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- Premier exemple, celui de M. de La Fontaine. Jamais il n'eût fait ses fables, s'il en eût cru M. Patru: «< Ce n'est pas, dit-il dans sa préface, qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait désapprouvé le dessein de les

mettre en vers. >>

Autre exemple, celui de M. Despréaux, à qui M. Patru soutenoit que l'Art poétique, dans le détail où il se proposoit d'entrer, n'étoit pas une matière susceptible d'ornement'.

Ainsi ces deux ouvrages, les Fables de La Fontaine, et l'Art poétique de Despréaux, ouvrages admirables et des plus parfaits, sans doute, que nous ayons en notre langue, nous ne les aurions pas si l'autorité d'un habile critique avoit prévalu.

Il faut, ce me semble, qu'un sage écrivain distingue l'entreprise d'avec l'exécution. Pour l'exécution, qu'il s'en rapporte à des amis sincères; c'est à eux à juger ce qu'elle vaut. Mais pour l'entreprise, qu'il consulte ses forces, et qu'il se livre à son génie; c'est à lui à se sentir 2.

J'ai dit que M. Patru avoit traduit une oraison de Cicéron; je me serois mieux exprimé, si j'avois dit

1 On dit que Patru changea d'opinion quand Despréaux lui eut montré le premier chant de son poëme. Despréaux fut toujours ami de Patru, ainsi que Racine qui écoutait volontiers ses leçons sévères. Boileau, dans une lettre à Brossette, raconte que quand il consultait Racine sur quelque ouvrage, il lui disait plaisamment : ne sis Patru mihi, au lieu de : ne sis patruus mihi. (30° lettre à Brossette, du 2 août 1703.)

2 L'abbé d'Olivet insiste de nouveau fort longuement sur l'entreprise et l'exécution dans sa notice sur Benserade. Voyez cidessous.

qu'il en a fait deux traductions fort différentes l'une de l'autre. Car qu'on lise celle qu'il publia en 16381, et qu'on la compare avec celle qui est dans le recueil de ses plaidoyers, on n'y trouvera presque point de tours qui se ressemblent, presque point de phrases qui soient entièrement les mêmes dans les deux éditions. Rien ne fait mieux voir jusqu'où il poussoit sa délicatesse. Un jeune homme qui veut se former à écrire fera plus de profit dans cet examen, que dans un amas de préceptes sur le style. La seconde façon d'un auteur est la critique de la première; cherchons donc en nous-mêmes la raison des changements qu'il a faits; et quand nous la trouvons, comme il n'est pas bien difficile pour l'ordinaire d'y réussir, figurons-nous que c'est l'auteur qui nous parle, qui nous montre que cette expression est foible, que ce tour est lâche, que pour bien faire il falloit s'y prendre de telle autre manière. Par ce moyen, nous nous donnons en quelque sorte pour précepteur un Corneille, un Racine, un Despréaux; car leurs ouvrages sont pleins de changements. Mais quelquefois leurs corrections tombent sur la pensée : ainsi l'examen que je propose peut se faire encore plus utilement sur la traduction de M. Patru, où les changements ne regardent, et ne sauroient regarder que l'expression.

Il promettoit une rhétorique, mais on n'en trouva qu'un projet informe parmi ses papiers 2. Il n'étoit pas

1 Dans le recueil des huit Oraisons de Cicéron, dont quatre sont traduites par d'Ablanconrt. (o.)

2 Richelet dit à ce sujet : « On attendoit de lui une rhétorique et il l'auroit très-bien faite s'il eût eu autant d'honnêtes loisirs

homme d'un grand travail. D'ailleurs, le soin excessif qu'il apportoit à la correction de ses ouvrages, lui donnoit le temps de vieillir sur une période. Le mal est que ses affaires domestiques en souffrirent', et qu'à la fin il fut durement vexé par ses créanciers2. Mais fermons les yeux sur les accidents de la fortune; et dans un Académicien si célèbre, après avoir parlé de son esprit, aimons plutôt à voir quelles furent les qualités de l'âme.

qu'il lui en falloit. Mais ici l'on n'assiste guère le mérite tout pur, et, s'il ne va à l'hôpital, il n'en va pas loin. » Reproche injuste, en ce qui regarde Patru, car il fut généreusement aidé et par Despréaux et par le duc de Montausier. (Les plus belles lettres, etc. A Lyon, 1689, 1 vol. in-12, pages 184, 185, 369).

