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Le logis eft tout plein de ce qu'il imagine;
Jufqu'à boire & manger, tout s'y fait en machine:
La porte du logis.. vous la voyez ?

GERONTE.

CRISPIN.

Fort bien.

Elle s'ouvre en machine, & fi cela n'eft rien.
Mon maître va, morbleu, pour peu que l'on l'en

prie,

Changer en un clin d'œil la maison en prairie,
Et d'un coup de fiffet, s'il l'avoit entrepris,
Haufler de trente pieds les gros murs du logis.
GERONT E.

Hé, d'où lui peut venir une telle chimere?
Lui, chérir un tel art? Lui, Crifpin, fils d'un pere
Amoureux du trafic qu'il avoit toujours fait,
Sans avoir jamais vû machine, ni ballet
Qui fans ceffe au travail n'alla voir de sa vie
Spectacle, danfe, jeux, farces ni comédie.
Prétend-il que toujours de tels entêtemens...

CRISPIN.

Oh non, je ne croi pas qu'il en ait pour long-temps.
GERONTE.

Le prodigue! Eft-ce ainfi que mon neveu profite
Des foins que prit mon frere à régler fa conduite?
Eft-ce donc là le fruit de ceux qu'il prit toujours
Pour enrichir ce fils au péril de les jours?
Le voyage qu'il fait, de fa fanté prodigue,
Dont la foif de l'argent lui cacha la fatigue;
Cet amour d'un trafic pratiqué fi fouvent,
Qui l'a depuis trois ans fait voguer au levant,
Dans un âge où la mort peut tromper fon attente,
N'a-t'il rien qui le touche, ou rien qui l'épouvante?
Mais quand par fon retour il fera détrompé,
Que dira t'il de voir tout fon bien diffipé
Par un fils de qui l'ame au plaifir acharnée
Abforbe en quatre jours la rente d'une année ?

De quel œil verra-t'il ce prodigue entêté

D'un art où la débauche & l'amour l'ont porté, Poffédant pour tout fruit du bien qu'il lui deftine, Des lettres du grand sceau de docteur en machine? CRISPI N.

Si fon pere revient, il nous trompera fort.

Pourquoi ?

GERONT E.

CRISPI N.

Pour parler franc, Monfieur,on le croit mort. On n'a depuis trois ans point eu de fes nouvelles, Et fans doute...

GERONT E.

Ah! Ce mot rend mes douleurs mortelles, Pour le malheur du fils, le pere aura péri Mais je le verrai gueux, fans en être attendri, Puifqu'il fait de fon bien un fi mauvaise usage, Dis-lui que je renonce à le voir davantage; Que jamais de mon bien il n'attende un denier, Que je fais fon coufin mon unique héritier; Et que pour ne pas voir des malheurs que je pleure, A ma maison des champs je retourne fur l'heure.

I

SCENE II.

CRISPIN feul.

L n'a pas tout le tort, Depuis un an au plus, Mon maître a dépenfé plus de vingt mille écus; Il a mis fans façon, pour faire fes largelles, Et beaux meubles en gage,& coffres forts en pièces, Le tout pour régaler la galante Lays, Juftine, Polemon, Lucinde, Alcidamis,

Le baron d'Argentbref, Polexandre, Lucrèce, Et d'autres débauchés prefque de même espéce. Mais dépêchons d'aller où mon maître m'a dit, Il vient, & le baron d'Argentbref qui le fuit.

SCENE III

DAMON, D'ARGENTBREF.

DAMON.

TE moques-tu de moi ?

D'ARGENT BRE F.

Veux-tu que je te die ?

J'admire ton adreffe, & je plains ta folie.

Quoi, toujours à la bouche optique, ailes, chaffis, Cintres, vols, contrepoids, couliffes, chars, habits? Rens à te divertir tes peines plus utiles,

Et choifis à tes fens des plaifirs plus tranquilles.

Ouais.

DAMO N.

D'ARGENTBRE F.

