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S. Auguftin le remarque à l'occasion des Mufes, qui originairement n'étoient que trois, comme on le dira dans leur hiftoire; mais ayant été représentées par trois Sculpteurs differens, leurs Statues parurent fi belles, qu'on les confacra toutes neuf; & on augmenta ainfi le nombre de ces Déeffes. Du culte des Aftres que nous venons de prouver dans le Chapitre précédant avoir été les premiers Dieux du Paganifme, on paffa à celui des autres chofes materielles ; furtout du Ciel, des Elemens, des Fleuves & des Montagnes: enfin au culte des Hommes qu'on plaça au rang des Dieux. J'ai dit les raifons qui porterent les hommes à adorer leurs femblables. La reconnoiffance, l'amour d'une épouse pour un époux cheri, ou d'une mere pour fon fils bien aimé; la beauté de l'ouvrage d'un Sculpteur, les belles actions, l'invention des Arts neceffaires; tout cela fit honorer la me moire de quelques grands hommes, obligea à garder leurs Portraits, à diftinguer leurs Tombeaux qui devinrent enfin des Temples publics, comme le prouvent Eufebe (1) & (1) Prepar faint Clement d'Alexandrie : tels étoient les Tombeaux d'A- Evang. L. 2. crife, de Cecrops, d'Erichtonius, d'Ifmarus, de Cleomaque, de Cyniras, & de plufieurs autres. On prouvera plus au long dans un article feparé, par l'autorité des Peres & des Auteurs profanes, que la plupart des Dieux des Payens avoient été des hommes.

Je fçais que l'ordre que je viens de mettre dans le progrès de l'Idolâtrie, ne s'accorde pas avec Sanchoniathon, qui place l'Apotheofe des hommes dans les premiers temps; mais il y a beaucoup d'apparence qu'on ne fe qu'on ne fe porta pas d'abord à cet excès de folie, & qu'on adora les Aftres, & les differentes parties de l'univers, avant que de rendre au cun culte à fes femblables.

Enfin, fi le progrès de l'Idolâtrie n'eft pas précisément tel que je viens de le décrire, il eft du moins très-vraisemblable que la chofe arriva comme je le dis; car enfin fi. l'Auteur que je viens de nommer, dit que Coelus ou Uranus, qui est un des premiers hommes dont il parle, fut mis après fa mort au rang des Dieux, il reconnoît pourtant qu'il y avoit auparavant une autre forte d'Idolâtrie.» Les Pheniciens, dit-il, & les

C. 6.

l'Hift. d'Ofir.

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Egyptiens font. les plus anciens d'entre les Barbares, & » ceux de qui tous les autres Peuples ont enfuite pris la » coutume de mettre au nombre des grands Dieux, tous » ceux qui avoient inventé des chofes utiles à la vie, & ils » ont appliqué à cet ufage les Temples qui étoient bâtis auparavant. »

Quoiqu'il en foit, il paroît par cet Auteur que ce fut encore dans la Phenicie & dans l'Egypte que commença cette forte d'Idolâtrie; & il y a apparence que ce fut, pour l'Egypte, peu de temps après la mort d'Ofiris & d'Ifis. Comme ils (1) Voyez s'étoient diftingués l'un & l'autre par leurs belles actions (1), qu'ils avoient enfeigné l'Agriculture, & appris à leur Peuple plusieurs autres Arts néceffaires à la vie, on crut ne pouvoir reconnoître les obligations immortelles qu'on leur avoit, qu'en les honorant comme des Divinités. Mais parce qu'on auroit été choqué de voir qu'on rendoit des honneurs divins à des perfonnes qui venoient de mourir, on publia apparemment que leurs ames s'étoient réunies aux Aftres, dont elles étoient forties auparavant pour venir animer leurs corps. On les prit dès-lors pour le Soleil & la Lune, & leur culte fut confondu avec celui de ces deux Aftres, comme je l'ai déjà dit.

