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de marchandises, que le Capi taine même couchoit fouvent à l'air, ainfi que le refte de l'équipage. Repréfentez-vous deux Miffionnaires, & un Prêtre Portugais avec deux Valets noirs Chrétiens qui le fervoient, au milieu de cent Mores ou Gentils tout noirs, qui nous regardoient avec plus d'horreur, que les gens les plus polis n'en ont d'ordinaire en Europe de vivre avec des Négres. Cependant quand ils eurent embarqué leur chaloupe, ils nous y logerent comme dans un des endroits le plus commo de. Une natte de jonc nous dé fendoit des ardeurs du Soleil dans ce climat brûlant; encore falloit-il l'ôter, lorsque le vent n'avoit pas affez de force pour enfler & pour foutenir la voile. Nous eûmes plufieurs jours de calme, & le Soleil à plomb fur la

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tête. Nous effuyâmes auffi des grains violens, qui paroiffent des tempêtes à ceux qui n'ont point vu encore la mer dans fa fureur. La pluye qui les accompagnoit, nous incommodoit fort dans notre chaloupe, & il nous falloit lutter fans ceffe avec le vent, qui nous arrachoit des mains la natte qui nous couvroit.

Après un mois d'une ennuyeufe & pénible navigation, nous découvrîmes Achen, qui n'eft qu'à 150. lieues de Malaque. Nos Pilotes étoient fi habiles, qu'ils crurent que nous étions aux Ifles de Nicobar, qui font deux dégrés plus Nord; & ils étoient fi prudens, que quoique nous fuffions fur le point de manquer d'eau & de vivres, ils vouloient nous expofer à une traverfée de trois cens lieuës, fans faire de nouveaux rafraîchiffemens. Les

Marchands & les paffagers contraignirent le Capitaine de mouiller devant un Village, à à 3. lieuës d'Achen: on ne fit qu'une chaloupée d'eau, & on prit quelques provisions.

Le 15. nous appareillâmes, & nous nous vîmes obligés de mouiller le foir même devant Achen, parceque le vent nous manqua, & que la marée nous devint contraire. La verdure & les belles forêts d'Achen & de Malaca, ne furprennent point les yeux d'un Voyageur qui a vû les Philippines.

La nuit on mit à la voile, & on ne perdit la terre de vûë que le r8. Les calmes ordinaires en cette faifon cauferent beaucoup d'inquiétude à nos Pilotes ignorans: ils eurent recours à mille

fuperftitions pour obtenir un vent favorable; tantôt c'étoit un petit Navire chargé de ris

au mi

qu'on jettoit à la mer lieu des acclamations de l'Equipage tantôt c'étoit une caffolette de parfums qu'on met toit à l'amûre d'autrefois le fonge qu'avoit cu un Matelot ou un Efclave, les portoit à jetter de l'eau fur les mâts, à laver le Navire, ou à faire courir fur le pont une figure de cheval, Enfin ils fe recommandoient à nos prieres,& nous leur répon dions qu'ils devoient renoncer à leurs cérémonies fuperftitieufes, pour ne s'adreffer qu'à Dieu

feul.

Cependant on ne nous donnoit plus qu'un verre d'eau par jour, & on voyoit la fin du peu de vivres que nous avions achetez à Achen. La difette d'eau fut fi grande le 4. Mai, que nous fûmes contraints de faire rôtir un peu de ris dans un pot de

terre, & de le manger ainfi. Dans cette extrêmité nous nous adrefsâmes au Seigneur avec toute la ferveur dont nous étions capables notre priere fut écou tée : cette nuit-là même il s'éleva un bon vent, & il tomba de la pluye. On la recueillit dans des nattes & dans des voiles, & elle fut fi bien ménagée, que nous ne bûvions qu'autant qu'il falloit pour ne pas mourir. Nous nous eftimions heureux d'avoir une cuillerée d'eau pour modérer les ardeurs du Soleil qui nous brûloit.

Le fix Mai un grain violent nous fit courir vent arriere fous une feule voile le feu SaintElme parut au bâton d'enfeigne, & fur la hune du grand mât. Le neuviéme, jour de l'Af cenfion, nos deux mâts de hune fe rompirent dans un gros roulis.

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