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quoiqu'ils fuffent ravis de voir cette diffenfion entre les Tribuns militaires & le Senat, ils répondirent avec une raillerie amere, qu'il étoit honteux à un Corps fi puissant, d'implorer le fecours de malheureux Plebeïens, & de gens qu'à peine la Nobleffe daignoit compter au nombre de fes concitoyens; que fi jamais les dignitez & les honneurs de la République étoient communs entre tous les Romains, fans diftinction de naiffance ou des biens de la fortune, alors le peuple & fes Magiftrats fçauroient bien faire refpecter les Decrets du Senat; mais que jufques-là ils ne prendroient aucune part aux prétentions differentes du Senat & des Tribuns militaires.

Ces conteftations ne prenant point de fin, & les ennemis s'avançant toujours vers la frontiere, Servilius Ahala troifiéme Tribun militaire déclara publiquement, que l'interêt de fa Patrie lui étoit plus cher que l'amitié de fes Collegues, & que s'ils ne vouloient pas de bonne grace convenir du choix d'un Dictateur, il en nommeroit un luimême. En effet le voyant à peine appuyé

appuyé de l'autorité de tout le Senat, il nomma pour Dictateur, P, Tit. Liv. Cornelius, qui le choifit enfuite 1.4. 56. 57. lui-même pour General de la Cavalerie.

La guerre ne fut pas de longue durée, les Volfques furent défaits près de la Ville d'Antium; on pilla leur territoire, & on fit un grand nombre de prifonniers. Après cette expedition, le Dictateur fe démit de fa Dignité; mais les deux Tribuns chagrins que le Senat les eût privez de la gloire qu'ils fe flatoient d'acquerir dans cette guerre, au lieu de propofer l'élection des Confuls pour l'année fuivante, ne demanderent que des Tribuns militaires comme auroient pû faire des Tribuns du peuple.

Le Senat qui apprehendoit toujours que le peuple ne fe déterminât à la fin à donner cette Dignité ou à fes Tribuns, ou à quelqu'un des principaux Plebeïens, fut vivement touché de voir fes interêts trahis par ceux-mêmes de fon Ordre. Mais comme il n'étoit pas en fon pouvoir de caffer la publication de l'affemblée faite par les Magistrats de la

Tome II.

I

République, il obligea les premiers de cette Compagnie, & ceux-mêmes qui étoient les plus agreables au peuple par leur moderation ou par leur valeur, à demander le Tribunat. Malgré toutes les brigues des An de Ro- Tribuns Plebeiens, on n'élut pour me 346. Tribuns militaires que des PatriDiod. 1. 14. ciens; & C. Valerius, C. Servilius, L. Furius, & Fabius Vibulanus furent élevez à cette Dignité.

Le Senat conferva le même avantage l'année fuivante, & il fut encore affez puiffant dans l'élection An de Ro- pour faire tomber la même Dignité à P. Cornelius, L. Valerius, Cn. Cornelius & Fabius Ambuftus, tous Patriciens & des premieres Maifons de la République.

me 347.

On ne peut exprimer la colere & la fureur que firent paroître les Tribuns du peuple de fe voir exclus si long-tems d'une Dignité à laquelle ils pouvoient être admis. Ils prirent occafion d'une nouvelle guerre que le Senat vouloit faire aux Veïens pour faire éclater leur reffentiment. Les habitans de Veïes avoient enlevé quelque butin fans qu'il y eût préaTablement aucune déclaration de

guerre. On avoit envoyé des Ambaffadeurs leur en demander raison; mais au lieu d'excufer ou de juftifier leurs incurfions ils chafferent avec mépris ces Ambaffadeurs. Le Senat encore plus irrité d'une conduite fi fuperbe, que de leur brigandage, propofa au peuple de vanger cette injure, & de porter fes armes dans la Toscane. Le peuple prevenu par fes Tribuns, nè marne qua que beaucoup d'indifference pour cette propofition. Il difoit qu'il n'étoit pas prudent de s'engager dans une nouvelle guerre pendant que celle des Volfques n'étoit pas encore terminée; que la République n'avoit point affez de forces pour réfifter en même tems à deux Nations fi aguerries; qu'il ne fe paffoit point d'année qu'on ne donnât quelque bataille; que tant de combats épuifoient le plus pur fang de Rome, & emportoient toute leur jeuneffe, fans que les Plebeïens qui rempliffoient les Legions, tiraffent aucun avantage de ces guerres con- .. tinuelles.

Les Tribuns de leur côté crioient dans toutes les affemblées, que le

Senat ne perpetuoit la guerre que pour tenir les Plebeiens éloignez de la ville, de peur qu'étant à Rome, ils ne fiffent revivre les juftes prétentions qu'ils avoient fur les terres publiques, ou que par le grand nombre de leurs fuffrages ils n'élevaffent leurs Tribuns aux premieres Dignitez de la République. » Et enfin,leur difoient ces Magiftrats fédi"tieux, ne cherchez point vos verita»bles ennemis autre part que dansRo» me. La plus grande guerre que vous "ayez à foutenir eft celle que leSenat » fait depuis fi long-tems au Peuple » Romain.

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Le Senat voyant tant d'éloignement dans l'efprit du peuple pour la guerre de Veïies, jugea à propos d'attendre une conjoncture plus favorable pour regagner la confiance de la multitude, & prevenir les plaintes qu'on faifoit contre la longueur des guerres. Il réfolut de pourvoir à la fubfiftance du foldat d'une maniere qu'il n'en eût aucune obligationaux Tribuns. Tous lesGitoyens Romains jufqu'alors avoient été à la guerre à leurs dépens: il falloit que chacun tirât de fon petit

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