Cette coutume de déïfier les hommes, paffa d'Egypte chez les autres Peuples, & nous voyons que les Chaldéens mirent prefque dans le même temps leur Belus au rang des Dieux. Les Syriens, les Pheniciens, les Grecs enfin & les Romains imiterent les Egyptiens & les Chaldéens, & le ciel fe trouva bien-tôt peuplé de mortels déïfiés, comme le remarque Ciceron : ce qui étoit encore vrai dans un autre fens, puifqu'en faifant leurs apothéofes, on publioit que leurs ames étoient attachées à quelques étoiles, qu'elles choififfoient pour leur féjour. Ainfi Andromede, Cephée, Perfée, & Caffiopée, compoferent les conftellations qui portent leurs noms; Hippolite, le figne du Chartier ; Efculape, les Serpens; Ganimede, le Verfeau; Phaëton, le Charriot; Caftor & Pollux, les Gemeaux; Erigone & Aftrée, la Vierge; Atergatis, ou plûtôt, Venus & Cupidon, les poiffons; ainsi des autres. Cette coutume paffa dans prefque tous les pays,

& penetra même jufqu'à la Chine, où les Aftronomes donnerent aux vingt-huit Conftellations, qui dans leur systême renferment toutes les étoiles, le nom d'autant de leurs Heros, qu'ils affûrent avoir été changés en Aftres. Il n'y eut que les Egyptiens qui donnerent aux Conftellations des noms d'animaux, & c'eft ce qui fut caufe du culte que ce Peuple leur rendit dans la fuite (a).

Tel eft le progrès de l'Idolâtrie, qui fut portée enfin aux excès que je vais décrire.

On n'adora d'abord, comme on l'a dit, que les Aftres, le Soleil & la Lune; enfuite on regarda la nature elle-même, ou le monde, comme une Divinité. Les Affyriens l'adorerent fous le nom de Belus; les Pheniciens, fous celui de Moloch; les Egyptiens, fous celui d'Hammon; les Arca diens, fous celui de Pan; les Romains, fous celui de Jupi ter: & comme fi le monde avoit été trop grand pour être gouverné par une feule Divinité, on en affigna chaque partie à un Dieu particulier, afin qu'il eût plus de loifir & moins de peine à la gouverner; ou pour mieux dire, on voulut adorer la nature en détail, & on fit préfider une Divinité à chacune de fes parties. On adora la terre, fous le nom de Rhea, de Tellus, d'Ops, de Cybele, de Proferpine, de Maïa, de Flore, de Faune, de Palès, & de Vertumne : le feu, fous ceux de Vulcain & de Vefta: l'eau de la mer & des fleuves, fous ceux de l'Ocean, de Neptune, de Nerée, des Nereïdes, des Nymphes & des Naïades; l'air & les vents, fous ceux de Jupiter & d'Eole; le Soleil, fous ceux d'Apollon, de Titan, d'Ofiris, &c. La Lune, fous ceux de Diane, d'Ifis, &c. Bacchus fut le Dieu du vin; Cerès, la Déeffe du bled; chaque fleuve & chaque fontaine eut fa Divinité tutelaire; l'Enfer, fon Pluton; la mer, Neptune & Tethys; les bois & les montagnes, leurs Nymphes & leurs Satyres.

Les Colonies de l'Egypte & de la Phenicie qui vinrent s'établir dans la Grece, y porterent leur culte religieux, & ce culte fe repandit peu-à-peu dans les differentes Provinces qui la compofoient. C'étoit même une des plus grandes (a) Voyez ce qui eft dit fur ce fujet dans le Livre quatrième.

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marques de confidération qu'une ville pût donner à fes voifins, d'adopter leur culte religieux & leurs ceremonies; car chacune avoit des Prêtres & d'autres Miniftres qui regloient les choses divines, ajoutoient & retranchoient au culte primitif. De tout cela il fe faifoit un mêlange confus, qui rendoit la Religion des Grecs, de toutes les Religions la plus monftrueufe & la plus fuperftitieufe. Lifez les Voyages de Paufanias, vous trouvez à chaque pas des Temples, des Autels, des Statues des Dieux de different metail, de differentes formes, & avec des noms particuliers, que, ou le lieu, ou quelque prétendu prodige, ou quelque vœu public, leur avoient fait donner.