Outre l'embarras qui pour toi me fait peur, Ce fracas, entre nous, fent trop fon grand feigneur, Cela fiéd bien à ceux dont la magnificence Mefurent leurs plaifirs par la grande dépense, Qui nés dedans un rang à tout facrifier A des plaifirs que l'art peut diverfifier, Peuvent avec éclat toujours le fatisfaire, Et donner à leurs fens tout ce qui peut leur plaire. Mais un homme, entre nous, bercé fur un comptoir, Ne doit pas fe regler (ur tout ce qu'il peut voir : T'y vouloir abftiner. c'eft, croyant qu'on t'admire, Jufqu'au bout de la plume affionter la fatire.

Croi-moi, pour
La fortune a coupé tes aîles de trop près;

voir tes foins fuivis de tant de frais,

Et les grands, dont l'exemple a brouillé ta cervelle, Pour le fils d'un marchand ne font pas un modéle. DAMON.

Oh, oh ! Vous raifonnez, parbleu, comme un doc

teur

Notre ami Je favois que votre fombre humeur,
I e cornet à la main, fans briguer d'autres plumes,
Sur la chance en trois jours auroit fa't fix volumes,
Que chaque paroli fait au premier venu,
D'un fier fept & le va fe trouvoit foutenu;
Qu'armé de ces deux mots qui font votre reffource,
Vous portiez la terreur jufqu'au fonds d'un bourfe;
Et que munis d'un dez fouvent efcamoté,
Vos doigts couloient à fonds l'argent le mieux lefté.
Je favois bien encor que lorfque quelque perte
Rendoit le talent nul, & la bourfe déferte,
Votre efprit inventif savoir, fans s'ét onner
Hypotéquant l'argent d'une dupe à berner,
Et le talent fubtil qu'ont vos doigts en partage
Mettre chez vos amis votre efpérance en gage,
Divulguer fans façon ce qui fe doit cacher.
Mais je ne favois pas que vous fûffiez prêcher.
D'ARGENT BREF.

Mais...

DAMON.

Votre bel efprit, brillant par intervalle, Près de moi vainement fait dépenfe en morale.." Si je perdois au jeu mon argent & mes foins, Vous m'en aimeriez mieux,je m'en aimerois moins; Et n'étant fcrupuleux que de bonne maniére, Vous pourriez fans façon.....

D'ARGENT BREF.

Laiffons cette matiére,

DAMON.

Vois-je pas... Non... Si fait...

D'ARGENT BRE F.

Qui te rend transporté !

DAMON.

Je croiois voir là-bas mon carrofle arrêté.
Nos dames ont voulu pour danfer leurs entrées,
De crainte d'embarras, ne venir qu'habillées :
Je leur viens d'envoyer mon carroffe, & j'ai crû
Les voir venir. Dis-moi, je te prie, as-tu vû
Les habits finguliers que je leur ai fait faire ?
D'ARGENTBRE F.
Tout eft nouveau pour moi; mais enfin pour te
plaire,

Ils doivent...

DAMON.

Tu verras s'ils font imaginés.

Moi-même, par plaifir, je les ai deffinés;
Sans vanité ce font... Je veux t'en faire arbitre,
Toi, qui fais raifonner jufte fur ce chapitre :
Et fi tu ne me dis, loifque tu les verras,
Qu'ils font divins, morbleu, tu ne t'y connois pas.
D'ARGENT BRE F.

Je ne m'y connois pas, fi je ne les

DAMO N.

approuve ?

Non, morbleu, je foutiens qu'un homme...

D'ARGENT BRE F.

DAMO N.

Je te trouve...

Mais outre les habits, ce qu'il faut admirer,
C'est l'entrée où je veux qu'on les viennne adorer:
Tu n'as jamais rien vû de galant, dieu me damne,
Jamais comme Lays habillée en Diane.

Elle fort en dansant, d'un air délibéré,
Du fond d'un petit bois à Venus confacré.
Six beautés en habits de chaffeuses comme elle,
La fuivent en danfant, & lui marquent le zéle;

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