Après qu'ils eurent marché toute la nuit chacun de leur côté & avec une peur égale, ils fe retrancherent avec autant de foin & de précaution que s'ils avoient été encore en préfence les uns des autres. Tempanius, qui ne doutoit pas Tit. Liv.l.4 que les ennemis ne l'attaquaffent de nouveau dès que les tenebres feroient diffipées,fut bien furpris lorfqu'au point du jour il ne vit plus ni amis ni ennemis. Il ne pouvoit comprendre ce qu'étoient devenuës deux grandes Armées, qui peu d'heures auparavant, occupoient toute la plaine. Il alla d'abord lui-même reconnoître le camp des Volfques & enfuite celui des Romains. On ne trouva dans l'un & dans l'autre que quelques bleffez qui n'avoient pû fuivre leurs corps 'armée. Tempanius voulut être lui-même fpectateur d'un évenement fi extraordinaire;& après avoir pris les précautions neceffaires pour n'être pas furpris, il vifita les deux camps, & il rencontra par tout une folitude égale. Il paffa de-là fur le champ de bataille, qui ne lui préfenta que des morts & des mourans,

qui

& cette image affreufe qu'on y rencontre le lendemain d'un combat. Enfin n'ayant aucune nouvelle de l'Armée du Conful, & craignant d'être invefti de nouveau par celle des Volfques, il fit enlever les Soldats Romains qui étoient blessez, & reprit avec eux le chemin de Rome. Il y fut reçu avec une extrême furprise & une joye extraordinaire: on le croyoit péri avec tous fes compagnons. Des fuyards qui étoient arrivez à Rome avant lui, & qui l'avoient vû féparé de l'Armée, & envelopé par les ennemis n'avoient pas manqué de publier que toute la Cavalerie avoit été taillée en pieces. Le retour de Tempanius & de fes compagnons diffipa ces faux bruits. Mais les Tribuns du peuple n'avoient garde de laif-fer échaper une occasion fi favorable pour perdre le Conful. Le peuple étoit actuellement affemblé lorfque Tempanius rentra dans Rome. Ils l'obligerent de fe préfenter dans l'affemblée avant que d'entrer dans fa maifon : & Cn. Julius un de ces Magiftrats Plebeïens, lui demanda tout haut s'il

croyoit

croyoit que Sempronius fût digne
de commander les Armées du Peu-
ple Romain; s'il avoit remarqué
que dans la derniere action il eût
difpofé l'ordre de la bataille en ha-
bile General; ce qu'il étoit devenu
depuis le combat, & où étoit l'Ar-
mée qu'il commandoit. Je vous or
donne, ajoûta ce Tribun, de répondre
précisément& fans détour à tous ceschefs:
apprenez-nous ce que font devenuës nos
Legions; fi vous en avez été abandonné,
ou fi vous-même en êtes déferteur,& enfin
fi nous fommes vaincus ou fi nous sommes
victorieux. Tempanius fans vouloir
tirer avantage de la difgrace deSem-
pronius, répondit au Tribun, qu'il
n'appartenoit point à un fimple Of-
ficier de juger de la capacité de fon
General, & que le peuple
que le peuple en avoit
décidé en le créant Conful. Qu'il
l'avoit vû combattre à la tête des
Legions avec un courage invinci-
ble, & fe porter dans tous les en-
droits où le peril étoit le plus grand.
Que l'éloignement où il s'étoit
trouvé depuis leur féparation, &
la confufion qui arrive toûjours
dans une bataille auffi opiniâtrée,
lui avoient dérobé la connoiffance
Tome 11.
H

de ce qui s'étoit paffé dans les endroits où combatoit le Conful: cependant qu'il pouvoit affurer par ce qui lui avoit paru fur le champ de bataille, que les Volfques n'avoient pas perdu moins de monde que les Romains; & que comme après fa féparation du corps des Legions, il avoit été affez heureux pour s'emparer d'une éminence où malgré tous les efforts des ennemis il avoit confervé ceux qui s'étoient confiez à fa conduite, il préfumoit que le Conful dans ce defordre general, auroit gagné les montagnes où il fe feroit retranché. Tempanius demanda enfuite la permiffion de se retirer pour fe faire panser des bleffures qu'il avoit reçûës dans la bataille. Toute l'affemblée donna encore plus de louanges à la fageffe & à la moderation de fa réponse, qu'à la valeur & à la bonne conduite avec lefquelles il venoit de combattre les ennemis de la Patrie.

Ce peuple en reconnoiffance de fes fervices, l'élut pour Tribun quelque tems après, avec trois autres Officiers qui s'étoient diftinguez

me 331

comme lui. Dans cette place il donna de nouvelles marques de fa generofité. Car L. Hortenfius un de fes Collegues, ayant fait affigner Sempronius après que l'année de fon Confulat fut expirée, pour rendre compte devant l'Affemblée du An de Roz Peuple de la conduite qu'il avoit tenue dans la derniere bataille Tempanius & fes trois Collegues prirent hautement fa défense & conjurerent Hortenfius de ne pas perfecuter un General plein de valeur, à qui la fortune avoit manqué dans cette occasion. Mais fi je vous fait voir, reprit Hortenfius, que ce Patricien, dont vous vantez le courage, eft feul caufe de la difgrace que nous venons de recevoir, vous opposerez-vous à la justice qui en doit être faite? Voulez-vous ruiner la puissance du Tribunat, & tourner contre le peuple même cette autorité que vous ne tenez que de fa bienveillance? Tempanius & fes Collegues lui répondirent avec beaucoup de modestie, qu'ils reconnoiffoient que le peuple avoit une autorité fouveraine fur tous ceux qui portoient le nom de citoyens Romains; qu'ils reveroient