On affigna auffi des Divinités aux affections & aux paffions: Venus & Priape préfiderent à la generation; Morphée au fommeil ; Hebé & Horta à la jeuneffe; Juturne chez les Latins, & Hygieia chez les Grecs, furent les Déeffes de la fanté ; & Jaso, de la maladie (a). On établit une Bellone pour la guerre, une Pomone pour les Jardins, des Furies pour les enfers. Toutes ces Divinités eurent des Temples, des Autels & des Sacrifices; & comme les paffions ne s'oublient jamais, il n'y eut point de crime qui n'eût un Dieu Patron. Les adulteres reconnurent Jupiter; les Dames galantes, Venus; les femmes jalouses, Junon; & les filoux, Mercure & la Déeffe Laverne. Ce n'est pas tout il y avoit des Parques pour regler toutes les actions de la vie. Au mariage préfidoient Junon, Hymenée, Thalaffius, Lucine, Jugatinus, Domiducus, & plufieurs autres, (1) S. Aug. dont les emplois infames font rougir les honnêtes gens (1). Les femmes groffes ou en couche, invoquoient la bonne Déeffe, Junon, Lucine, Hecate, Sofpita, Mena, Nixii Dei, Intercidona, Mater Matuta, Deverra, Egeria, Fluonia, Pertunda, Prorfa, Poftverta, Rumilia, Divinités dont les noms, ainsi que ceux des autres Dieux qui préfidoient à toutes les actions de la vie, défignoient les emplois. Pour les enfans, on invoquoit la Déeffe Nafcio, ou Natio, Opis, Rumina,

De Civ. Dei.

:

(a) On ne fera que hommer préfentement tous ces Dieux, ils feront dans le fecond Tome partie de l'Hiftoire des Divinités Romaines. Potina,

Potina, Cunina, Levana, Paventia, Carnea, Edula, Offilago, Statilinus, Vagitanus, Fabulinus, Juventa, Nondina, Orbona ; & cette derniere Déeffe étoit pour les orphelins, ou pour confoler les peres & les meres de la perte de leurs enfans. Lorfqu'on pofoit l'enfant à terre, on le recommandoit aux Dieux Pilumnus & Picumnus: de peur même que le Dieu Sylvain ne lui nuisît, il y avoit trois autres Dieux qui veilloient aux portes, Intercido, Pilumnus, & Deverra. Car il eft bon de fçavoir qu'à la naissance d'un enfant, on frappoit à la porte avec une hache, ou avec un maillet, & enfuite on balayoit le vestibule, & on croyoit que Sylvain voyant ces trois marques, n'ofoit entreprendre de nuire aux enfans, qu'il jugeoit par-là être fous la protection de ces trois Divinités. Statilinus préfidoit à l'éducation de ces mêmes enfans; Fabulinus leur apprenoit à parler; Paventia en éloignoit les objets de crainte & de frayeur; Nondina présidoit aux noms qu'on leur donnoit; Cunina avoit foin du berceau; enfin Rumia confervoit le lait à leurs meres. Les Dieux Epidotes présidoient à la croissance des enfans, comme leur nom le prouve. (a)

les

S'il y avoit tant de Dieux pour veiller à la naissance & à la confervation des enfans, il n'y en avoit pas moins pour les fruits & les moiffons. Saint Augustin, qui dans fes Livres de la Cité de Dieu nous a confervé les noms de plufieurs Dieux, qu'on chercheroit vainement ailleurs, en compte feize qui veilloient aux femailles & aux moiffons. Une Scia pour bleds nouvellement femés: Segetia, quand ils commençoient à pouffer; Tutilina, pour les conferver dans le grenier; Proferpine, quand ils germoient; Patelina, quand ils étoient prêts de pouffer l'épi; Nodotus, quand ils commençoient à nouer, Patilena, Flora, Hoftilina, Lacturtia, Matuta, Rumina & Robigus, & plufieurs autres, à qui on offroit des facrifices dans les différentes faifons de l'année. On avoit encore Venus Libitina, pour présider à la mort; Plutus & Ops, pour les richeffes; Janus, Forculus, Cardea & Limentina, pour avoir foin des portes; Clufius & Patuleius étoient les Dieux qu'on invoquoit en les ouvrant ou en les fermant ; (b) Laterculus &

(a) izida, fuper addo, augeo, j'augmente.

(b) Forculus, quafi à Foribus; Cardea, à Cardinibus; Limentina, à limine. Tous Tome I. A a

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