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mens avoient le même agrément que Fable; pourquoi ne vouloir pas qu 'ils les ayent choifis pour en faire le fondement de leurs ouvrages, plûtôt que d'avoir

inventé des contes dont on fe feroit certainement bientôt laffé? Tout le monde applaudit à M. l'Abbé, il n'y eut que le Marquis qui ne parut point touché de fes raifons. On vint avertir dans ce moment qu'on avoit fervi; & pendant le repas on dit plufieurs chofes pour & contre la verité des Fables. D'abord après dîné Eliante tira à part Alcidon pour lui marquer l'envie qu'elle avoit d'éclaircir à fond cette matiere. Elle lui fit entendre qu'elle croioit que l'Abbé après ce qu'il avoit dit pendant la converfation, feroit fort propre à cela. Alcidon lui apprit qu'il y travailloit depuis long-temps, & que ce qu'il en fçavoit lui-même,il l'avoit appris de lui; il ajouta qu'il avoit apportéfes Recueils. Eliante réfolut dès le moment de l'engager, & pria pour cela Alcidon de s'en aller l'attendre dans un bofquet du Jardin, & d'apporter avec lui les Métamorphofes d'Ovide, elle lui declara qu'il étoit neceffaire d'éloigner le Marquis, parce qu'elle le croioit trop entêté rendre à la verité. Eliante étant entrée

pour

fe

dans la Salle, & ayant engagé tout le monde au jeu, elle pria l'Abbé de venir faire un tour avec elle dans le Jardin.

II. ENTRETIEN.

Où l'on découvre l'origine & les fources des Fables.

Pendant que l'Abbé & Eliante fe

promenoient enfemble, elle le jetta adroitement fur le fujet qui avoit fait la matiere de la converfation du matin: elle lui dit qu'elle ne voioit rien de fi curieux, que l'accord de la Fable avec 'Hiftoire; qu'elle feroit ravie que quelqu'un fe fût avifé d'y travailler, & que fans nous fatiguer par d'éternelles Allegories, on fe fût contenté de nous apprendre ce qu'il y avoit d'hiftorique dans chaque Fable; qu'on auroit un plaifir fingulier en lifant Homere & Virgile, de fçavoir ce qu'il y avoit de vrai & de faux dans leurs Ouvrages; qu'elle envisageoit cet article comme une chofe tres-intereffante. Elle ajouta qu'elle n'étoit pas fi curieufe de la Fable, que tout le monde fait pour peu qu'on ait lûles Poetes, que de l'Hiftoire qu'elle

renferme

renferme, & dont: peu de gens ont oui parler. L'Abbé loua le bon goût d'EHante, mais il avoua en même temps qu'il étoit tres-difficile de réuffir fur ce fujet, furtout dans nôtre langue à caufe de la barbarie des mots qu'il faut neceffairement emploier; qu'on ne trouvoit que de deux fortes de Lecteurs, ou des Savans, qui demandoient trop d'érudition, ou des gens du monde, qui lifent plûtôt pour fe divertir que pour s'inftruire. Comme ils en étoient là, ils apperçûrent Alcidon; Eliante lui ayant de mandé quel Livre il tenoit à la main, il dit que c'étoit un Livre rempli de miracles: des miracles! s'écria Eliante, je ne vous croiois pas fi devot. Je ne le fuiss pas tant que vous penfez, reprit-il en riant; car je n'y ajoute point foy. Vou lez-vous que je croie, par exemple, que le beau Narciffe, dont je lis l'Hiftoire, ait été changé en fleur ? Ah! j'y fuis, dit Eliante, ce font les miracles des Méta-morphofes. Je ne fuis. pas fi incredule que vous fur ce fujet, continua-t-elle; Ovide en eût- il ramaflé un fi grand nombre, s'il n'y en avoit eu aucune de veritable? Les Démons ne peuvent-ils pas avoir fair ces changemens? La chofe étoit-elle plus difficile, que de rendre

B

des Oracles, ou d'operer des guérisonsextraordinaires? Ou bien, dit Alcidon en riant, c'étoit peutêtre un jeu de la nature, & tous ces changemens arrivoient en ce temps-là, comme ceux des Vers à foye & des autres Infectes, qui font métamorphofez en Papillons; & que la mode en eft perdue pour des raifons que nous ne fçavons pas. Peutêtre auffi, dit Eliante, que la nature a voulu retrancher fes dépenfes furnaturelles, dès qu'elle a vû les hommes devenir plus raifonnables: mais ce n'eft pas fur des conjectures badines, continua-t-elle d'un ton plus ferieux, que nous devons: fonder la décifion de cette queftion. Ik faut fçavoir là-deffus le fentiment de M. l'Abbé. Je vous crois trop raifonnables dit-il, l'un & l'autre, après ce que nous avons dit tantôt, pour croire que tout eft faux dans les Fables; & vous l'êtes trop auffi, pour prendre à la lettre tout le fublime & le merveilleux qui s'y rencontrent: ainfi pour deviner jufte für ce fujet, il faut s'éloigner des deux extré mitez; il faut regarder le fond des Fables comme quelque chofe de vrai & d'hiftorique, & croire que tous les ornemens font faux. Il faut fe mettre bien avant dans la tête ce principe, que les

Fables ne font point tout à fait des Fables; que ce font des Hiftoires des temps reculez, qui ont été défigurées ou par l'ignorance des peuples, ou par l'artifice des Prêtres, ou par le genie des Poetes, qni ont toûjours preferé le brillant au folide. Mais comment déveloper tout cela, dit Alcidon? Juftement, reprit Eliante, on ira prendre pour la verité ce qui n'eft qu'une fiction, & on traitera peutêtre de fable la feule circonftance qui renferme la verité. A-t-on quelques regles pour en faire un jufte difcernement? Mais, Madame, dit l'Abbé, il faut d'a-bord écarter d'une Fable tout ce qui y paroît furnaturel, tout ce pompeux attirail de fictions qui fautent aux yeux. De tous les combats, par exemple, dont parle Homere, ôtez-en d'abord les Dieux qu'il y mêle; donnez à la prudence & à la bonne conduite des Chefs ce qu'il attribue à Minerve; à la valeur d'Hector, ce qu'il met fur le compte de Mars :dites que le hazard plûtôt que Pallas fit rencontrer Uliffe par Nauficaa fille d'Alcinois, & que le nuage myfterieur dont la Déeffe le couvrit, marquoit les ténebres de la nuit, à la faveur defquel les le Roy d'Itaque entra fans être re-connu dans la Ville des Phéaciens. Ne

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