le Royaume des Rats: On les voit en corps d'armée descendre des Montagnes, grimper fur les rochers les plus efcarpés, fe promener dans les payis plains, s'attrouper dans les marécages. Ils défolent tout, principalement la nuit. Je les ai vû moi-même à l'entrée de la nuit fortir en foule du fein de la terre, comme des fourmis, & porter la défolation en tous lieux. Rien n'échape à leur dent. Le moyen de dormir tranquillement au milieu de cette maudite engeance? Pour fe garantir de fes infultes, on s'enveloppe comme des morts, & on tâche de s'accoutumer à la fentir fur foi trotter, fauter, fe battre. Au réveil, on fe raconte mutuellement les morfures qu'on en a effuyées. Je comprends (a) cependant

(a) L'experience confirme le jugemeng

que fi l'Ile de France étoit extrêmement peuplée, ces animaux nuisibles y diminueroient de jour en jour, & ce qui le démontre, c'est que l' fle de Bourbon en étoit autrefois auffi infectée, & qu'il y en a infiniment moins aujourd huy, qu'il n'y en avoit avant les cultures.

ou

Les Negres marons fuyards, font d'autres ennemis plus dangereux, mais dont il eft plus aifé de fe défaire. Ce font des efclaves achetez à Madagafcar, qui aprés avoir déferté les uns aprés les autres, fe font raffemblez dans les montagnes, & font de-là de trés-cruelles excurfions fur leurs anciens maîtres. Leur premier deffein fut de du P. Ducros. La Compagnie apprend par les Lettres qu'elle vient de recevoir de l'Île de France, que cette multitude de rats eft fort diminuée, & qu'on y a fait de bonnes récoltes.

repaffer dans leur patrie, & l'on auroit mieux fait de favorifer leur évasion, que de leur en ôter les moyens, en brifant un canot qu'ils avoient conftruit dans cette vûe. Ils ne s'en iront pas maintenant quand on le voudra. Ils fe font rendus redoutables à nos gens par leurs rufes, leur hardieffe, & leur cruauté ; & dés leurs premieres irruptions, ils ont conquis fur eux non-feulement des armes, mais auffi des Negreffes pour perpétuer leur race. Ils obéiffent à un chef. Le premier qu'ils ont eu fut tué dans un combat. Bleffé à mort, à la tête de fa troupe, il prit une partie du cuir qui le ceignoit en guise de ceinturon, & ayant bouché fa playe, il s'écarta, & alla expirer entre deux rochers. Dix François perirent en cette ·rencontre : il mourut feul de fon

côté. On lui trouva la tête rafée, & des pendans d'oreille, marque de Royauté chez ces peuples. La Compagnie des Indes doit prendre des mesures ferieufes pour détruire inceffament ces rebelles.

Les fecours fpirituels font encore plus neceffaires dans l'Ifle de France, que les temporels, mais je fuis bien fûr que vous ne négligez rien, Monsieur, pour les lui procurer abondamment, & je dois préfumer que le zele des Miffionnaires de faint Lazare que votre Compagnie y entretient, fe renouvellera, & ne fe rallentira jamais.

Je ne me propofe pas de vous entretenir fort au long de l'Ifle de Mafcareñas, ou de Bourbon, elle eft trop connuë. C'est un roc affreux qui fort de la mer à 21 degrez 5 minutes de la

titude meridionnale, & à 77 degrez 42 minutes de longitude : mais ce roc n'eft affreux qu'en dehors au dedans il est trésriant, & trés- fertile. L'Ile de Bourbon, à ce que j'ai appris d'un bon vieillard nommé Ricbourg, qui eft le plus ancien des habitans, fervit d'abord d'infirmerie pour les malades François de Madagascar, & de lieu d'éxil où l'on releguoit les mutins. Le maffacre des François dans cette grande Isle, est la cruelle époque de notre établissement fo. lide dans celle-ci. Elle a plus de 80 lieues de circuit, & fon diametre eft de vingt-cinq à vingthuit lieues. Quoiqu'elle ne femble être qu'un roc fourcilleux elle eft réellement divifée en trois parties qui forment comme trois montagnes. Deux chofes m'y ont paru dignes d'une