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I I.

SECONDE CAUSE

DES TROUBLES.

Le faux zéle de la perfection, & la défiance des Directeurs.

Ly a des chrétiens qui n'ayant que Ide fauffes idées de la perfection que

Dieu demande d'eux, le tourmentent beaucoup, lorfqu'ils confiderent d'un côté combien ils en font éloignez; & de l'autre, que la fainteté de Dieu eft la regle de celle où tous les chrétiens doivent tendre. Il eft vrai que nous devons combattre en nous les moindres fautes; que nous devons tendre à être parfaits, comme notre Pere qui eft Matth. dans le ciel eft parfait; & ne rien omet- 5. 41. tre pour nous remplir de la connoissan- I. 9. ce & de l'amour de Dieu. Mais quand nous employons trop de temps à faire ces réflexions, fans travailler ferieusement à notre converfion; nos forces s'épuifent, & il ne nous en refte plus Tome I.

M

Coloff.

pour corriger nos véritables défauts. Nous cherchons par ces retours fur nous-mêmes, non d'être plus à Dieu & nous avancer dans la vertu, mais de pouvoir nous affurer que notre vertu eft ferme & inébranlable. Nous voudrions pouvoir dire avec une entiere Rom. 8. affurance, qu'il n'y a rien qui nous puif35. 39. fe féparer de Jefus-Chrift; & que nonfeulement nous aimons Dieu,mais que nous fommes affurez que nous l'aiS. Aug. mons. Mais c'eft inutilement que nous cherchons quelque chofe de fixe & d'immobile dans un cœur, dont la nature eft d'être mobile & inconftant. Il fera donc toujours fujet au changement tant qu'il fera environné du corps de peché, & qu'il ne fera point parfaitement uni à Dieu qui eft fon centre. Et tandis qu'il fera en cet état plus nous le penetrerons, plus nous trouverons de raifons d'inquiétudes & de troubles; & nous ne pourrons les arrêter, qu'autant que nous nous tournerons vers Dieu.

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Ce n'eft pas feulement la vue des maux réels qui afflige ces perfonnes. Leurs yeux étant toujours attachez à de triftes objets, ils en conçoivent une extrême frayeur; & à mefure que leur

attache croît, leur frayeur augmente à proportion, & en croiffant elle remplit leur imagination de toutes les idées capables d'étendre leur mal. Delà naiffent mille fcrupules qui leur font transformer en crimes les moindres pechez, & condamner les actions les plus innocentes. Ils ont dans l'efprit un fonds inépuifable d'illufions. Ils y font toujours attentifs, & ne ceffent pas de s'en épouvanter. Le zéle même qu'ils femblent avoir de se corriger, n'étant pas felon la science, ne fert qu'à les jetter dans de plus profondes tenebres. Il leur fait employer & ufer toutes leurs forces contre de certains défauts, qui n'étant que des infirmitez de la nature, ne fe corrigent prefque jamais en cette vie. Ils s'amufent fans fruit à combattre des foibleffes peu confiderables; & ils s'aveuglent pour ne pas voir les maux où ils fe jettent volontairement; & il arrive de-là que ne voyant aucun fuccès dans ce qu'ils s'efforcent de faire pour leur perfection, ils en prennent un nouveau fujet de s'abbatre, de fe décourager & de fe tourmenter inutilement. Quelque pénible que foit cet état, ils y font tellement attachez

,

qu'ils n'entendent qu'avec peine, & quelquefois avec mépris tout ce qu'on leur peut dire, pour les en faire fortir: ce qui eft un nouveau mal plus dangereux qu'aucun autre.

Cette vûë fi inquiete de notre cœur nous met fouvent dans l'efprit que perfonne ne nous connoît à fonds; qu'on n'entre pas affez dans le difcernement particulier de nos fautes; que ne connoiffant pas ce qui fe paffe en nous, on nous trompe; & que nos befoins font tels, qu'on ne les peut comprendre, & encore moins nous en foulager. Par ces pensées fi peu raifonnables, nous nous mettons en danger de demeurer toute notre vie dans l'irréfolution & l'incertitude. Car fous prétexte que les hommes ne nous connoiffent pas, nous nous défions de tous leurs confeils ; & d'ailleurs, au lieu de regarder Dieu, qui pourroit en un moment diffiper tous les nuages de notre efprit, nous n'avons d'attention qu'à nous-mêmes; & plus les yeux de Pefprit font d'efforts pour pénetrer le fonds de notre cœur, plus ils s'ébloüiffent, & fe couvrent de nuages.

III.

MAUVAIS EFFETS

DES TROUBLES

Ils nous empêchent de travailler à notre falut, & nous rendent à charge au prochain.

I Left impoffible d'expliquer en par

por

ticulier tous les égaremens de ceux qui font en cet état. Il ne leur arrive rien qui ne foit capable de les ter au découragement, au dégoût, à l'impatience. Ils ne trouvent en euxmêmes, quand ils y demeurent fi attachez, que des craintes, des trifteffes, des défianccs & d'autres paffions femblables qui les mettent dans l'impuiffance de travailler autant qu'ils. devroient à leur falut, & tous ces divers mouvemens ne fervent qu'à les rendre plus négligens & plus lâches pour les exercices de pieté: de forte que quelques-uns n'ont pas le courage de s'approcher des Sacremens; la

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