1 J'estime autant Fatru, même dans l'indigence,
Qu'un commis engraissé des malheurs de la France,

a dit Despréaux, épître V, vers 97-98; ailleurs il a déploré le temps (sat. V, vers 123)

Où Patru gagne moins qu'Huot et Le Mazier.

L'estime de Despréaux pour Patru n'était pas stérile. La bibliothèque de celui-ci allait être saisie et vendue. Despréaux la racheta et en laissa la jouissance à son ami. Il lui prêta aussi de l'argent, que Patru ne lui rendit point. Patru n'en resta pas moins lié avec Despréaux, et eut le bon esprit de continuer à chercher sa présence. Au dire des commentateurs, telle est l'explication de ces cinq vers délicats, rangés parmi les épigrammes :

Je l'assistai dans l'indigence :

Il ne me rendit jamais rien;
Mais quoiqu'il me dût tout son bien,
Sans peine il souffroit ma présence;

Oh! la rare reconnoissance !

2 Richelet, élève de Patru, comme celui-ci le disait lui-même, rapporte que l'illustre avocat « fut contraint de se faire sauter quarante mille livres de son bien » et cite le trésorier de France d'Aprigni comme son persécuteur. (Recueil de lettres.)

<<< Il avoit dans le cœur une droiture qui se sentoit de l'innocence des premiers siècles, et qui étoit à l'épreuve de la corruption du monde. Il n'y eut jamais un homme de meilleur commerce, ni un ami plus tendre, plus fidèle, plus officieux, plus commode, et plus agréable. La mauvaise fortune qu'il a éprouvée, selon la destinée de la plupart des hommes de lettres qui ont un mérite extraordinaire, ne put altérer la gaieté de son humeur, ni troubler la sérénité de son visage. Les malheurs d'autrui le touchoient plus que les siens propres ; et sa charité envers les pauvres, qu'il ne pouvoit voir sans les soulager, lors même qu'il n'étoit pas trop en état de le faire, lui a peut-être obtenu du ciel la grâce d'une longue maladie, pendant laquelle il s'est tourné tout à fait vers Dieu. Car après avoir vécu en honnête homme, et un peu en philosophe, il est mort en bon chrétien, dans la participation des sacrements de l'Eglise, et avec les sentiments d'une sincère pénitence'. »

Éloge de M. Patru, déjà cité. (0.)

Joignons à ce jugement celui de Chapelain, dans son Mémoire des gens de lettres: « PATRU. Il est renfermé dans les matières de jurisprudence; mais, contre la coutume des avocats, il les traite très-élégamment, très-éloquemment et très-judicieusement. Il travaille peu, parce qu'il veut trop bien faire. S'il avoit plus d'usage des affaires du monde, il ne seroit pas incapable de l'histoire. On l'a autrefois regardé pour écrire la vie de M. le cardinal de Richelieu. Le peu qu'on a vu de lui fait voir de quoi il est capable. »

(Mélanges, etc., pp. 235-236)

XV

CHARLES COTIN,

Conseiller et Aumônier du Roi', reçu à l'Académie le 3 mai 1655,
mort en janvier 1682.

Si je m'étois proposé de faire l'éloge des Académiciens dont j'ai à parler dans ce volume, j'avoue que je me sentirois arrêté tout court au nom de Cotin. Hé! comment réhabiliter sa mémoire? Plaignons-le seulement d'avoir déplu à deux hommes dont un trait de plume donnoit, à qui bon leur sembloit, une immortalité de gloire ou d'ignominie, et voyons d'abord par où il se les étoit attirés.

Pour Despréaux, le fait est que ses premiers ouvrages commençant à faire bruit sur le Parnasse, il souhaita d'en montrer quelques essais à l'hôtel de Rambouillet, alors souverain tribunal des beaux esprits. Chapelain, Ménage et Cotin y étoient le jour qu'il y parut. Arthé– nice et Julie 2 louèrent le jeune poëte, mais en même temps lui conseillèrent par bonté, et avec cette poli

1 On lui donne dans quelques listes deux autres qualités, celle d'abbé de Montfronchel, et celle de chanoine de Bayeux. Pour l'abbaye, je ne sais ce que c'est; pour le canonicat, il est vrai que M. Cotin en prit possession en 1650, mais ne voulant pas résider à Bayeux, il le résigna dès l'année suivante. (0.)

2 La marquise de Rambouillet, et sa fille Julie d'Angennes, madame de Montausier.

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