sexprime S. Paul, fuivant les paroles mêmes de ce Poëte, fumus genus Dei, in ipfo vivimus, movemur, & fumus (1), (1) A&. 17, reft-il pas évident qu'il a voulu parler de l'immensité de Dieu ? A ces verités fpeculatives, les Auteurs dont je parle joignent celles qui font de pratique ; & trouvent établis dans les Poëtes, non feulement les devoirs envers Dieu, mais ceux des hommes entre eux, ainfi que les autres préceptes · d'une morale pure. Leur Enfer, & leurs Champs Elysées, font propres à reprimer la cupidité, & porter à la pratique de la vertu. Ces Juges, qui examinent avec tant de feverité les actions des hommes ; & les Furies, qui châtient fi rigoureusement les coupables, tout cela peut-il avoir été imaginé fans un grand fond de morale? Enfin, pour expofer le fentiment de ces Auteurs en peu de mots, il fuffit de dire, qu'ils font à tout propos des paralleles recherchés entre les verités qu'ils trouvent dans les Poëtes, avec celles de l'Ecriture Sainte. J'avoue, pour moi, que la lecture des Poëtes m'a donné une toute autre idée de leur Theologie. Il eft vrai qu'ils parlent quelquefois de la Divinité d'une maniere fublime,mais ils ne fe foutiennent nullement fur ce fujet ; & après avoir donné à leurs Dieux les épithetes magnifiques d'Immortels, de Tout-puiffants, &c. ils les repréfentent avec des foibleffes, qui ne conviennent, comme nous venons de ledire, qu'aux derniers des hommes, & aux plus corrompus. Enforte que je fuis étonné que de fçavans hommes ayent fi fort exalté leur Theologie, pendant que Platon, pour cette même Theologie qui lui paroiffoit fi monftrueufe: les ban-niffoit de fa République. Ciceron ne penfoit pas auffi favorablement des Poëtes que les Auteurs dont je parle, il les blâme au-contraire de nous avoir appris les débauches des Dieux, leurs querelles, leurs combats, leurs diffentions: Nec multò abfurdiora funt ea quæ Poëtarum vocibus fufa, ipfâ fuavi-· tate nocuerunt, qui & irá inflammatos, & libidine furentes induxerunt Deos, feceruntque ut eorum bella, pugnas, prælia; vulnera videremus, odia præterea, diffidia, difcordias, ortus interitus, querelas, &c. (2) Ce même Auteur dit ailleurs, que (2) De Nac.- Deor. L. I. S iij ces mêmes Poëtes avoient décrit les débauches des Dieux; Il eft vrai qu'ils les nomment Immortels, ces Dieux fabuleux, mais en même temps il n'y en a pas un dont ils ne nous apprennent la genealogie; ils nomment leurs peres, leurs meres, le lieu de leur naiffance, & toutes les circonftances de leur vie, depuis leur enfance. Ce font eux qui nous apprennent que Jupiter, le plus grand des Dieux, étoit fils de Saturne, & que Saturne étoit fils d'Uranus, ainsi des autres. Ils parlent même quelquefois de leurs tombeaux. Dans Homere, le plus grand de leurs Poëtes, on voit les Dieux fe quereller, fe battre, être bleffés par des hommes, & pouffer des cris & des plaintes en voyant couler leur fang. Ils fe difent à tout propos des injures groffieres. Jupiter & Junon y paroiffent toujours dans une mefintelligence fcandaleuse entre deux époux. Euripide voulant excufer Phedre, qui avoit conçu pour le fils de fon mari une violente pasfion, en met la faute fur le compte de Venus, qui vouloit fe venger du mepris qu'Hyppolite faifoit de fon culte & de fes adorateurs. Une autre tradition, celle qu'a fuivi Raci(1) Tragedie ne (1), non moins deshonorable pour Venus, portoit qu'elle se vengeoit ainfi de ce que le Soleil, bifayeul de Phedre, avoit découvert fon intrigue avec le Dieu Mars; & c'est par le même motif de vengence, que cette Déeffe avoit infpiré à Pafiphaé, mere de Phedre, cette paffion honteuse qui fit tant de bruit. de Phedre. Dans la même piece, Euripide fait intervenir Diane, & Peut-on concevoir rien de plus bizarre que l'idée que les Poëtes donnent de leurs Dieux ? Que dire de ce mêlange de puiffance & de foibleffe, d'éternité & de mort, de felicité & de douleur, de tranquillité & de trouble? Que penferonsnous des railleries que fait de ces Dieux Ariftophane, dans quelques-unes de fes Comedies, & des blafphêmes que vomit contre eux Eschyle, dans fon Promethée? Mais, dit-on, les Poëtes parlent fouvent de la providence des Dieux, & du foin qu'ils prennent des hommes? Quelle providence! Choififfons un des évenemens de la fable, où elle brille davantage, & celui que les plus grands Poëtes ont décrit avec plus de foin; je veux dire la guerre de Troye. Cette guerre fit perir une infinité de gens, & ruina un beau Royaume: elle fut fuivie de miferes fans nombre, de tempêtes, d'incendies, & de tout ce qui accompagne les grandes défolations. Tous les Dieux y prirent parti, l'Olympe fe trouva divifé en deux factions: il n'y eut point d'intrigue, de refforts, de fineffes que chacun des Dieux n'employât; on ne peut pas affurément les accufer de negligence pendant toute cette guerre; leur providence ne manqua pas d'emploi. Homere décrit tous leurs mouvemens avec des détails infinis; les autres Poëtes ont fuivi fon exemple. C'eft donc-là un point de vûë très-propre pour nous convaincre de leur fentiment Theologique fur la providence: voyons donc quel fut le motif de cette guerre; remontons à la fource. S'agiffoit-il de châtier une nation impie, de venger l'innocent opprimé, ou les Dieux eux-mêmes méprifés; ou de donner à l'univers un exemple fignalé de juftice & d'équité? Rien moins que cela. Il s'agiffoit de venger une Déesse du mépris qu'on avoit fait de fa beauté. Au mariage de Thetis & de Pelée, la Discorde jette une pomme pour la plus belle de la compagnie. Les Dieux qui n'ofent fe rendre arbitres du differend qui n'aît à ce fujet entre trois Déeffes, les envoyent en Phrygie fubir le jugement d'un jeune Berger qui étoit en réputation d'équité. Le Berger, que chacune des trois Déeffes veut feduire par des promeffes magnifiques, juge en faveur de Venus; elle étoit effectivement la plus belle, ainfi il n'y avoit rien à dire à ce jugement. Cependant en voilà affez pour irriter les deux (1) En, L. 2. (2) Id. Ib. autres. Junon, la fage Junon refout dans ce moment la pendant que Neptune fon allié abbat les murailles à coups de Verum inclementia Divům La ville de Troye eft donc réduite en cendres; Paris, Priam & fes autres enfans maffacrés ou faits efclaves; ainsi la colere de Junon devoit être appaisée. Mais chez les Poëtes une Déeffe outragée au fujet de fa beauté, ne s'appaise pas fi facilement. On la représente pourfuivant avec une rage extrême le refte des Troyens fugitifs; elle veut les empêcher de chercher dans l'Italie la retraite que les Deftins leur promettoient Troas Troas relliquias Danaûm........ arcebat longè Latio, &c. (1) Non dabitur regnis, efto, prohibere Latinis; Perfonne n'ignore tout ce que fit cette Déeffe pour favorifer Ne vetus Indigenas nomen mutare Latinos, Peut-on concevoir une vengeange plus complette? & a-t-on Tome I. T (1) Id. b. (2) Eneid. L. 7. (3) Eneid. L. 12. |