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Ce difcours fut regardé par la plus grande partie de l'Affemblée comme celui d'un veritable Républicain, qui aimoit fincerement la liberté de fon païs. Le peuple furtout qui n'attendoit rien de femblable d'un Patricien de la Maison Claudia, l'écouta avec autant de joye que de furprise. Quelques Senateurs au contraire qui connoiffoient le génie fier & ambitieux d'Appius,craignoient que fous cette modération apparente, & fous ces déhors fi defintereffez, il ne cachât des deffeins fort oppofez. Mais après tout, comme ce n'étoient que des foupçons fans preuves, les Patriciens comme les Plebeïens donnerent de grandes louanges à l'abdication qu'il venoit de faire de fes. droits au Confulat. Il fut queftion de porter cette affaire au Senat. Menenius qui fe fioit aux engagemens qu'il avoit pris fecretement avec fon Collegue, feignoit toujours d'être malade pour se difpenfer de convoquer cetteCompagnie: mais Seftius gagné apparemment par la promeffe d'être compris au nombre des Decemvirs, lui man

qua de parole. Il fit affembler le Senat, & propofa la nomination des Decemvirs. Les avis y furent partagez à l'ordinaire ; quelques Senateurs attachez aux anciens ufages, regardoient avec éloignement tout changement dans le gouvernement de l'Etat & dans l'adminiftration de la Juftice. Mais Appius qui avoit un puissant parti dans la Compagnie, foutint au contraire qu'il y avoit beaucoup de juftice à établir de concert avec le peuple des Loix qui ferviffent à l'avenir de regles conftantes pour former les Jugemens des Magiftrats. Et cet avis paffa enfin à la pluralité des voix. On résolut de proceder inceffamment à la nomination des Decemvirs: mais cette nomination fit naître encore une nouvelle difficulté. Les Tribuns du peuple demanderent de fa part que cinqPlebeïens fuffent admis dans cette commiffion. Tous les Senateurs s'opposerent unanimement à cette prétention. Ils reprefenterent que les Decemvirs allant prendre la place & l'autorité des Confuls, il étoit inouï que de fimples Plebeiens, exclus

par leur naiffance de toute Magirature Curule, fuffent revêtus de la Puiffance fouveraine. Les Tribuns s'apperçurent bien que le Senat ne fe relâcheroit jamais fur cet article.. Après beaucoup de raisons propofées de part & d'autre, & d'autre, ils fe defilterent enfin de leurs prétentions, de peur de faire échouer la nomination même des Decemvirs, & on convint qu'ils feroient tirez du corps du Senat; que ces Commiffaires feroient revêtus pendant un an entier de la Puiffance fouveraine, fans qu'il y eût appel de leurs Jugemens & de leurs Ordonnances; qu'on n'éliroit pendant ce tems-là ni Confuls ni Tribuns, que l'autorité & les fonctions de toute Magiftrature feroient fufpendues pendant leur adminiftration; qu'ils drefferoient un corps de Loix tiré de celles de la Grece & des anciens ufages de Rome, & qu'après l'avoir. communiqué auSenat & au Peuple, & pris leur confentement, on s'en ferviroit à l'avenir pour le gouvernement de l'Etat, & dans l'admi nistration de la Juftice.

Quelque tems après on tint une

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An de

Affemblée folemnelle de tout le
peuple Romain convoqué par Cen-
turies. CetteAffemblée fut précedée
par des Aufpices & les autres cere-
monies de la Religion; on proceda
enfuite à l'élection des Decemvirs.
Appius Claudius & T. Genutius
furent nommez les premiers, & on Rome302,
crut devoir cette préference & cette
marque d'honneur à l'abdication
genereufe qu'ils avoient fait duCon-
fulat. Les fuffrages tomberent en-
fuite fur L. Seftius, fur Veturius,
C. Julius, A. Manlius, Ser. Sulpi-
tius, P. Curatius, T. Romilius, &
Sp. Pofthumius, tous perfonnages
Confulaires. Le Senat fe flatoit d'a-
voir fait choix des plus zelez défen-
feurs de fes droits; mais la plupart
pour parvenir à cette dignité
avoient pris des engagemens fecrets
avec les Tribuns du peuple. Ainfi
les deux partis regarderent chacun
cette élection comme leur ouvrage.
particulier, & ils y concoururent
également, mais par des vues bien
differentes. Quoiqu'Appius fût le
premier & comme le Chef du Col-
lege des Decemvirs, cependant il
vivoit avec fes Collegues dans une

entiere égalité & une parfaite intelligence. Il affectoit fur-tout des manieres toutes populaires; il faluoit les moindres Plebeiens qu'il rencontroit à fon chemin; il fe chargeoit de leurs affaires & de leurs interêts, & leur procuroit une prompte juftice. Chaque Decemvir préfidoit à fon tour pendant un jour entier. Il avoit alors les douze Licteurs qui marchoient devant lui avec les faisceaux. Ils rendoient fucceffivement juftice dans la place, ce qu'ils faifoient avec tant d'équité, que le peuple charmé de leur conduite, fembloit avoir oublié fes Tribuns. La plupart faifoient des voeux pour la durée d'un gouvernement fi plein de moderation; &

il

y eut même plufieurs Plebeïens qui déclarerent qu'au lieu de rétablir le Confulat & le Tribunat, on ne devoit fonger qu'à rendre le Decemvirat perpetuel. Les Decemvirs travaillerent avec beaucoup d'application pendant toute l'année à la compilation des Loix qu'ils tirerent partie des anciennes Ordonnances des Rois de Rome, & partie de ce qu'ils emprunterent des Loix

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