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le publier; & lors même qu'ils femblent le cacher, ce n'eft fouvent qu'un moyen dont ils fe fervent pour le faire d'autant plus paroître, qu'il fera relevé d'une humilité & d'une modestie apparente.

I I I.

Il fe rencontre des perfonnes qui fe bornent en quelque façon, & qui fe tiennent dans un état rabaiffé, quoiqu'ils puiffent monter plus haut; mais cela ne fuffit pas pour perfuader qu'ils foient exemts de toute ambition & de tout orgueil: car leur retenue vient fouvent de ce qu'ils recherchent d'autres avantages, & de ce qu'ils préferent la réputation d'être humbles & modeftes, à l'honneur qu'ils recevroient d'une plus grande élevation.Si quelqu'un femble demeurer en repos, c'eft dans le deffein de fe rendre puiffant tout à coup, fçachant que le meil leur moyen de s'avancer, eft de n'en témoigner aucun defir. On en a vû qui ayant une grande idée de leur perfonne & de leur merite, n'ont jamais voulu entrer dans aucune charge, parce que hors celles de premier prefident ou de garde des fceaux, ils les eftimoient

toutes

toutes au-deffous d'eux. La même idée les a auffi empêchez d'avoir un caroffe, parce qu'ils ne pouvoient avoir fix cheni les accompagner de quatre laquais: & ainfi ils ont fait voir que beaucoup de gens fe portent à une conduite apparemment humble & modefte par un excès d'orgueil & de va

vaux,

nité.

I V.

L'avarice, l'amour de la volupté & quelques autres paffions femblent veritablement donner une pente contraire à celle de l'ambition. Un avare fouffre volontiers fa baffeffe, fans penfer à en fortir, pourvû qu'il amaffe de l'argent; & un voluptueux fe tient content dans le dernier lieu, pourvû qu'il y fatisfaffe fes defirs: fi néanmoins on y prend garde, on trouvera que ces deux paffions & toutes les autres s'accordent bien avec notre orgueil, & rien n'empêchera de reconnoître que tous les hommes aiment l'élevation, quoiqu'ils n'en ayent pas tous la même idée; car il n'y a point d'avare ni de voluptueux qui ne voulût être roy; mais l'un employeroit sa fouveraineté à amaffer des trésors auTome 11. O

tant qu'il lui plairoit : & l'autre s'er ferviroit pour fe plonger dans toute forte de plaifir, fans qu'on pût s'y oppofer, ni y mettre aucun obftacle.

V.

Cela fait voir que la plupart des hommes en devenant fouverains, ne changeroient pas de paffions, mais qu'ils éleveroient leurs paffions fur le trône.Un ambitieux qui poffederoit un royaume, s'en ferviroit pour y ajoûter de nouvelles provinces. Celui qui aimeroit beaucoup les fciences,employeroit toute fa puiffance pour les acque, rir. Et un autre qui auroit peut-être autant de courage, mais moins de pieque faint Louis, confacreroit com me lui, toutes les forces de fon état à la défense ou à l'avancement de la religion.

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Il faut pourtant diftinguer deux fortes de paffions dans les hommes. Il y en a qui font naturelles, & celles-là croiffent pour l'ordinaire à mesure qu’ils deviennent plus grands; mais il en a où ils ne font entrez que par force & malgré cux, & ils s'en dégagent auffi-tôt qu'ils font dégagez des nécef

y

fitez qui les avoient produites : c'eft ce qu'on remarque dans ceux qui étudient pour être medecins, ou avocats, parce qu'ils ont befoin de ces profeffions. pour fubfifter; & qu'ainfi ils y font attachez par les chaînes de leur mauvaife fortune: que fi quelque heureuse rencontre leur fait trouver en peu de tems ce qu'ils cherchoient dans ces emplois, ils les quittent incontinent,& la paffion dominante de leur cœur qui étoit arrêtée par leurs diverfes occupations, fe montre dans toute fon étendue. Cela fait auffi que des perfonnes qui femblent avoir de la pieté & de la moderation, quand ils font dans une mediocre fortune, paroiffent fouvent très-méchans, quand ils deviennent riches; & que nul ne connoît bien le fond de fon cœur, ni le mal qui y eft caché; c'est un abîme qu'on ne penetre point: & quelle que foit la difpofition prefente d'une perfonne, elle ne fçait point elle-même ce qu'elle deviendroit, fi un coup imprevû la tiroit de fa baffeffe, pour l'élever à quelque grande dignité; où fi on l'expofoit à quelque tentation extraordinaire.

,

V I.

L'aveuglement où nous fommes fur nous-mêmes eft fi grand, qu'encore que nous avons une infinité de défauts fi groffiers que tout le monde les re

marque, nous ne nous en appercevons

pas; & s'il y a la moindre apparence que nous ayons de l'efprit, nous nous arrêtons tellement à cette lueur, que nous oublions tout le refte.

Il fe trouve des gens à qui un certain feu d'imagination donne la facilité de faire de beaux vers, de beaux difcours & de beaux fermons, mais qui d'ailleurs manquent de jugement; & quoiqu'ils ayent l'efprit mal fait; en les admite, & ils s'admirent euxmêmes; ils goûtent avec beaucoup de fatisfaction les louanges qu'on leur donne, & ils en font quelquefois si fort cnyvrez, qu'ils ne fentent point les déreglemens de leur cœur, ni les fujets qu'ils ont de s'anéantir.

Si notre Seigneur appelle les hypocrites des fepulcres blanchis, qui ont au dehors quelque chofe de brillant, & qui n'enferment au dedans que de la pourriture; n'avons-nous pas droit

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