurs propres maladies: car s'ils étoient bien faints, & s'ils vivoient de la foi, ils mettroient toujours JefusChrift entr'eux & les perfonnes avec qui ils font obligez de vivre: ils regarderoient tous les évenemens dans la volonté de Dieu; ils apprendroient de l'ange du grand confeil à en profiter, & à les faire fervir à leur falut.

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X.

Mais pour arriver à une pratique fi excellente, il faut entrer dans le fecret de fon cœur, s'y tenir en paix, & y confiderer avec attention ce que nous fommes; nous verrions alors qu'il est comme une forêt remplie de toute forte de bêtes: il y en a qui font toutes terreftres par leurs inclinations charnelles, & il y en a de farouches & de furieufes par l'envie, la colere & la haine. Il y en a qui rampent fur la terre par l'avarice & la lâcheté : d'autres s'efforcent de s'élever par l'orgueil & Pambition; mais toutes dévorent notre propre fubftance: elles fe repaif fent de notre cœur, qui eft devenu carton. Lij

tout charnel, & y défigure le peu qui nous reftoit de l'image & de la reffemblance de Dieu.

XI.

Si nous veillons fur nos actions nous nous appercevrons qu'auffi-tôt que nous agiffons par nous-mêmes, & que nous fuivons le poids naturel de notre volonté, & la pefanteur de notre cœur, nous tombons dans toute forte de pechez: notre activité humaine n'a de force que pour le mal; notre prudence aveugle ne nous peut donner que de mauvais confeils, & notre propre lumiere eft une fauffe lueur qui ne peut fervir qu'à nous tromper.

XII.

C'eft donc une regle certaine que pour fortir de nos égaremens, nous avons befoin de renoncer à tous les defirs & à tous les deffeins de notre chair, de nous feparer de nos fentimens & de nous-mêmes, & d'avoir les yeux toujours élevez & attachez à la lumiere éternelle, qui ne manque jamais d'éclairer nos tenebres, fi nous la cherchons & fi nous l'aimons autant qu'elle le merite.

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